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L’enfant adopté ayant un trauma complexe : un petit terroriste de maison

Dans le document UNIVERSITÉ DU QUÉBEC MÉMOIRE PRÉSENTÉ À (Page 114-121)

CHAPITRE 6 : DISCUSSION

6.1 L’enfant adopté ayant un trauma complexe : un petit terroriste de maison

Pour mettre en relief les thèmes les plus importants de notre recherche, parlons d’abord des enfants de l’échantillon et des manifestations liées au trauma complexe que leurs parents décrivent. D’emblée, il faut rappeler que ces manifestations de comportements difficiles chez les enfants faisaient partie des critères de sélection. Par contre, les participantes ont reconnu chez leurs enfants, en plus des difficultés comportementales, les mêmes difficultés liées au trauma complexe que celles rapportées par plusieurs des recherches préalablement citées (Follan & Mcnamara, 2014; Suetterlein, 2007; Vasquez & Stensland, 2016). Tous ces comportements peuvent résulter des différents traumatismes vécus dans la petite enfance et peuvent avoir des impacts sur le développement du cerveau et des fonctions exécutives, sur la capacité de l’enfant à s’autoréguler sur les plans comportemental et affectif, sur le développement de leur identité

et de leurs états de conscience, entre autres (Godbout et al., 2018). Ces traumas ont aussi un impact sur la capacité de l’enfant à développer un attachement sain avec son parent adoptif puisqu’il n’a pas appris à faire confiance à ses parents d’origine (Cook et al., 2005;

Côté & Le Blanc, 2016). Trop souvent, ces derniers ont engendré une réaction de peur chez l’enfant et n’ont donc pas offert le soutien nécessaire et encore moins la protection pour passer d’un état de stress extrême à un état de bien-être. Il importe d’ajouter que même si le trauma complexe n’est pas un diagnostic en soi, les comportements difficiles qu’il engendre chez l’enfant, comme les comportements de défi, de rejet et les difficultés d’attachement, ont un impact majeur sur le parent adoptif tentant de créer un lien avec son enfant adoptif. Les parents rencontrés dans le cadre de la présente recherche l’ont bien exprimé lorsqu’ils verbalisaient les expériences vécues avec leurs enfants de leur arrivée dans la famille jusqu’au moment de l’entretien.

Un des résultats inattendus de la présente recherche a été de constater le haut niveau de violence exprimée par le jeune. Cette violence psychologique et physique est présente dans l’expérience de l’ensemble des participantes, à des intensités variables. Elle se présente par des manifestations multiples : envers les objets, les animaux, les autres enfants, la fratrie. À la lumière des écrits sur le trauma complexe, il était prévisible de s’attendre à des comportements difficiles, mais pas à des histoires aussi percutantes de violence. Un des constats majeurs de la présente recherche a été de découvrir le niveau de violence vécue par les parents eux-mêmes de la part de leur enfant et du secret l’entourant.

En effet, les parents ont parlé de comportements difficiles, tels que nous les avions nommés, mais aucune d’entre elles ne s’est dite victime de violence de la part de leur enfant. Nous avons fait une courte recension sur le sujet de la violence des enfants envers leurs parents adoptifs et avons réalisé que très peu d’écrits existent sur le sujet. En effet, seule l’étude de Selwyn et Meakings (2016) a été recensée. Réalisée au Royaume-Uni, elle porte sur la violence d’adolescents adoptés à l’égard de leurs parents adoptifs. Dans cette étude, les parents adoptifs ont décrit avoir été agressés, intimidés, menacés, enfermés dans des chambres, s’être fait voler de l'argent, cacher des téléphones portables, endommager des biens et même prendre en otage dans leur maison. Certains jeunes ont utilisé des armes : des couteaux le plus souvent, mais aussi des ciseaux ou d'autres instruments qui sont venus

à leur portée. Ces expériences ont aussi été décrites par les participantes de notre recherche.

