• Aucun résultat trouvé

2.3 Les probabilités et les probabilistes français sur la scène internationale

2.3.1 Perception internationale des publications probabilistes françaises

Le Jahrbuch über die Fortschritte der Mathematik propose un ensemble de recensions d’articles portant sur les mathématiques et se structure en parties, divisées en chapitres. Les recensions des textes probabilistes publiés entre 1918 et 1928 sont insérés dans le chapitre 16, « Wahrscheinlichkeitsrechnung nebst Anwendungen »513, de la quatrième partie, « Analysis ». Les volumes publiés entre 1923 et 1926 recensent les textes publiés entre 1916 et 1920, ceux publiés entre 1925 et 1929 recensent les textes publiés entre 1921 et 1924, et ceux publiés entre 1932 et 1939, recensent les textes publiés entre 1925 et 1934514 Les recensions n’étant pas datées, il est difficile de mesurer l’existence d’un biais rétrospectif, c’est-à-dire dans quelle mesure un recenseur identifie le domaine disciplinaire à l’aune de développements ultérieurs à la publication de l’article recensé. Il convient donc de tenir compte des distorsions temporelles inhérentes à ce périodique. Néanmoins l’étude des recensions de textes probabilistes publiés en France permet de mettre en évidence la diversité et la richesse de l’espace éditorial français dans ce domaine.

511. Voir [Bru, 2003]. 512. [Capristo, 2016].

513. Calcul des probabilités et applications.

2.3. Les probabilités et les probabilistes français sur la scène internationale

En tant que publication scientifique de référence internationale, les CRAS sont par- ticulièrement bien représentés, avec 91 articles recensés. La différence entre le nombre de notes du corpus probabiliste identifié dans les CRAS et le nombre d’articles probabi- listes recensés dans le Jahrbuch peut être interprétée de plusieurs façons. Tout d’abord, comme nous l’avons signalé, trois notes de Lévy et la note de Lindeberg515, sont classées en « analyse » même s’il est question de calcul des probabilités. Le Jahrbuch recense 15 notes probabilistes en dehors du corpus probabiliste des CRAS, dont 5 dans la catégorie « analyse », 6 dans la catégorie « statistique » ou « statistique mathématique », et 1 dans chacune des matières « économique », « physique biologique », « physique mathé- matique » et « théorie des fonctions ». Enfin 8 des notes probabilistes des CRAS ne sont pas recensées dans le Jahrbuch.

Étant donné le nombre important de journaux mathématiques français recensés, le Jahrbuchoffre un panorama large des publications probabilistes françaises. Tout d’abord, deux journaux mathématiques, le Bulletin de la société mathématique de France et le Bul- letin des sciences mathématiques, publient respectivement 4 et 8 articles recensés comme probabilistes dans le Jahrbuch. On retrouve ainsi les articles de Lévy et Wiener publiés dans le premier et les articles de Hostinský et Haag dans le second. On peut également ajouter à cette liste les Nouvelles annales de mathématiques dans lequel sont recensés 4 articles, dont 2 de Haag (mentionnés plus haut) et 1 de Guldberg. Le Jahrbuch montre également la place accordée aux probabilités dans des revues professionnelles, comme le Bulletin trimestriel de l’Institut des actuaires français dans lequel sont recensés 6 articles et le Journal de la société statistique de Paris dans lequel un article est recensé. Le Jahr- buch recense également trois articles dans deux périodiques de philosophie, dont deux dans la Revue de métaphysique et de morale et un dans les Archives de philosophie. Enfin, le Jahrbuch recense 8 articles dans des revues scientifiques généralistes non spécialisées : 7 dans la Revue générale des sciences et un dans la Revue scientifique.

