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Modes d’action des peptides antimicrobiens

Chapitre I – Les peptides membranotropes

3. Modes d’action des peptides membranotropes

3.1. Modes d’action des peptides antimicrobiens

Lors de leurs actions contre les bactéries à Gram négatif ou à Gram positif, les peptides antimicrobiens possèdent deux mécanismes principaux : la perméabilisation de la membrane bactérienne et l’interaction avec une ou des cibles intracellulaires. Dans les deux cas, cela implique généralement que les peptides s’insèrent dans les membranes bactériennes. À faible concentration, les peptides se rassemblent à la surface de la membrane et, au fur et à mesure que leur concentration augmente, ils s’orientent perpendiculairement à la membrane et y pénètrent en formant des pores transmembranaires [157, 158, 159]. Tout au long de cette pénétration, les peptides sont exposés à différents partenaires d’interaction avec lesquels ils ont des affinités différentes (Figure 32) [104].

Figure 32. Interaction des peptides antimicrobiens avec les deux types de membranes bactériennes lors de l’insertion des peptides dans les membranes [104].

Le mécanisme d’action le plus commun est la perturbation de la membrane bactérienne. Différents modèles ont été proposés pour décrire la perméabilisation des membranes par les peptides antimicrobiens, les trois plus courants étant les modèles du pore en tonneau, du pore mixte et du tapis (Figure 33) [159, 160].

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Figure 33. Représentation schématique des différents modèles de perméabilisation membranaire. A : modèle du pore en tonneau ; B : modèle du pore mixte ; C : modèle du tapis ; D : modèle de l’électroporation moléculaire ; E : modèle du radeau, d’après [160].

3.1.1. Modèle du pore en tonneau

Dans le modèle du pore en tonneau ou « barrel-stave model », les pores sont formés par l’interaction de la face hydrophobe des peptides en hélice α amphiphile, tel que l’alaméthicine, avec les chaines aliphatiques hydrophobes des phospholipides des membranes. Les peptides insérés dans la membrane se regroupent et les faces hydrophiles de l’hélice forment ainsi l’intérieur du pore, assimilant le pore à un tonneau où les peptides représentent les douelles. Le recrutement progressif de peptides à la surface permet l’agrandissement du pore formé [157, 159]. Ce modèle nécessite un nombre important de peptides à la surface de la membrane. En effet, l’insertion d’un seul peptide dans la membrane n’est pas énergiquement favorable à l’inverse de l’insertion d’un nombre élevé de peptides (Figure 33).

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3.1.2. Modèle du pore mixte

Le modèle du pore mixte ou « toroidal-pore model » est retrouvé pour de nombreux peptides structurés en hélice α tels que la mélittine ou la magainine 2, et est très similaire à celui du pore en tonneau. La principale différence avec ce dernier est la présence de lipides à l’intérieur du pore. En effet, dans ce modèle, les peptides restent associés aux têtes lipidiques anioniques même après s’être insérés au sein de la membrane (Figure 33) [157, 159, 161].

3.1.3. Modèle du tapis

Dans le modèle du tapis ou « carpet model », les peptides s’adsorbent sur la surface de la membrane bactérienne par interactions électrostatiques entre les charges positives des acides aminés basiques et les têtes lipidiques anioniques, recouvrant ainsi la membrane à la manière d’un tapis. Ce modèle ne nécessite pas que les peptides adoptent une structure particulière, ces derniers pouvant être sous forme d’hélices α comme la mélittine ou la dermaseptine S, feuillets β ou encore ne pas être structurés. À concentration élevée, les peptides accumulés à la surface de la membrane la perturbent par effet détergent, ce qui conduit à la formation de micelles. Une fois une concentration critique atteinte, les peptides vont également former des pores transitoires qui permettent à un nombre plus élevé de peptides d’accéder à la membrane et aider à la désintégration de la membrane, qui se retrouve totalement sous forme de micelles (Figure 33) [159, 162, 163].

3.1.4. Autres mécanismes de perméabilisation membranaire

En plus de ces trois modèles qui sont les plus couramment décrits, de nombreux autres mécanismes d’action ont été avancés pour expliquer la perméabilisation des membranes par les peptides antimicrobiens [164]. Parmi ces modèles, le modèle du pore mixte désordonné ou « disordened toroidal pore » est similaire à celui du modèle du pore mixte mais les peptides s’insèrent dans la membrane de manière stochastique, ce qui nécessite généralement moins de peptides pour la formation du pore [165].

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Les peptides peuvent également affecter l’épaisseur de la membrane (« membrane thinning ») [166], ou modifier son organisation en formant des domaines où les phospholipides anioniques sont recrutés et entourés par les lipides cationiques (« charged lipid clustering ») [167].

Dans des cas plus spécifiques, les peptides peuvent soit induire un état de transition où ils s’insèrent parallèlement dans la bicouche lipidique (« non-bilayer intermediate ») [168], s’adsorber plus efficacement sur les membranes en interagissant avec des lipides oxydés (« oxydized lipid targeting ») [169], se coupler à des anions intracellulaires à travers la membrane pour les externaliser par efflux (« anion carrier ») [170], ou encore dissiper le potentiel de la membrane (« non-lytic membrane depolarization ») [171].

Les peptides peuvent aussi utiliser les voies de l’électroporation ou le modèle en radeau pour perméabiliser la membrane (Figure 33) [160].

Lors de l’électroporation, les peptides hautement chargés positivement s’associent à la membrane bactérienne et génèrent une différence de potentiel électrique à travers celle-ci. Lors que cette différence de potentiel atteint un seuil critique (environ 200 mV), un pore est généré dans la membrane par le phénomène d’électroporation [172].

Dans le modèle du radeau ou « sinking raft model », les peptides amphipatiques s’associe à la membrane bactérienne, ce qui cause une courbure locale de la membrane. Les peptides s’auto-associent lors de leur insertion au sein de la membrane pour créer des pores transitoires. Une fois les pores refermés, les peptides sont répartis dans les deux feuillets de la bicouche lipidique [173].

3.1.5. Interaction avec des cibles intracellulaires

La perméabilisation de la membrane bactérienne n’est pas le seul mode d’action des peptides antimicrobiens. Au vu de leur forte ressemblance avec les peptides pénétrants, il n’est pas surprenant que les peptides antimicrobiens puissent traverser les membranes bactériennes. Certains d’entre eux, généralement les plus riches en arginines, sont capables de traverser la membrane des bactéries afin d’interagir avec des cibles intracellulaires. Une fois dans le cytoplasme des bactéries, les peptides peuvent altérer la formation de la membrane bactérienne, inhiber la synthèse des acides nucléiques et/ou des protéines, ou encore inhiber l’activité enzymatique générale (Figure 34) [159, 174].

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Figure 34. Les modes d’action des peptides antimicrobiens intracellulaires contre Escherichia

coli [159].