Selon Selwyn et Meakings (2016) et Holt (2015) dont l’étude porte sur la violence des adolescents envers leurs parents biologiques, les parents exprimaient « vivre dans la peur », avoir le sentiment de devoir marcher sur des œufs ou de vivre avec dr. Jekyll & M. Hyde, ce que certaines de nos participantes ont aussi partagé. L’une d’elle raconte bien comment elle tente de faire les choses telles que son fils le veut pour éviter les conflits (descendre l’escalier avant ou après lui, se brosser les dents avant lui, par exemple). Ces gestes expriment comment la peur de l’explosion est présente dans leur quotidien et qu’elles sont en hypervigilance. Selwyn et Meakings (2016) rapportent que les parents ont dit avoir changé leur type de parentalité pour se protéger eux-mêmes ou leurs autres enfants. Les parents ont parlé de séparer les tâches entre eux de façon à ce que l’un s’occupe de l’enfant violent et l’autre des autres enfants et de la maisonnée. Pour faire face aux difficultés et aux comportements violents, les participantes à la présente étude ont aussi partagé des moyens mis en place pour permettre d’intervenir avec l’enfant, comme la garde partagée séparée pour les jumelles par exemple, ou le fait de se relayer auprès de l’enfant en crise pendant que l’autre parent s’occupe de la fratrie.

Selwyn et Meakings (2016) présentent deux modes d’apparition des comportements violents envers les parents. Le premier, le child-to-parent violence (CPV) a une apparition précoce (pré-puberté) avec escalade graduelle de la gravité à l'adolescence.

Le second, l’adolescent-to-parent violence dont l'apparition est tardive (à partir de la puberté) présente une apparition soudaine de comportements de contrôle agressifs dont la fréquence et l'intensité augmentent rapidement. Les auteurs rapportent que les jeunes de leur échantillon dont la violence est apparue à l’adolescence ont tous été placés à cause de celle-ci contrairement à 46% des enfants de leur échantillon dont la violence a commencé dans l’enfance. Les résultats de leur étude suggèrent que les comportements agressifs et contrôlants apparus au début de l'adolescence ont peu de chances de disparaître et que c’est la raison pour laquelle les intervenants doivent apprendre à en reconnaître les signes précurseurs de façon à s'assurer qu'il y ait une intervention précoce pour éviter que ces comportements se développent à l’adolescence (Selwyn & Meakings, 2016). Intervenir précocement pourrait contribuer à éviter des placements ou même des échecs d’adoption.

Selon les participantes à la présente étude, leurs enfants ont manifesté de la violence à tous âges, mais il semble qu’elle ait été présente dès le jeune âge dans la majorité des cas.

De quelle manière pouvons-nous tenter d’expliquer cette violence à la lumière du modèle du trauma complexe ? Des études tirées de la recension de Selwyn et Meakings (2016) proposent d’emblée l’association entre l’expérience de maltraitance dans l’enfance et le développement de comportements agressifs. Selon ces études, les mécanismes de cette association demeurent confus. L’enfant apprend peut-être que d’être contrôlant constitue une bonne manière de gérer les conflits, il peut idéaliser l’agresseur et reproduire ses comportements, ou comprendre que l’agressivité envers les femmes est acceptable.

D’autres auteurs, toujours dans la même recension, ajoutent que l’enfant ayant des enjeux au niveau de l’attachement, de son identité et du concept de soi peut chercher à prendre le pouvoir dans une relation. Il est aussi possible de considérer certaines des altérations dans les domaines de fonctionnement chez les enfants ayant un trauma complexe (Godbout et al., 2018) pour tenter une explication. Par exemple, on peut dire que la violence est une manifestation des comportements dysfonctionnels et de la dysrégulation des émotions de l’enfant. Fonagy (2004) avance que la violence arrive en absence de mentalisation. On sait que les enfants placés en Banque-mixte ont pu vivre un trauma complexe qui a comme effet des difficultés de mentalisation (Godbout et al., 2018). On peut donc penser que les risques de violence sont plus importants chez les enfants adoptés. Ces explications peuvent apporter un éclairage sur cette violence.