Le Jahrbuch recense également des livres de probabilités. Les ouvrages de probabilités que nous avons mentionnés sont recensés : les fascicules du Traité du calcul des probabilités et de ses applications et le Calcul des probabilités de Lévy édités chez Gauthiers-Villars, le Calcul des probabilités à la portée de tous de Fréchet et Halbwachs chez Doin. Gauthier Villars propose un catalogue comprenant un ouvrage sur les applications à l’artillerie avec

La probabilité dans les tirs de guerre, du polytechnicien Jean Aubert (1894-1984), un autre sur la statistique avec le livre Statistique mathématique du mathématicien hongrois Jordán, et une Théorie nouvelle de la probabilité des causes de l’officier de la marine Millot, ces deux derniers auteurs ayant trouvé, comme on l’a vu plus haut, un soutien à l’Académie des sciences en la personne de Maurice d’Ocagne. Si Gauthiers-Villars domine assez clairement la scène éditoriale, notons que l’éditeur Doin publie également 3 livres recensés comme probabilistes. Outre le livre de Fréchet et Halbwachs, cette maison publie la Théorie mathématique des assurances de P. J. Richard et de E. Petit, et la Statistique mathématique de Darmois sur lequel nous reviendrons plus loin516.

Les recensions du Jahrbuch mettent en évidence l’existence d’un espace éditorial di- versifié pour les contenus probabilistes qui regroupe un espace dédié aux mathématiques, à la philosophie, à l’actuariat, à la statistique ainsi qu’un espace dédié au lectorat non spécialiste. On remarque ainsi que le Traité dirigé par Borel représente assez fidèlement l’activité probabiliste française des années 1920. On notera l’absence de la physique dans ces recensions mais le Jahrbuch dispose de chapitres regroupant les textes sur la physique statistique et la physique quantique qui sont les deux sujets de physique abordés dans le Traité. Par ailleurs, cet espace éditorial mobilise une diversité d’acteurs signalant ainsi la diversité des cultures probabilistes. À ce titre le Traité peut apparaître comme un moyen d’une reprise en main par les mathématiciens de cette culture. Enfin, au delà des CRAS, l’espace éditorial français est relativement ouvert aux auteurs étrangers, en particulier dans les périodiques mathématiques.

2.3.2 Des probabilistes français à Bologne

Entre 1918 et 1928, trois Congrès internationaux des mathématiciens sont organisés. Le premier à Strasbourg, en 1920, se veut avant tout un congrès affirmant la victoire sur les empires centraux et aucun d’eux n’est représenté. Le choix symbolique de la ville de Strasbourg, redevenue française, exprime cette volonté française de montrer son excellence scientifique. À cette occasion, deux pays créés après la Première Guerre mondiale, la Pologne et la Tchécoslovaquie, trouvent un lieu pour se faire représenter et intégrer la scène mathématique internationale.

Concernant les probabilités, il n’y a aucune session prévue pour ce sujet lors de ce pre- 516. Voir chapitre 5, p.268-271.

2.3. Les probabilités et les probabilistes français sur la scène internationale

mier Congrès d’après-guerre. Pour autant des rencontres entre mathématiciens sont déjà possibles et auront l’occasion d’être mises à profit dans le futur. L’académicien Hadamard, et le futur académicien Borel, y participent ainsi que certains probabilistes ou statisticiens étrangers qui dans les années suivantes enverront des notes probabilistes à l’un ou l’autre de ces académiciens : Harald Cramér (1893-1985) et Alf Guldberg. Par ailleurs, Fréchet, Wiener et Percy John Daniell (1889-1946) participent à ce congrès et ont, peut-être, dis- cuté d’intégration dans les espaces abstraits, de la méthode employée par Fréchet ou de celle de Gateaux telle que Lévy en rend compte517. Pour Fréchet, c’est également l’oc- casion de faire la rencontre en personne de son correspondant tchécoslovaque Hostinský avec lequel les échanges sont sur le point de prendre un tournant probabiliste518. Enfin Darmois, professeur à Nancy et bientôt professeur à l’ISUP, participe à ce congrès.

