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Partie IV. Le remodelage de la chromatine

Chapitre 4. Discussion et perspectives

1. Le métabolisme hypoxique

1.3 Homéostasie du statut énergétique et équilibre redox

Il est également important de noter que l’activité des enzymes métaboliques peut être influencée par les ratios ADP/ATP ou AMP/ATP mais aussi par l’équilibre redox en particulier par le ratio NAD+/NADH ce qui ajoute un autre niveau dans la boucle de régulation. L’homéostasie de ces différents ratios est donc importante et permet le contrôle de ces enzymes. Par exemple dans les cellules mammifères, l’enzyme Pfk1 est stimulée par un ratio ADP/ATP et AMP/ATP élevé [198]. Chez C. albicans il a été démontré que le ratio NAD+/NADH serait un régulateur de la glycolyse [199]. Un faible ratio NAD+/NADH diminue l’activité de l’enzyme glycéraldéhyde-3-phosphate déshydrogénase (Tdh3) qui devient alors l’étape limitante de la glycolyse. L’ajout d’inhibiteurs de la respiration tels que le cyanide ou l’antimycine A, perturbent le ratio NAD+/NADH et ont ainsi également un effet inhibiteur sur la glycolyse. Cette étude a également démontré que l’effet des inhibiteurs respiratoires peut être partiellement aboli par l’ajout de peroxyde d’hydrogène (H2O2). Ces résultats soulèvent l’importance du ratio NAD+/NADH et plus largement l’importance de l’équilibre redox dans le contrôle du métabolisme.

La déplétion en oxygène a pour conséquence de limiter la respiration, car l’oxygène en tant qu’accepteur final d’électrons est nécessaire au fonctionnement de la chaîne respiratoire mitochondriale. La cellule doit donc s’adapter rapidement afin de passer d’un mode respiratoire à fermentaire, ce dernier étant non dépendant en oxygène afin de produire

de l’ATP et de réoxyder le NADH produit par la glycolyse. Il en résulte un changement métabolique important et une modification de l’équilibre redox. Afin de réoxyder le NADH en NAD+, les organismes peuvent utiliser diverses stratégies en plus de la fermentation. Chez le champignon Aspergillus nidulans, la dénitrification est un processus permettant d’utiliser le nitrate comme accepteur final d’électron afin de régénérer du NAD+ en condition hypoxique [200]. Cependant ce mécanisme est absent chez C. albicans. En hypoxie, A. nidulans utilise également la production d’acides aminés ramifiés (BCAA) (leucine, isoleucine et valine) à partir du pyruvate afin de rééquilibrer le déséquilibre causé par la réduction de la respiration [201]. Chez les cellules tumorales de glioblastome qui sont dans un microenvironnement hypoxique, il a été observé que le régulateur central de la réponse hypoxique HIF permet l’activation de la transcription des gènes de la biosynthèse des BCAA et ainsi permet la reprogrammation du métabolisme des BCAA en condition hypoxique [202]. Ce phénomène n’est pas connu en réponse à l’hypoxie chez C. albicans. Nos données de transcriptomique et métabolomique montrent une augmentation des gènes de la biosynthèse de ces acides aminés (ILV1, ILV3, ILV5, LEU1, LEU2, CHA1, orf19.7404) aux temps 10 et 20 minutes après exposition à l’hypoxie, ceci corrèle avec une augmentation des acides aminés correspondants. Cependant, au temps le plus tardif que nous avons testé (180 minutes d’exposition à l’hypoxie), ces gènes sont réprimés et la quantité en acides aminés est réduite par rapport à la condition normoxique. L’augmentation de la biosynthèse des acides aminés branchés ne semble par conséquent pas un phénomène d’adaptation au déséquilibre redox sur le long terme chez C. albicans comme retrouvé chez certains champignons filamenteux.

1.3.1 Production de glycérol

L’analyse du métabolome a révélé que dans nos conditions, il y a une augmentation du NAD+ et une réduction du NADH dès les 10 premières minutes après l’exposition à l’hypoxie et cela reste stable jusqu’au dernier point que nous avons mesuré à 180 minutes. Ceci peut s’expliquer par une activation de la biosynthèse du glycérol qui utilise du NADH et génère du NAD+. Cette hypothèse est corroborée par l’augmentation de la transcription des gènes de la biosynthèse du glycérol ainsi que l’augmentation du glycérol intracellulaire

en condition hypoxique que nous avons observé. La croissance sous forme de biofilm est un environnement hypoxique. Lorsque les levures de C. albicans sont en biofilm, il y a une induction de la transcription des gènes de la biosynthèse du glycérol (GPD1, GPD2, RHR2) et une accumulation de l’ordre de 5 fois de glycérol comparativement aux cellules planctoniques [203]. Chez la levure S. cerevisiae, le glycérol est considéré comme un sous- produit de la fermentation, sa biosynthèse permet de consommer du NADH et générer du NAD+ afin de maintenir un équilibre redox en condition où la teneur en oxygène disponible est réduite [204]. La délétion des gènes impliqués dans la biosynthèse du glycérol provoque une augmentation de la teneur en NADH et altère la croissance hypoxique chez S. cerevisiae [205]. Nos résultats ainsi que les données de la littérature suggèrent le rôle de la biosynthèse du glycérol en réponse à l’hypoxie dans le but de contrecarrer le déséquilibre redox. Afin de confirmer l’importance de la biosynthèse hypoxique du glycérol chez C. albicans, il serait intéressant de tester la croissance hypoxique des mutants des gènes impliqués, ainsi que mesurer le ratio NAD+/NADH.