Selwyn et Meakings (2016) expriment leur surprise face à l’absence, dans les écrits scientifiques, d’un discours concernant directement la violence des jeunes envers leurs parents. On y parle plutôt de problèmes de comportements chez les jeunes. Le même constat apparaît dans le discours des participantes de la présente recherche face à cette violence. Très peu d’entre elles ont employé le terme « violence » mais elles ont plus parlé de « comportements difficiles », ou « comportements agressifs », comme si la violence n’existait pas en elle seule. Comme si elle était moins percutante quand on la nommait

« comportements difficiles ». S’agit-il d’une façon de passer sous silence une réalité importante du vécu des parents parce qu’ils ne savent pas comment y faire face ?

Qu’arrive-t-il quand l’enfant est violent ? Selwyn et Meakings (2016) rapportent que selon les participants de leur recherche, les services sociaux n’étaient pas adaptés pour leur réalité adoptive ou que les comportements de leurs enfants adoptés n’entraient pas dans les critères établis pour obtenir des services. Quelques parents se sont fait dire d’appeler les policiers s’ils avaient des problèmes, ce qu’ont fait la majorité des parents, arguant même que ceux-ci ont joué le rôle du travailleur social et ont été leur meilleure source de soutien. Les parents de notre échantillon expriment les mêmes constats face aux comportements de violence de leurs enfants adoptifs. Ils n’ont pas trouvé d’aide disponible autre que la police ou n’ont eu le choix que de placer l’enfant. Miles et Condry (2016) vont dans le même sens, elles rapportent que les parents s’adressent principalement à la police en cas d’urgence. Par contre, comme les policiers sont mal préparés à cette réalité, leur réponse est plutôt de criminaliser les jeunes de 16 ans et plus, et de signaler les plus jeunes aux services de protection à l’enfance. Les auteurs insistent pour que les policiers reçoivent une formation adéquate puisqu’ils sont le premier soutien visé par les parents, pour obtenir un minimum de sécurité. L’enjeu autour du fait de chercher de l’aide à la police est que le parent se sentira momentanément en sécurité, mais la majorité du temps, il ne voudra pas porter plainte, son désir n’étant pas de criminaliser son enfant, mais bien d’obtenir une aide pour établir des relations non-abusives et même restauratrices (Miles & Condry, 2016;

Selwyn & Meakings, 2016). Les participantes de leur étude désirent plutôt de l’aide extérieure au système judiciaire. Elles ont aussi exprimé ne pas souhaiter criminaliser leur enfant.

Toujours selon Miles et Condry (2016) un autre enjeu entourant les interventions est que les programmes actuels appliqués aux jeunes sont basés sur ceux des adultes et s’appuient sur le postulat à l’effet que la relation abusive doit cesser et que la victime doit nécessairement s’éloigner de l’agresseur, ce qui n’est pas le souhait de la majorité des parents violentés. Une des participantes à la présente étude a exprimé la même idée quand elle disait que si elle avait vécu de la violence de la part de son conjoint, elle l’aurait mis à la porte, mais qu’elle ne peut pas faire la même chose avec son fils. Le parent, à cause de sa responsabilité légale à l’égard de l’enfant, ne peut pas fuir la situation comme le ferait une victime face à son agresseur (Holt, 2015). Miles et Condry (2016) ajoutent que les

policiers rencontrés dans le cadre de leur recherche souhaiteraient avoir la possibilité de donner des services de protection aux parents et de demeurer disponibles, sans que les parents n’aient de craintes que l’enfant soit judiciarisé. Enfin, ils voudraient pouvoir faire une référence aux services sociaux pour que le parent ait un réel soutien.