Lors du congrès de Toronto, quatre ans plus tard, le sort réservé aux probabilités n’est guère meilleur, aucune session n’abordant explicitement les probabilités. Plusieurs conférences de la section V (consacrée à la statistique, l’actuariat et l’économie) abordent cependant explicitement le calcul des probabilités, signalant que cette section est identi- fiée comme le lieu légitime pour présenter des travaux probabilistes. Fréchet y fait une conférence consacrée au calcul des primes d’assurance, dans laquelle il propose d’établir une formule permettant de calculer les primes quel que soit le contrat d’assurance. Cette conférence est explicitement adressée aux actuaires et aux candidats à l’Institut des ac- tuaires, et s’inscrit ainsi dans le contexte de son enseignement à l’Institut commercial de Strasbourg. Parmi les conférenciers de cette section, plusieurs statisticiens seront en contact avec Fréchet dans les années suivantes : le britannique Ronald A. Fisher et le danois Johan F. Steffensen (1873-1961) qui tous les deux feront des conférences à l’IHP dans les années 1930 ainsi que le statisticien italien Corrado Gini (1884-1965). Par ailleurs, Jules Haag fait une intervention explicitement consacrée à un sujet probabiliste dans une conférence de la première section consacrée à l’algèbre, la théorie des nombres et l’ana- lyse. Lors de cette conférence, Haag présente une étude des probabilités d’une succession d’événements dont la probabilité de réalisation est indépendante de l’ordre de réalisation, idée qui sera reprise à la fin des années 20 notamment par Bruno de Finetti (1906-1985) puis par Khintchine dans les années 30 sous le nom d’événements équivalents519, sans

517. Nous renvoyons à nouveau à [Mazliak, 2015a] pour plus de détails. 518. [Havlova et al., 2005].

connaître d’ailleurs l’exposé de Haag.

Le congrès de Bologne de 1928 marque, du point de vue des probabilités, un tournant majeur. Ce congrès, tenu du 3 au 10 septembre 1928, est plus largement un événement scientifique majeur à trois titres. Pour la première fois depuis la Première Guerre mon- diale, les nations des empires centraux (en particulier l’Allemagne) y sont représentées520. Les défenseurs d’une attitude intransigeante vis à vis de ces nations, comme Émile Pi- card, refusent d’y participer. Le Congrès sert également de vitrine au régime fasciste de Mussolini désormais solidement implanté. Bernard Bru met en avant cet aspect pour ex- pliquer l’absence de Borel, invité à faire la première conférence plénière, qui décide de faire lire sa conférence par Élie Cartan521. Dans le domaine des probabilités, ce congrès contribue à consacrer l’étude des processus markoviens comme un sujet de recherche fon- damental522. La place accordée aux mathématiques du hasard dans ce congrès permet aux mathématiciens transalpins de mettre en valeur l’activité probabiliste dynamique et largement internationale qui s’organise en Italie depuis la fin du xixe siècle523.

Lors de ce congrès trois mathématiciens français abordent des questions relatives aux mathématiques du hasard. Cartan lit, lors d’une séance plénière, la conférence de Borel sur « Le calcul des probabilités et les sciences exactes » dans laquelle l’auteur cherche à convaincre son auditoire de l’importance des applications du calcul des probabilités aux sciences exactes, à savoir, la physique et les mathématiques. Hadamard fait une conférence dans la section « Mécanique, Astronomie, Géodésie, Physique mathématique et théorie physique » qui aborde le problème du battage des cartes qui, comme nous l’avons vu, est aux yeux de Hadamard en lien avec l’hypothèse ergodique en physique statistique. Enfin Darmois fait une conférence dans la section « Statistique, économie mathématique, calcul des probabilités, sciences actuarielles » sur l’analyse statistique des séries temporelles .

Pour leur part, Lévy et Fréchet font des conférences d’analyse, dans la section d’analyse pour le premier et en session plénière pour le second. Cela étant, ces deux mathématiciens se présentent comme des interlocuteurs sur les questions des mathématiques du hasard ; ils participent à des discussions dans la section IV (Calcul des probabilités, statistique mathématique, théorie des erreurs, moyennes et interpolation, économie mathématique

520. Voir [Lehto, 1998].

521. [Bru, 2003]. Pour une discussion de cette hypothèse, voir [Capristo, 2016]. 522. [Bru, 2003].

2.3. Les probabilités et les probabilistes français sur la scène internationale

et science actuarielle) du congrès524. En outre Fréchet, en partie remplacé par Darmois, préside l’une des séances de cette section, au cours de laquelle un projet de société savante internationale consacrée aux probabilités est lancé (mais restera sans suite). Darmois est nommé représentant français dans cette société. La génération de Fréchet, Lévy et Darmois profite donc de ce moment exceptionnel pour les probabilités pour se présenter sur la scène internationale comme des interlocuteurs de premier plan dans le domaine des probabilités.

***

Entre 1918 et 1928, l’activité probabiliste française connaît une transformation pro- fonde et un tournant majeur se situe en 1925.

