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Effet de l’incorporation de tryptophanes dans les séquences

Chapitre I – Les peptides membranotropes

3. Importance de l’hydrophobie dans l’activité antibactérienne

3.2. Effet de l’incorporation de tryptophanes dans les séquences

L’importance de l’hydrophobie des peptides membranotropes dans leur interaction avec les membranes cellulaires a souvent été reportée dans la littérature [242, 243, 244]. Les chaines latérales hydrophobes des peptides interagissent fortement avec les chaines aliphatiques des lipides et ces interactions permettent ainsi l’insertion des peptides dans les membranes. L’hydrophobie du peptide est généralement associée à la présence dans la séquence d’acides aminés tels que la leucine et l’isoleucine d’une part, qui contribuent de manière générale aux interactions hydrophobes, et d’autre part les acides aminés aromatiques, phénylalanine, tyrosine et tryptophane.

0% 20% 40% 60% 80% 100% 0,2 0,4 0,8 1,6 3,1 6,3 12,5 25 50 100 C roissan ce b act ér ien n e Concentration en peptide (µM) DA5m-S5-02N / E. coli DA5m-S5-02B / E. coli DA5m-S5-03N / E. coli DA5m-S5-03B / E. coli DA5m-S5-04N / E. coli DA5m-S5-04B / E. coli

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Parmi ces acides aminés aromatiques, le tryptophane est celui qui a sans doute montré la plus grande influence sur les activités biologiques des peptides. En effet, la chaine indole du tryptophane interagit avec l’amine des phosphatidylcholines de la bicouche lipidique, induisant ainsi une meilleure affinité pour les membranes, et initialise l’insertion du peptide dans la bicouche [245, 246, 247]. L’augmentation du nombre de tryptophanes est donc associée à une meilleure capacité du peptide à s’insérer dans les membranes, influençant directement l’activité antimicrobienne et/ou pénétrante [69, 95, 248, 249, 250], mais également une augmentation de son pouvoir hémolytique [251]. Ces activités biologiques peuvent s’expliquer par la capacité du tryptophane à fragiliser les membranes cellulaires : la large chaine latérale indole du tryptophane mesure environ un tiers de la monocouche lipidique, et peut interrompre facilement la cohésion par interactions hydrophobes entre les chaines aliphatiques des lipides membranaires.

Ainsi, la présence d’une séquence comportant des tryptophanes successifs sur les extrémités du peptide peut augmenter l’activité antimicrobienne des peptides de manière considérable, l’activité du peptide étant d’autant plus grande que le nombre de tryptophanes est élevé [252]. Le motif de trois tryptophanes successifs « WWW » peut se montrer particulièrement important pour l’activité antibactérienne. En effet, Zarena et ses collaborateurs ont montré par étude RMN qu’un triplet de tryptophanes adopte une configuration unique en π stabilisée par les interactions entre les cycles aromatiques. Des tests antibactériens contre S. aureus ont révélé que la présence de cette configuration permet au peptide d’avoir une activité bien plus importante que lorsque les trois tryptophanes sont répartis dans la séquence [253]. Toutes ces observations ont permis d’établir la séquence du peptide DA5m-S6-01 « KWWWKRAAKAAGKAA » à partir de celle du peptide DA5m-S5-05 « KSWAKRAAKAAGKAA » où les acides aminés moins hydrophobes du côté de l’extrémité N-terminale (sérine et alanine) sont substitués par des tryptophanes. La lysine à l’extrémité N-terminale est conservée étant donné la charge positive apportée qui contribue aux interactions avec les têtes polaires anioniques des membranes procaryotes.

Par ailleurs, certains peptides qui possèdent les triplets de tryptophanes à l’extrémité C-terminale peuvent présenter une meilleure activité contre les bactéries que les peptides dont les tryptophanes sont situés à l’extrémité N-terminale. Malmstem et ses collaborateurs ont ajoutés des triplets d’acides aminés hydrophobes, tryptophanes « WWW » ou

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phénylalanines « FFF », aux extrémités de deux peptides antimicrobiens et dans les deux cas, l’ajout en position C-terminale des acides aminés hydrophobes a conduit à une meilleure activité antimicrobienne [254]. La séquence du peptide DA5m-S6-02 « KSWAKAAKAAGKWWW » est ainsi établie en substituant les alanines de l’extrémité C-terminale dans la séquence de DA5m-S5-05 « KSWAKRAAKAAGKAA » par des tryptophanes, et par délétion de l’arginine en position 6 pour rester à une taille de 15 acides aminés (Tableau 21).