Plutôt que de recevoir une réponse aidante par les services sociaux, les parents adoptifs rencontrés par Selwyn et Meakings (2016) ont eu le sentiment qu’on les blâmait pour les comportements de leurs enfants, ce que les participantes ont aussi exprimé. Au lieu de reconnaître les signes de violence de la part de l’adolescent, les intervenants ont attribué les difficultés aux faibles capacités parentales et vu le problème comme un trouble de gestion de la colère, sans voir les éléments de contrôle présents. Selwyn et Meakings (2016) soulèvent l’intérêt de comprendre le sens de la violence sous les gestes, suggérant que les jeunes semblaient plutôt chercher à dominer et à contrôler qu’à blesser physiquement. Elles jugent même que certains jeunes tiraient du plaisir ou une forme de renforcement de cette expérience de domination. Il faut réfléchir à ce qui sous-tend ces enjeux de contrôle de la part du jeune. Se pourrait-il que ce soit dans le but de regagner un certain contrôle quand il se sent en perte totale de contrôle par rapport à lui-même et à ce qui lui arrive ? La nuance entre ces deux perceptions, celle de dominer ou de regagner du contrôle, est importante. L’une entraînera une intervention punitive ou comportementale, l’autre, un travail pour apaiser, augmenter la confiance et ramener le parent à une position de prendre soin de l’enfant.

Dans l’étude de Selwyn et Meakings (2016), des parents rapportent se sentir fragilisés, certains disent même avoir vécu un traumatisme, face aux intervenants faisant enquête sur eux, car certains ont laissé entendre qu'ils ne montraient pas à leur enfant une chaleur émotionnelle suffisante. Les auteures ont ajouté que les parents avaient l’impression que les intervenants ne tenaient pas compte des symptômes associés au trauma secondaire qu’ils vivaient. Ce type d’intervention donnait aux parents l’impression que leur jeune se retrouvait dans une position de pouvoir. Ils craignaient de faire quoi que ce soit qui pourrait permettre à leur jeune de faire de fausses allégations à leur sujet, entrainant la possibilité réelle de perdre leur emploi, car environ la moitié des parents travaillaient dans

le secteur de la santé, de l'éducation et de l'aide sociale. La majorité des parents ont réfuté, avec véhémence, les allégations portées contre eux, même si quelques-uns ont admis avoir perdu le contrôle ou riposté pour se défendre (Selwyn & Meakings, 2016). Certaines participantes de notre recherche ont aussi admis de tels comportements de perte de contrôle et d’auto-défense.

Selwyn et Meakings (2016) recommandent que, dans le cadre des services post-adoption, tous les intervenants posent d’emblée la question aux familles, à savoir si elles vivent de la violence de la part de leur enfant ou adolescent. Pour elles, il est peu probable que les parents fournissent volontairement cette information, à moins qu'on ne le leur demande directement. Pourquoi ? Parce que ce type de violence, vécu de la part de l’enfant, est porteur de multiples stigmates. Holt (2015) et Selwyn et Meakings (2016) ont allégué que les parents sont peu enclins à rapporter vivre de la violence car ils se sentent stigmatisés comme de « mauvais parent ». À plus forte raison, cela signifie plus souvent de blâmer les mères qui deviennent ainsi victimes du mythe : « si vous étiez de meilleures mères, rien ne serait arrivé ». Holt (2015) ajoute que les parents vivent aussi une violence structurelle parce qu’on les tient responsables, même légalement, des comportements inadéquats de leurs enfants. Les parents ont souvent l’impression de ne pas être pris au sérieux. Plusieurs parents de notre recherche ont exprimé avoir ressenti la même chose quand ils ont fait appel aux policiers et ressentent souvent cette même impression d’être tenus responsables des situations abusives dans lesquelles ils se trouvent. Selon Selwyn et Meakings (2016), pour les parents adoptifs, la honte est encore plus grande, car ils ont été évalués et approuvés en tant que parents adoptifs. Ils vivent donc un échec dans ce rôle. Cette opinion a souvent été renforcée par la réaction des professionnels qui ont dit aux parents qu'ils avaient laissé tomber l'enfant quand ils ont choisi le placement, ou en les blâmant pour le comportement de l'enfant et utilisent des termes comme « échec de placement » ou « placement raté ».

Pour les auteures, il peut être difficile pour les adultes et les professionnels extérieurs à la famille de comprendre comment il est possible pour un jeune d'exercer un tel contrôle sur ses parents puisque les enfants et les adolescents ne sont généralement pas en position de pouvoir. Les pères, particulièrement, vivent une honte face à cette position de perte de pouvoir face à un enfant.

6.2 L’expérience des parents adoptifs : un trauma qui ébranle même la filiation

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