Entre 1918 et 1925, Borel se construit un statut de patron des probabilités qui repose sur l’acquisition de plusieurs positions institutionnelles : d’une part la chaire de calcul des probabilités et de physique mathématiques, d’autre part à l’Académie des sciences, auxquelles on peut ajouter la présidence de la SSP. Il utilise ces positions pour lancer son Traité du calcul des probabilités lui donnant ainsi un moyen de mener une politique scientifique envers les mathématiques du hasard. Cette politique repose sur la mobilisation de mathématiciens français issus de l’École normale et sur un réseau d’auteurs scandinaves. En particulier, il promeut deux auteurs français dans les CRAS : Haag et Fréchet. Comme le montrent les notes qu’il présente et le Traité, Borel privilégie les applications et un cadre probabiliste qu’il a lui même perfectionné. Maurice d’Ocagne présente des notes probabilistes s’insérant dans ce courant de pensée.

La publication du Calcul des probabilités de Lévy marque une rupture en proposant un traitement unifié et reposant sur des mathématiques transcendantes, fruit d’un tra- vail initié à partir de 1919. De façon remarquable, Lévy développe des recherches qui le conduisent à un rapprochement entre l’analyse fonctionnelle (dont il est un spécialiste) et les calcul des probabilités. Cette approche l’amène non seulement à une démonstration du TCL, mais aussi à identifier un nouveau concept : les lois stables. À partir de 1926, la rupture semble consommée et avoir des effets du côté du réseau de Borel. Maurice Fréchet qui vient de publier son livre Les espaces abstraits, dialogue avec Lévy depuis 1919525 et

524. [Union mathématique internationale, 1932, t.1, p. 97, 104, 128]. 525. [Lévy, 2014].

semble déterminé à se ranger du côté de Lévy pour ce qui est des recherches sur la théorie mathématique des probabilités. Haag quant à lui cesse d’écrire des notes probabilistes au CRAS et la publication du Traité connaît une première pause.

Ce nouveau courant porté par Lévy et Fréchet montre par ailleurs une insertion dans l’espace international nouveau. Lévy et Fréchet échangent avec des correspondants étran- gers, respectivement Pólya et Hostinský, sur les probabilités. Ils profitent du Congrès de Bologne de 1928 pour participer aux discussions de la section consacrée aux probabilités se montrent ainsi comme des interlocuteurs français spécialisés dans les probabilités. Georges Darmois n’est d’ailleurs pas en reste. Lui aussi adopte l’approche probabiliste de Lévy et cherche à se montrer sur la scène internationale et à établir des contacts internationaux autour des questions de statistique probabiliste.

En 1926, Borel se lance dans la création de l’Institut Henri Poincaré et prolonge ainsi une politique visant à agréger les efforts autour des probabilités, en y ajoutant une composante internationale. En offrant une place à Fréchet, Darmois et Lévy, l’IHP contribue à accentuer la théorisation mathématique des probabilités.

Chapitre 3

Construire un centre, tenir le centre :

l’Institut Henri Poincaré de 1926 à 1940

L’Institut Henri Poincaré est inauguré en 1928. La construction du bâtiment et l’élabo- ration institutionnelle sont le fruit de négociations menées avec la Fondation Rockefeller, la banque Rothschild Frères, le gouvernement français et l’université de Paris. Le projet est initialement conçu lors de discussions avec des représentants de la Fondation Rockefel- ler qui apporte une part substantielle et déterminante du financement de l’IHP. En outre ces discussions contribuent fortement à délimiter le périmètre scientifique de cet institut, en le consacrant aux mathématiques, à la physique, ainsi qu’au calcul des probabilités, et à définir son activité : organiser des conférences faites par des scientifiques français ou étrangers et assurer les enseignements de la chaire de Calcul des probabilités et de physique mathématiques (CPPM) et de la chaire de Théories physiques (TP, créée avec l’IHP).

L’historiographie et les acteurs eux-mêmes insistent souvent sur le rôle important de la Fondation Rockefeller dans la création de l’IHP. Cette entreprise philanthropique, créée en 1913 par l’industriel à la tête de la Standard Oil, joue un rôle décisif dans la vie scientifique parisienne, française et internationale, de même que d’autres philanthropies comme la Fondation Carnegie ou la Fondation Ford. Cela étant, l’historiographie de l’IHP et de la Fondation Rockefeller tendent à montrer qu’il existe des enjeux scientifiques particuliers au-delà de l’importance du financement.

