• Aucun résultat trouvé

Peptides antimicrobiens et peptides pénétrants : des ressemblances et des différences

Chapitre I – Les peptides membranotropes

4. Peptides antimicrobiens et peptides pénétrants : des ressemblances et des différences

Les peptides antimicrobiens et les peptides pénétrants présentent tous deux une forte affinité avec les membranes biologiques ainsi que des propriétés physico-chimiques très similaires telles que leur petite taille inférieure à 10 kDa, leur charge globale généralement positive et, pour certains d’entre eux, leur structure secondaire. Pourtant, il n’est pas encore clairement identifié comment des peptides aussi similaires peuvent présenter des origines et des activités si différentes. D’un côté les peptides pénétrants peuvent s’internaliser dans les cellules eucaryotes sans causer de toxicité apparente, et de l’autre, les peptides antimicrobiens éliminent les micro-organismes en perturbant de manière définitive leur membrane [190, 191, 192].

La différence d’activité entre les peptides antimicrobiens et les peptides pénétrants pourrait résider dans la différence de sélectivité que présentent ces peptides envers les différents types de membranes. En effet, les peptides antimicrobiens vont généralement

77

cibler les membranes procaryotes tandis que les peptides pénétrants interagissent de manière préférentiellement avec les membranes eucaryotes.

La première différence entre ces membranes est la composition du feuillet externe de leur bicouche lipidique. Chez les membranes bactériennes, il présente davantage de phospholipides anioniques que de phopholipides zwitterioniques à l’inverse des membranes eucaryotes. En conséquence, ces membranes présentent des potentiels de membranes plus négatifs (généralement plus de -120 mV) que ceux des membranes de cellules eucaryotes (environ -70 mV). Ainsi, les membranes bactériennes permettent une plus forte interaction avec les peptides cationiques et donc une certaine sélectivité de ceux-ci (Figure 41) [193, 194, 195].

Figure 41. Interactions des peptides antimicrobiens avec les membranes cellulaires eucaryotes (à gauche) et procaryotes (à droite), d’après [27]

D’autres facteurs contribuent également à la sélectivité de membranes cibles. Il est notamment possible de citer la présence de stérols, en particulier le cholestérol, qui stabilisent les membranes eucaryotes mais qui sont totalement absents des membranes bactériennes. L’organisation en bicouche de la membrane eucaryote assure sa cohésion et se distingue par trois états d’organisation : la phase gel ordonnée, la phase liquide désordonnée et la phase

78

liquide ordonnée. Le passage à une température plus élevée induit une transition de l’état ordonné vers un état plus désordonné (Figure 44) [196]. À température physiologique, la membrane eucaryote se retrouve dans un état liquide dont la fluidité et la structure ordonnée sont maintenues grâce au cholestérol. Celui-ci s’intercale entre les nombreux phospholipides de la membrane, ce qui induit à la fois une fluidité de la membrane par diminution de la compacité de l’arrangement des phospholipides et une rigidification de la membrane par limitation des mouvements des chaines hydrophobes (Figure 42) [147].

Figure 42. États d’organisation de la membrane en fonction de la température et de la présence de cholestérol [196].

Des études ont montré que la présence de cholestérol pouvait atténuer l’interaction des peptides antimicrobiens avec les lipides membranaires et promouvoir l’exclusion des peptides antimicrobiens de la bicouche lipidique des membranes eucaryotes, entrainant une moins bonne pénétration des peptides dans cette dernière. Le cholestérol contribue à la rigidité de la membrane, ce qui rend la membrane plus difficile à perturber et inhibe par conséquent l’action d’un grand nombre de peptides antimicrobiens. L’étude par McHenry et ses collaborateurs d’une membrane contenant un radeau lipidique, micro-domaine riche en cholestérol et sphingolipides, a permis de mettre en évidence cette action du cholestérol contre les peptides antimicrobiens. En effet, dans ce système lipidique, le radeau lipidique résiste à la perméabilisation tandis que le domaine lipidique en état liquide désordonné est facilement perturbé par les peptides (Figure 43). [197, 198, 199].

79

Figure 43. Action de peptides antimicrobiens (AMP) sur une membrane contenant un radeau lipidique (lo) et un domaine en état liquide désordonné (ld) [199].

De manière intéressante, certains peptides membranotropes sont actifs sur les deux types de membranes, procaryotes et eucaryotes. Ainsi certains peptides antimicrobiens peuvent traverser les membranes eucaryotes [193, 200], aussi bien que des peptides pénétrants ont une activité antibactérienne [95, 201].

La comparaison des séquences des peptides antimicrobiens et des peptides pénétrants montre qu’elles pourraient toutes correspondre à des peptides possédant les deux activités, étant donné qu’elles sont principalement toutes courtes et riches en acides aminés basiques. Pourtant, un grand nombre de ces peptides ne possèdent qu’une seule de ces deux activités, antimicrobienne ou pénétrante. Dans ces cas-là, il n’a jamais été clairement défini comment des peptides aux propriétés physico-chimiques aussi similaires pouvaient posséder des activités si différentes. Cette question est le sujet principal de ce travail : quels sont les

80

paramètres dans une séquence peptidique qui pourraient conférer à un peptide une activité antimicrobienne ou une activité pénétrante ?

Afin de répondre à cette problématique, l’étude portera sur des séquences inspirées d’une dermaseptine naturelle, la DMS-DA5, dont la séquence est modifiée par substitution d’acide(s) aminé(s) afin de promouvoir la capacité à pénétrer les membranes eucaryotes.

Les premiers peptides de l’étude ont des séquences d’une dizaine d’acides aminés. Cette petite taille permet de faciliter l’étude des effets d’un changement minimal de la séquence tel que la substitution d’un seul acide aminé. De plus, la taille du peptide peut directement influer sur sa cytotoxicité envers les cellules eucaryotes [202]. Par exemple, la réduction de taille de la mélittine, peptide issu du venin des abeilles, de 26 acides aminés à 15 acides aminés a permis de réduire sa cytotoxicité d’un facteur 300 envers les cellules humaines [203]. Considérant que certaines dermaseptines particulièrement actives telles que la dermaseptine B2 [204] ont montré une activité hémolytique, il semble important de commencer l’étude sur une petite séquence qui sera déterminée grâce à des machines de prédiction d’activité et de structures.

Au cours de ce travail, les nouveaux peptides obtenus permettront d’évaluer l’importance de nombreux facteurs (taille, charge globale, hydrophobie, structure) sur leurs activités antibactériennes et pénétrantes. La modification de ces paramètres au sein de séquences peptidiques similaires permettrait ainsi de déterminer lesquels sont essentiels pour chacune des deux activités.

Les résultats des tests biologiques obtenus avec ces peptides seront comparés à des peptides étudiés au laboratoire, inspirés du peptide synthétique RW9 présenté précédemment, qui ont présenté à la fois une activité pénétrante efficace dans les cellules CHO-K1 et une action antibactérienne contre les souches bactériennes Escherichia coli (Gram négatif) et Staphylococcus aureus (Gram positif).

81

Chapitre II – Prédictions et nouvelles

séquences peptidiques : quels effets sur

l’activité antimicrobienne ?