• Aucun résultat trouvé

Lectures des causes des difficultés avec l’enfant

CHAPITRE 5 : LA PAROLE AUX PARENTS ADOPTIFS BANQUE-MIXTE

5.7 Lectures des causes des difficultés avec l’enfant

Nous avons demandé aux participantes de nous dire ce qui explique, selon elles, les difficultés qu’elles ont vécues avec leur enfant. Il ressort que pour elles, les causes principales sont attribuables à l’enfant et son milieu d’origine. Certaines disent qu’elles ont aussi une part de responsabilité, de même que le couple ou la famille. Il est clair que pour la majorité des participantes, les problématiques, diagnostics et comportements difficiles de l’enfant sont les causes principales des difficultés. S’ajoutent à cela ses origines, son histoire, comme la pauvreté des liens avec ses parents d’origine et la pauvreté matérielle qu’il a pu vivre, qui ont un impact sur lui.

Le mauvais jumelage a été nommé comme cause des difficultés par certaines participantes. Elles rappellent l’importance de s’assurer que tous les tests ont été faits pour un enfant avant de statuer pour son projet de vie, par un placement en Banque-mixte. Elles ajoutent que parfois, il serait souhaitable que les Centres Jeunesse prennent plus de temps

pour connaître les problématiques des enfants, afin de les placer dans des familles prêtes à les prendre en toute connaissance de cause, avec un portrait le plus conforme possible de la situation des enfants. L’une d’elle a carrément l’impression d’avoir été bernée par les intervenants. Elle exprime qu’on lui a donné de fausses idées face au développement de l’enfant, quant à son histoire et qu’elle s’est embarquée sans avoir une idée réaliste de ce qu’elle pourrait vivre. L’écart entre la réalité et ce qu’elle s’est imaginée à travers la description des intervenants génère beaucoup de frustration.

Mais tsé, nous, il a été présenté comme un cadeau du ciel, comme un enfant comme il n’y en a pas, puis en réalité c’est un polytraumatisé, tsé. Fait que là, il me semble qu’entre un cadeau du ciel puis un polytraumatisé, il y a comme une grosse marge (Parent 6).

D’autres participantes pensent que l’enfant a été mal évalué, qu’il n’était peut-être pas capable d’aller vivre dans une famille Banque-mixte tout de suite, mais uniquement après avoir soigné ses traumas. « Peut-être qu’il aurait fallu qu’il soit, mettons, une couple de mois en réadaptation pour les tout-petits. Puis là, après ça, jumelé à une famille d’accueil. » (Parent 6). Pour ce parent, la situation était déjà vouée à l’échec à cause des nombreux déplacements et traumatismes qu’avait connus son enfant. Quelques participantes pensent que l’enfant, dès le départ, n’était pas adoptable ou ont entendu des intervenants parler de non-adoptabilité de l’enfant et partagent cet avis.

C’est un psychoéducateur qui travaillait sur la rive-sud, je sais pas dans le cadre de quoi, puis il avait dit : « Les enfants… Ce n’est pas tous les enfants qui sont aptes à être adoptés. ». Puis cette phrase-là m’avait marquée puis je pense qu’elle s’applique à [nom de l’enfant]. Cet enfant-là, je suis pas sûre qu’il était apte, qu’il pouvait être adopté. Ses blessures étaient trop profondes, tsé (Parent 9).

Quelques participantes expriment avoir aussi une part de responsabilité face aux difficultés parce qu’elles n’ont pu prévenir les crises, par exemple. D’autres disent que leur propre exigence de réussite et de devoir tout bien faire engendre une pression de performance difficile à supporter face au sentiment de ne pas y arriver. Cette pression a aussi des répercussions sur l’enfant.

Il m’a dit quelque chose récemment, pour dire que « T’es jamais contente

! ». être … je l’ai étouffé d’amour. Je l’ai peut-être surprotégé. Peut-être que j’ai essayé de trouver des solutions à tout. Alors qu’il ne voulait pas de solution à tout (Parent 3).

Un des couples exprime que le manque de connaissance de ce qu’est la parentalité a engendré certaines difficultés. Ils expliquent que comme ils ont été eux-mêmes des enfants obéissants, ils croyaient que devenir parent serait naturel. Ils ajoutent que par l’éducation qu’ils ont reçue, ils n’ont pas appris à être des parents encadrants, sécurisants.

« On était gentils, on était fins, on était aimants mais pas nécessairement comme sécurisant pour un enfant en trouble d’attachement. Tsé, pas nécessairement qu’est-ce que lui, il avait besoin. » (Parent 6).

Certaines participantes expriment comment leurs propres vulnérabilités ou celles de leurs conjoints viennent jouer dans leurs réactions respectives face à toutes ces situations. « Parce que ces enfants-là cherchent toujours à trouver ta faille puis à te faire réagir. » (Parent 6). Les traumas du passé entrent dans la danse.

C’est l’histoire de ma femme, c’est l’histoire de son passé, c’est l’histoire d’abus et tout le reste, ça fait partie d’elle. Moi je le sais ça, puis je comprends qu’il peut y avoir parfois des réactions émotives qui ne sont pas la femme sensée qu’elle est. C’est la femme blessée (Parent 10).