Les travaux de Ludovic Tournès sur les fondations philanthropiques étasuniennes au xxe siècle526 donnent un éclairage sur le fonctionnement de ces fondations et montrent qu’elles agissent en vue de contribuer à la constitution d’une élite scientifique interna-

tionale. L’auteur met en lumière une organisation bureaucratique en réseau à même de collecter et de traiter des informations sur les situations locales. Ce type d’organisation permet aux fondations de mener à bien des actions à une échelle locale en participant financièrement ou en intervenant sur l’élaboration de projets. Cela étant l’auteur insiste sur le fait qu’il s’agit de co-construction in situ s’appuyant sur des dynamiques locales.

Les travaux de Reinhard Siegmund-Schultze illustrent bien ce processus dans ses études sur les actions de la Fondation Rockefeller dans le domaine des mathématiques. Dans un article publié en 2009, au sein d’un dossier consacré aux mathématiques en France dans l’entre-deux-guerres, Reinhard Siegmund-Schultze527identifie la création de l’IHP comme un moyen de modernisation des mathématiques françaises. Dans son analyse, l’auteur identifie deux stratégies de modernisation mises en place par les mathématiciens parisiens dans l’entre-deux-guerres : une modernisation institutionnelle qu’il qualifie de « concrète, plus traditionnelle et institutionnalisée »528, une modernisation intellectuelle qu’il qualifie d’ « abstraite, jeune et intellectuelle »529. La seconde stratégie est portée par le groupe Bourbaki, tandis que la première est portée par les dirigeants de l’IHP et notamment par Borel. La stratégie institutionnelle articule une volonté de développer les contacts scien- tifiques internationaux, notamment en opposition avec le boycott de la science allemande mis en place au lendemain de la Première Guerre mondiale, avec un intérêt particulier pour un domaine scientifique : la stochastique530. Dans cette perspective d’histoire des mathématiques, et compte tenu de ce que nous avons montré dans la partie précédente531, l’IHP apparaît comme l’aboutissement d’un processus institutionnel spécifique concernant la théorie des probabilités à l’université de Paris porté par Borel.

Pour autant, l’IHP ne vise pas uniquement les mathématiques mais également la phy- sique. Dans son analyse sur la physique et les physiciens en France, Dominique Pestre532 tire un bilan mitigé sur le rôle de l’IHP. L’auteur estime que les physiciens français entre- tiennent une forme d’isolationnisme s’inscrivant dans un isolement culturel français plus général. En particulier, il affirme que le caractère international des conférences de l’IHP tient aux conditions érigées par la Fondation Rockefeller, acteur clé dans la construction

527. [Siegmund-Schultze, 2009].

528. « concrete, more traditional and institutionally backed », [Siegmund-Schultze, 2009, 257] 529. « abstract, youthful and intellectual », [Siegmund-Schultze, 2009, 257]

530. [Siegmund-Schultze, 2009, 272-280]. 531. Voir chapitre 1 et 2

de l’Institut533. Les travaux de Pestre et de Siegmund-Schultze mettent ainsi en évidence la situation particulière de l’IHP au sein de la faculté des sciences de Paris, à la frontière entre physique et mathématique et donc suivant des stratégies différenciées entre ces deux disciplines.

Les perspectives adoptées par ces deux auteurs privilégient l’étude des relations inter- nationales dans les analyses. Cependant, dans le cadre d’une analyse en terme de trans- fert culturel, telle que nous l’envisageons, ces relations interviennent dans un processus construit localement, et ce changement de perspective invite à reprendre une analyse de l’activité de l’IHP dans son ensemble. En outre, leur approche en terme d’histoire dis- ciplinaire ne permet pas de comprendre la spécificité de l’IHP qui revendique une place en partie frontalière entre les mathématiques et la physique. Nous revenons donc sur la construction et le fonctionnement de cet institut en tenant une analyse d’ensemble au plus près des acteurs.

Comme nous l’avons mentionné, la construction de l’IHP ne fait pas uniquement inter- venir la Fondation Rockefeller, mais également la banque Rothschild Frères, l’université de Paris, la faculté des sciences et le gouvernement français. Le projet fait l’objet de