1.3.2 Détoxication des ROS et génération du NADPH par la voie des pentoses phosphates

Le principe biochimique d’une réaction redox consiste au transfert d’électrons ou d’équivalents réducteurs entre des molécules. Par exemple, lors de la glycolyse ou du cycle de Krebs, les intermédiaires métaboliques sont oxydés par des déshydrogénases qui enlèvent des électrons à ces intermédiaires et réduisent le NAD+ en NADH. Ces réactions redox sont souvent à l’origine de la production de ROS. La mitochondrie est l’organelle fournissant à la cellule la plus grande partie de l’énergie cellulaire via la respiration et est la principale source de production de ROS. Le principe de fonctionnement de la chaîne de phosphorylation oxydative consiste au transfert d’électrons entre les divers complexes, il arrive que des électrons échappent à ce transfert, ce qui a pour conséquence de ne pas réduire complètement le dioxygène (O2) en eau (H2O) et ainsi produit des ROS. Cependant, lorsque la teneur en oxygène se réduit, la chaîne de phosphorylation oxydative est perturbée causant une augmentation de la production de ROS tels que l’anion superoxyde (O2-•) [206]. Les principaux ROS retrouvés sont l’anion superoxyde (O2-•), le radical hydroxyle (OH•) et le

peroxyde d’hydrogène (H2O2). Tandis qu’une faible quantité de ROS est tolérée par la cellule et est considérée comme un sous-produit du métabolisme, de fortes concentrations en ROS causent du dommage cellulaire en s’attaquant aux protéines, aux lipides et à l’ADN.La cellule possède diverses enzymes antioxydantes pour permettre la détoxification des ROS. Les enzymes superoxydes dismutases (SOD) transforment l’anion superoxyde en peroxyde d’hydrogène. Puis les catalases convertissent le peroxyde d’hydrogène en dioxygène et en eau. Le peroxyde d’hydrogène peut également être converti en eau par des peroxydases comme les glutathion peroxydases et les thiorédoxines, qui utilisent le NADPH comme co-facteur.

La régénération du NADPH est réalisée au niveau cytoplasmique par la voie des pentoses phosphates. Après transformation du glucose en glucose-6-phosphate, ce dernier peu soit continuer dans la voie de la glycolyse ou bien se diriger dans la voie des pentoses phosphates. L’hypoxie induisant une augmentation des ROS, la cellule doit être capable de fournir le NADPH nécessaire aux peroxydases. Nos données transcriptomiques et métabolomiques montrent que la voie des pentoses phosphates est activée en réponse à l’hypoxie, indiquant que C. albicans module son métabolisme glucidique afin de répondre au stress oxydatif en activant cette voie. Des études sur les cellules mammifères ont démontré que le changement de flux métabolique au profit de la voie des pentoses phosphates est un phénomène très rapide de l’ordre des secondes et il est indépendant de l’activation transcriptionnelle qui intervient plus tardivement après quelques minutes [207]. Ce changement de flux en faveur de la voie des pentoses phosphates se produit à la suite de l’activation de la première enzyme de la voie : la glucose-6-phosphate déshydrogénase (G6PDH) qui semble être régulée directement par le NADPH.

Cependant, l’activation de la voie des pentoses phosphates n’a pas uniquement pour rôle de générer du NADPH en réponse au stress oxydatif, elle permet également l’activation de l’expression des gènes de la réponse au stress chez la levure S. cerevisiae [208]. En effet, les réseaux métaboliques sont interconnectés avec la réponse transcriptionnelle et un changement métabolique tel que l’augmentation de flux dans la voie des pentoses phosphates provoque un changement du transcriptome. Cette activation pourrait se faire par des métabolites dits rapporteurs, c’est-à-dire des métabolites intermédiaires qui provoqueraient

une réponse transcriptionnelle en interagissant directement avec les régulateurs permettant une modification de l’assemblage de la chromatine et une réduction de la respiration. La réponse au stress oxydatif peut ainsi se décomposer en deux phases : la première étant une activation du flux en faveur de la voie des pentoses phosphates de l’ordre des secondes, puis 2 à 3 minutes après exposition au stress, des métabolites rapporteurs permettent l’activation de la réponse transcriptionnelle au stress oxydatif.

La réponse au stress oxydatif est particulière, car il s’agit principalement d’une réponse métabolique et plus précisément une augmentation du flux de métabolites dans des voies particulières : biosynthèse du glycérol et voie des pentoses phosphates. Ceci n’est pas limité à C. albicans et s’applique également de multiples organismes. Similairement à C. albicans, chez le parasite Entamoeba histolytica, qui possède peu de systèmes de défense contre le stress oxydatif,l’induction de la biosynthèse du glycérol a un effet protecteur contre ce type de stress [209]. De plus, chez la bactérie Salmonella enterica, l’absence de fonctionnement de la voie des pentoses phosphates chez des mutants rend la bactérie non virulente dans un modèle d’infection murin [210].

Ces voies métaboliques pourraient donc être des potentielles cibles thérapeutiques pour lutter contre les pathogènes. La voie des pentoses phosphates est proposée comme cible thérapeutique contre le parasite Plasmodium falciparum. En effet l’inhibition de l’enzyme G6PDH (première enzyme de la voie) par l’acide ellagique inhibe la croissance du parasite et agit en synergisme avec les médicaments antipaludiques [211].

Plus généralement, le métabolisme peut être une cible thérapeutique pour traiter diverses pathologies. Par exemple, l’inhibition de la voie du métabolisme de la tyrosine dans le cadre de cancers de type glioblastome s’avère très bénéfique et pourrait-être employée en combinaison avec les thérapies anticancéreuses [212].