Une des participantes exprime bien comment son passé a un impact direct sur son histoire actuelle avec ses filles. Mais ces histoires passées qui remontent à la surface, même si elles sont difficiles à affronter pour certaines, sont quand même vues comme de belles occasions de grandir.

Mais là, si tu veux, c’est qu’on rentre dans une autre dynamique qui est notre propre vécu. Et moi je réalise que moi-même, j’étais probablement en trouble de l’attachement à la base. Fait que je me soigne. Mais c’est le … Je n’ai pas des parents qui ont joué avec moi, même au contraire, j’ai été amenée à être très, très responsable très jeune. Fait que tout le côté jeu, ce n’est pas quelque chose avec lequel j’étais à l’aise au départ. Fait que ça me demande beaucoup, beaucoup de travail sur moi (elle devient émotive). Là ça fait 8 mois que je suis en thérapie, à toutes les semaines, puis j’en ai

encore pour longtemps. Juste pour être capable de, de, d’assumer pleinement ce rôle de maman-là puis leur offrir ce qu’elles ont besoin (elle est émue), puis de m’apporter, moi, le soutien que j’ai besoin pour les soutenir. Fait que, j’ai envie de te dire c’est un défi qui… Tsé, je t’en parle avec émotion, mais ça devient une super belle opportunité de grandir aussi (Parent 4).

Concernant la participante de notre échantillon qui ressent de la culpabilité quant au fait d’avoir adopté en tant que mère monoparentale, elle pense que le fait que son enfant n’ait pas eu de père lui a créé une souffrance si grande que c’est la raison pour laquelle c’est difficile avec lui.

La dynamique de couple peut aussi avoir contribué à accentuer les difficultés. Une participante exprime que l’horaire atypique de son conjoint ne permettait pas à ce dernier d’être présent aux périodes charnières de la vie quotidienne et que par le fait même, l’enfant s’est habitué à lui demander à elle de répondre à ses besoins. Elle a reconnu qu’il lui était plus simple de continuer à agir ainsi même en présence de son conjoint car l’enfant l’exigeait, et cela évitait les crises : une dynamique qu’elle questionne aujourd’hui. « Peut-être que je n’ai pas laissé assez de place à [nom du conjoint]. [Nom de l’enfant] ne lui laissait pas la place non plus, ça, c’est certain. » (Parent 2).

Comme nous l’avons dit en parlant des impacts sur la vie de couple, toutes les participantes vivant en couple ont admis vivre des conflits avec le conjoint à un moment donné ou un autre, que ce soit pour une question d’éducation ou d’intervention, de compréhension de l’enfant, de façon d’envisager l’avenir avec lui ou de soutien mutuel plus ou moins difficile à s’offrir. Bien que certains demeurent capables de se rallier dans l’intervention, de se retrouver, pour d’autres, c’était une difficulté majeure qui s’ajoutait, qui pouvait envenimer la situation. Certaines participantes ont exprimé comment les difficultés de l’enfant, combinées à l’incohérence dans le couple, ont contribué à créer de la chicane dans le couple. L’enfant spécialiste de la triangulation jouait entre ses parents en demandant à l’un une chose et changeant la question pour l’autre de façon à obtenir ce qu’il voulait, mais en créant la zizanie entre ses parents.

On s’est dit : « Ok, il faut qu’on redevienne des vrais coéquipiers. ». Il y a une dimension d’amour du couple, conjugal, de parents. Mais dans le cas d’un enfant avec des graves problèmes comme ça, il faut en plus être très cohérents, puis on ne l’était pas. […] On ne prenait pas toujours la peine de valider auprès de l’autre : « Est-ce qu’il te l’a déjà demandé ? Quelle réponse tu as donnée ? » […] Fait qu’on était beaucoup dans notre incohérence, l’un par rapport à l’autre, puis des fois, à s’engueuler parce que va donc… « Je lui avais dit non, déjà ! » « Bien ok, je n’ai pas pris la peine de… » puis de s’excuser, ainsi de suite (Parent 10).

Autant les parents reconnaissent ce qui a été difficile, ils peuvent reconnaître également quand les choses s’améliorent. Ils sont aussi capables de voir comment leur propre évolution personnelle a un impact sur celle de leur enfant. « Il se contrôle plus parce que je suis plus en contrôle, parce qu’il me sent peut-être plus solide. Il me sent moins anxieuse. Je suis plus directive. » (Parent 2). Quand le parent comprend que son enfant n’est pas comme les autres, il arrive qu’il découvre avoir lui-même à changer ses méthodes d’intervention, ses façons d’être, à faire en lui une place, un espace, pour l’enfant tel qu’il est, permettant cette amélioration.

Tsé, j’essaie aussi de pouvoir les regarder comme deux petites filles puis de les inviter à être aussi telles qu’elles sont, là, tsé. Puis de… De ne pas toujours être : « non, ce n’est pas ça, calme-toi! », tout ça. D’être dans un processus d’accueil, […] puis de trouver, moi, de l’espace pour accueillir ça, puis les aider (Parent 4).