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Perception de l’attitude des intervenants

CHAPITRE 5 : LA PAROLE AUX PARENTS ADOPTIFS BANQUE-MIXTE

5.10 Quand cogner à plusieurs portes n’entraîne pas l’aide espérée

5.10.1 Perception de l’attitude des intervenants

Il nous semble important de commencer cette section en parlant du sentiment ressenti par les participantes d’être jugées sévèrement par les intervenants de différents milieux (garderie, école, juges, avocats, policiers). Les participantes expriment ressentir

ardemment ce regard désapprobateur et avoir le sentiment qu’il y aura sans cesse quelqu’un pour critiquer leurs méthodes éducatives et leurs interventions. Elles partagent aussi l’impression de devoir se justifier pour contrer le jugement, pour démentir cette fausse image qu’on leur projette d’elles-mêmes, pour survivre à ces micros-agressions régulières.

Elles racontent que quand elles se retrouvent devant un intervenant duquel elles se sentent jugées, il leur est difficile de s’investir dans un processus d’aide, même si elles le veulent ardemment. Ce sentiment était présent dans plusieurs des situations difficiles qu’elles ont racontées avoir vécu en lien avec l’aide recherchée et obtenue.

D’abord, les participantes ont exprimé avoir parfois du mal à dire qu’elles ont besoin d’aide, car elles ont le sentiment de ne pas être crues quand elles expriment des difficultés. Il est important de noter que comme l’enfant se désorganise souvent uniquement en présence des parents et parce que l’enfant est souvent calme et coopératif en présence des intervenants scolaires ou en présence de la famille élargie, elles ont l’impression de devoir sans cesse justifier leur besoin d’aide parce qu’il n’est pas apparent de l’extérieur.

Parce que beaucoup de monde dans ma famille, tsé, ils me disent souvent, là : « Tsé, mais oui, mais il est génial ton enfant ! Il est donc bien merveilleux ! ». Fait que là, tu te dis : « Ouais, quand je vais aller chercher de l’aide, est-ce qu’ils vont me dire la même affaire ? Que mon enfant est dont bien merveilleux ! ». Ils ne comprennent pas pourquoi j’ai besoin d’aide ? (Parent 8).

Elles ont aussi l’impression de ne pas être pas entendues, que les intervenants ne portent pas attention à leur message de détresse et à l’urgence de la situation, comme si on s’attendait de leur part à ce qu’elles réussissent leur rôle, sans besoin d’aide. Ainsi, elles doivent insister, mettre beaucoup de temps et d’énergie pour demander de l’aide. L’une des participantes dit que le fait d’appeler régulièrement pour demander de l’aide lui donne l’impression de se faire mettre une étiquette qui lui fait perdre sa crédibilité : « Tsé, tu as l’air comme d’une hystérique » (Parent 6). Les participantes sentent qu’elles manquent de reconnaissance car même quand on les invite aux différents plans d’intervention, qu’on fait mine de prendre leur opinion en compte, dans le concret, elles ont peu de pouvoir. Dans le

milieu scolaire, par exemple, certaines participantes racontent que les intervenants gardent le gros bout du bâton et peuvent décider de changer d’orientation sans l’aval des parents.

Ce qui les rend méfiantes à redemander de l’aide. Elles n’ont plus confiance aux différents intervenants. Enfin, l’ampleur des difficultés des enfants est difficile à concevoir pour les gens extérieurs à la famille. Plusieurs participantes ont l’impression que certains intervenants veulent minimiser les difficultés de leurs enfants pour les encourager.

Fait que c’est comme si tout le monde se voulait rassurant, tout le monde cherchait à normaliser. À me dire « Bien tsé, c’est encore un âge où on n’est pas sûr. ». Puis au fond de moi, je le voyais qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas à partir de 3 ans et demi (Parent 4).

Enfin, les parents ont l’impression de devoir toujours se justifier, défendre les intérêts de leur enfant, être leur propre avocat. Pour eux, cela est dû au fait que les intervenants ne connaissent ou ne comprennent pas les enjeux spécifiques à l’adoption, à l’attachement et au trauma complexe, omniprésents dans leurs histoires. Par ailleurs, pour les parents, se justifier demande un effort considérable : c’est un sentiment d’être sans cesse en train de batailler pour obtenir des services adéquats, ajouté au fait qu’ils se sentent souvent impuissants face au système. Les parents ont l’impression de n’être pas pris réellement en considération bien qu’ils connaissent mieux que quiconque leurs enfants et leurs besoins. Comme si leur lecture de la situation n’était pas plausible et que le fait d’être parent les place en position vulnérable face à des experts qui, eux, ont la bonne lecture.

L’une des participantes raconte comment elle s’est fait dire par l’éducatrice de ses filles que c’était elle le problème, car celle-ci ne voyait pas de difficultés pour les enfants.

Puis là je suis revenue au CPE en disant : « Écoutez, il y a quelque chose qui ne marche pas. ». J’ai dit : « Vous me dites que mes enfants fonctionnent bien en groupe. Moi ce n’est pas ça que je vois. ». Elle a dit : « Bien ça doit être vous. ». Fait que tu sais, c’était moi le problème! (Parent 4).

Les comportements de leur enfant sont tellement hors normes qu’elles perçoivent qu’on les rend responsables de ceux-ci, comme si elles n’étaient pas adéquates comme parents. « Pis théoriquement, c’est toujours de la faute du parent. Fait qu’il faut toujours que tu te défendes à dire, mais, non, mais là, c’est plus compliqué, (rire). Fait que t’as l’air du mauvais parent. » (Parent 1). C’est d’autant plus difficile pour elles parce qu’elles

racontent avoir l’impression d’avoir été fortement cautionnées dans leur rôle, par les services de la protection de la jeunesse et d’échouer dans un des rôles les plus important de leur vie.

Tsé, c’est ça, ils nous disent qu’on a passé tous les tests possibles pour dire qu’on était des bons parents. Puis là, tu es en train de dire qu’on a fait…

qu’on n’a pas réussi dans ce qu’eux autres qualifiaient comme… On était des bons parents ! Tsé, ils sont là puis ils nous étudient de long en large ! Notre vie sexuelle, tout ! Ils ont tout étudié, là. Puis là, tu es bon, puis là tout d’un coup, tu échoues, tu dis : « Voyons, crime », c’est dur d’accepter d’échouer […] Tout le monde a une opinion sur la DPJ, mais là, tu te dis :

« Aïe ! Eux autres qui enlèvent les enfants au monde, ils ont considéré que toi, tu étais un excellent parent ! », c’est quelque chose, là, c’est comme si tu avais eu un diplôme, tsé, du gouvernement qui te dit que tu es vraiment hot ! Puis là tu échoues ! Tu as l’impression que tu peux pas échouer quand t’as la DPJ, elle-même, qui t’a attribué le titre de bon parent. C’est difficile (Parent 8).

Certaines sentent même qu’elles sont considérées responsables des crises de violence de leur enfant. Voici comment un parent nous le raconte :

Là on est dans ça, les policiers débarquent, mais c’est des nouveaux à chaque fois. Ils ne savent pas c’est qui cette affaire-là. Donc ils veulent comprendre qu’est-ce qu’on a fait pour le mettre en rogne de même ? Ainsi de suite, donc c’est dur à vivre ça. Tsé, émotivement parlant, c’est tuant (Parent 10).