• Aucun résultat trouvé

Partie III. La perception et l’adaptation à l’hypoxie

3. Perception et adaptation à l’hypoxie chez C albicans

Au sein de l’être humain, la principale niche de C. albicans est le tractus digestif, où les teneurs en oxygène sont réduites et proches de l’anoxie au niveau du côlon. Cette levure doit par conséquent percevoir et s’adapter efficacement aux variations en oxygène pour survivre dans cet environnement changeant. La réponse transcriptionnelle hypoxique de C. albicans est associée à une augmentation de l’expression des gènes de biosynthèse de l’ergostérol, des acides gras, de la paroi cellulaire, de la glycolyse et une réduction des gènes de la respiration (cycle de Krebs et phosphorylation oxydative) [147].

Tout comme les autres champignons, C. albicans ne possède pas d’orthologue de HIF qui est le régulateur central de l’adaptation à l’hypoxie chez l’être humain. De plus, C. albicans ne possède pas de système SREBP permettant la perception des stérols et donc indirectement de l’oxygène.

Chez C. albicans, le facteur de transcription Upc2 contrôle l’activation de biosynthèse de l’ergostérol [148, 149]. La fonction d’Upc2 chez C. albicans est similaire aux SREBP et permet de réguler la biosynthèse de l’ergostérol. La dépendance en oxygène de la biosynthèse de l’ergostérol a pour conséquence de provoquer une diminution en ergostérol membranaire lorsque l’oxygène se raréfie [150]. Afin de compenser cette réduction en ergostérol, le facteur de transcription Upc2 permet la surexpression des gènes de la biosynthèse de l’ergostérol. La quantité en ergostérol permet ainsi une perception indirecte de l’oxygène chez C. albicans, phénomène redondant chez les champignons. Selon les travaux de Synnott et al., l’expression de 409 gènes est modulée en hypoxie et elle est de 528 gènes chez le mutant upc2, mais seulement 66 gènes sont régulés à la fois par l’hypoxie et par Upc2 [151]. Parmi ces 66 gènes, ceux de la biosynthèse de l’ergostérol sont majoritaires. Les données de transcriptomique couplées aux données d’occupation du facteur de transcription Upc2 au niveau des promoteurs (ChIP-chip) ont confirmé que le facteur de transcription Upc2 régule les gènes de la biosynthèse de l’ergostérol (ERG1, ERG2, ERG5, ERG6, ERG11) en se fixant directement au niveau de leur promoteur [152].

Bien que chez C. albicans, la protéine Cph2 présente des similarités avec les protéines SREBP, en particulier au niveau du domaine de liaison à l’ADN, le clivage de Cph2 n’est pas dépendant de la teneur en ergostérol membranaire [153]. Chez C. albicans, Cph2,

l’homologue des SREBP ne régule donc pas la biosynthèse de l’ergostérol, toutefois, ce facteur de transcription est impliqué dans la réponse hypoxique. Les premières études avaient mis en avant l’importance de ce facteur de transcription pour la transition levure-filament [154], mais il s’est également avéré important pour la réponse hypoxique [153]. Les études de transcriptomique du mutant cph2 ont mis en évidence la modulation de l’expression de 183 gènes comparativement à la souche sauvage, parmi ces 183 gènes, 51 participent à la réponse hypoxique selon la précédente étude de Synnott et al [151]. La majorité de ces gènes sont impliqués dans le métabolisme glucidique et la fermentation tels que les gènes TDH3, PGK1, GPM1, ENO1, ADH1, ADH5, ALD5 et parmi les 51 gènes modulés communs à l’hypoxie et au mutant cph2, 43 % codent pour des enzymes impliquées dans des réactions d’oxydoréduction. Parmi tous les gènes modulés chez le mutant cph2, le facteur de transcription Cph2 se fixe sur le promoteur de seulement 8 de ces gènes selon les données de ChIP-seq de cette même étude. Ce qui suggère que la majorité des gènes modulés par Cph2 ne sont pas des cibles directes de ce facteur de transcription mais des cibles indirectes. Cph2 module l’expression du gène OFD1 qui code pour une oxygénase nécessitant de l’oxygène pour être active. Tandis que cette enzyme régule la stabilité de Sre1 chez S. pombe pour induire l’expression des gènes de l’ergostérol, chez C. albicans Ofd1 est connue pour réguler la stabilité du facteur de transcription Ume6 impliqué dans la formation des hyphes en fonction de la teneur en oxygène [155]. Pour le moment, il n’est pas connu si Ofd1 régule l’activité d’autres cibles que Ume6. Néanmoins, étant donné l’importance du gène CPH2 pour la réponse hypoxique, il semblerait possible que l’enzyme Ofd1 régule d’autres cibles que Ume6 en fonction de la teneur en oxygène.

Cph2 et Upc2 sont deux régulateurs de la réponse hypoxique. Cependant, seulement 10 gènes sont communs au transcriptome des mutants cph2, upc2 et de l’hypoxie, ce qui suggère que ces deux facteurs de transcription contrôlent des gènes impliqués dans la réponse hypoxique qui sont différents. Le double mutant cph2upc2 est totalement incapable de croître en hypoxie, tandis que le mutant cph2 ne présente pas de défaut de croissance et que le mutant upc2 présente uniquement une croissance limitée [153]. Cette interaction génétique confirme les données de transcriptomique qui suggèrent que les deux facteurs de transcription contrôlent des gènes distincts en réponse à l’hypoxie. Cph2 contrôle majoritairement les gènes de la glycolyse et de la fermentation tandis qu’Upc2 est un régulateur des gènes de

l’ergostérol. Ensemble Cph2 et Upc2 régulent 107 gènes de la réponse hypoxique, ce qui représente seulement 26 % des gènes hypoxiques, ceci suggère l’importance d’autres régulateurs impliqués dans la réponse hypoxique chez C. albicans.

L’hypoxie a pour conséquence d’augmenter la glycolyse chez C. albicans, tel que le démontrent les données de transcriptomique en condition de réduction d’oxygène [147]. Tye7 et Gal4 sont deux facteurs de transcription qui permettent l’activation de la glycolyse chez C. albicans [118]. L’analyse du transcriptome et de l’occupation de ces facteurs de transcription au niveau des promoteurs montrent que Tye7 et Gal4 régulent les gènes glycolytiques par action directe en se fixant au niveau des promoteurs de ces gènes. Alors que le mutant gal4 ne présente pas de défaut de croissance et que le mutant tye7 a seulement un défaut de croissance modéré en condition hypoxique, le double mutant gal4tye7 présente un défaut de croissance majeur spécifiquement en hypoxie. Tye7 et Gal4 sont impliqués dans l’activation des gènes glycolytiques en condition hypoxique. L’hypoxie est une condition à laquelle C. albicans est confronté lors des infections systémiques, le double mutant gal4tye7 est beaucoup moins virulent dans divers modèles d’infections systémiques. Étant dans l’incapacité d’adapter son métabolisme en fonction de la teneur en oxygène, le double mutant gal4tye7 ne peut survivre dans cette condition défavorable.

L’hypoxie induit la transition levure-filament chez C. albicans. Efg1 et Ace2 sont deux régulateurs de la réponse hypoxique qui contrôlent la filamentation en fonction de la teneur en oxygène [156]. Efg1 est plutôt un répresseur de la filamentation hypoxique, bien que son rôle soit ambivalent : il réprime la filamentation à des températures inférieures à 35 °C, alors qu’il l’active à 37 °C. Contrairement à Efg1, Ace2 est un activateur de la filamentation hypoxique indépendant de la température.

Ces deux facteurs de transcription ont un double rôle, ils contrôlent la filamentation et sont également des régulateurs du métabolisme. En condition normoxique, les profils transcriptionnels des mutants ace2 et efg1 montrent une sous-expression des gènes glycolytiques et de la fermentation tandis que les gènes de la respiration sont surexprimés [157, 158]. L’étude de Setiadi et al., démontre que le facteur de transcription Efg1 permet l’activation des gènes de la synthèse des acides gras insaturés en hypoxie (1,5 h) [147] . Les travaux de Stichternoth et Ernst, en étudiant le transcriptome à des temps plus précoces

(5 min-10 min-20 min) ont permis de mettre en évidence le rôle transitoire de Efg1 pour l’activation des gènes glycolytiques, du métabolisme du soufre, de la réponse aux ROS, et du métabolisme du fer en hypoxie [159].

Les analyses du transcriptome ont permis de démontrer l’importance des régulateurs Efg1, Upc2, Cph2, Tye7 en réponse à l’hypoxie. Cependant, ces études ont été réalisées après plusieurs heures d’adaptation en hypoxie (1,5 h et 3,5 h) [147, 151]. Or, la modulation du transcriptome hypoxique est très rapide, l’expression de 777 gènes est changée dès les 5 premières minutes après réduction de l’oxygène [160]. La réponse transcriptionnelle débute dès les premières minutes pour atteindre un pic à 20-30 min avec la modulation de plus de 1000 gènes, puis la réponse transcriptomique diminue et se stabilise au-delà de 40 minutes. Après 20 à 30 minutes d’exposition à l’hypoxie, les gènes de la glycolyse, de la fermentation et de la respiration sont modulés. Ce qui est cohérent avec l’induction hypoxique du gène du régulateur des gènes glycolytiques TYE7 de l’ordre de 5 fois et cela 15 minutes après réduction de la teneur en oxygène [118]. Les gènes de l’ergostérol et de la paroi cellulaire sont modulés à partir de 40 min, tels qu’observés dans l’étude de Synnott après 3,5 h d’hypoxie.

D’un point de vue transcriptionnel, la perception et l’adaptation à l’hypoxie peut se diviser en trois phases. Tout d’abord la perception très rapide et l’adaptation précoce, de l’ordre des minutes, avec une modification d’environ 12 % de l’expression du génome. Puis, 20 à 30 min après l’exposition à l’hypoxie, apparait la réponse métabolique durant laquelle la transcription des gènes de la glycolyse et de la fermentation est augmentée. Enfin, les gènes de la biosynthèse de l’ergostérol sont exprimés plus tardivement (40 min) et semblent correspondre à une signature transcriptionnelle stable de l’hypoxie.

Bien que les données transcriptomiques apportent des renseignements sur les gènes modulés et les régulateurs transcriptionnels impliqués, des questions persistent. Comment C. albicans perçoit-il l’oxygène ? Quels sont les senseurs qui transmettent l’information à la machinerie transcriptionnelle afin d’activer la réponse hypoxique ?

La mitochondrie, qui consomme de l’oxygène afin de produire de l’ATP pourrait réguler la réponse hypoxique. En hypoxie, la membrane mitochondriale se dépolarise, provoquant une augmentation de la génération des ROS et une diminution de la production d’ATP.

Les études sur les cellules mammifères ont démontré l’importance de la mitochondrie pour l’adaptation hypoxique, pour lesquelles le régulateur central de la réponse hypoxique est HIF. En absence d’oxygène, la protéine HIF-α ne peut plus être hydroxylée par l’enzyme PHD qui est dépendante de l’oxygène et du 2-oxoglutarate (un intermédiaire du cycle de Krebs). Les ROS, en particulier l’H2O2 inhibent l’activité de la PHD, empêchant alors la dégradation de HIF-α et participent ainsi à la signalisation hypoxique [161].

Peu de choses sont connues chez C. albicans; cependant une exposition des levures au CCCP (carbonylcyanure m-chlorophénylhydrazone), un agent découplant qui abolit le potentiel membranaire mitochondrial présente une réponse transcriptomique similaire à l’hypoxie [160]. Ceci laisse supposer l’importance de la mitochondrie pour la perception et l’adaptation au manque d’oxygène. Lorsque l’oxygène se raréfie, la chaîne de phosphorylation oxydative mitochondriale est perturbée, le potentiel membranaire mitochondrial chute, la production des ROS augmente, perturbant de ce fait le statut redox des cellules, la quantité d’ATP produite est moindre, ce qui engendre une modification du ratio ATP/ADP.