Nom Séquence Score

CAMPR3 Score CPPpred Charge DMS-DA5 GMWGKIKSTAKEAAKAAGKAALNAVSEAL 0,873 0,558 + 3 DA5m-S5-05 ---KSWAKRAAKAAGKAA 0,325 0,752 + 5 DA5m-S6-01 ---KWWWKRAAKAAGKAA 0,965 0,819 + 5

DA5m-S6-02 ---KSWAK-AAKAAGKWWW 0,929 0,735 + 4

Tableau 21. Séquence des nouveaux peptides DA5M-S6-01 et DA5M-S6-02 inspirés de la séquence de DA5M-S5-05. Les modifications par rapport à la séquence de DMS-DA5 sont représentées en gras et celles par rapport à la séquence de DA5M-S5-05 en rouge. Les Scores sont compris entre 0 et 1 (plus le nombre est proche de 1, plus il est probable que le peptide ait l’activité correspondant) [208, 212].

Les nouveaux peptides présentent une inhibition totale de la croissance bactérienne pour certains d’entre eux alors que le peptide DA5m-S5-05 n’avait présenté aucune activité aux mêmes concentrations sur les souches bactériennes étudiées (Tableau 22).

E. coli P. aeruginosa S. aureus K. rhizophila DA5m-S6-01N KWWWKRAAKAAGKAA 25 µM 50 µM 100 µM 50 µM DA5m-S6-01B BG4KWWWKRAAKAAGKAA > 100 µM > 100 µM > 100µM > 100 µM DA5m-S6-02N KSWAKAAKAAGKWWW 6,3 µM 25 µM 25 µM 12,5 µM DA5m-S6-02B BG4KSWAKAAKAAGKWWW > 100 µM > 100 µM > 100 µM 100 µM

Tableau 22. Concentrations minimales inhibitrices de DA5m-S6-01 et DA5m-S6-02 biotinylés ou non sur les souches E. coli, P. aeruginosa, S. aureus et K. rhizophila. Les « B » dans les séquences correspondent à la biotine. Tests réalisés trois fois en triplicata.

L’activité antibactérienne observée est en corrélation avec l’augmentation de l’hydrophobie par ajout de tryptophanes dans la séquence. Par exemple, les peptides DA5m-S6-01N (3 tryptophanes) et DA5m-S6-02N (4 tryptophanes) possèdent des CMI respectives de

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25 µM et 6,3 µM contre la souche E. coli tandis qu’aucun peptide étudié n’avait présenté une concentration inhibitrice en dessous de 100 µM jusqu’à présent. En outre, le peptide DA5m-S6-02 qui possède plus de tryptophanes a montré une meilleure activité que DA5m-S6-01 sur les quatre souches testées. Deux hypothèses peuvent expliquer cette différence : l’hydrophobie générale des deux peptides et donc le nombre de tryptophanes dans leur séquence (trois dans le cas de DA5m-S6-01 et quatre pour DA5m-S6-02) et/ou l’emplacement de ces tryptophanes dans la séquence (en extrémité C-terminale plutôt qu’en N-terminale).

L’introduction de la biotine à l’extrémité N-terminale supprime cette activité antibactérienne. (Tableau 22 et Figure 59). La figure 59 montre l’activité des peptides sur

E. coli, les courbes montrant l’activité sur les trois autres souches sont dans l’annexe

(Annexes 103 à 110).

Figure 59. Tests antibactériens des peptides DA5m-S6-01 et DA5m-S6-02 sur E. coli. Les courbes correspondant au peptide sans modification de l’extrémité N-terminale sont en trait plein (______) et celles correspondant au peptide biotinylé en trait discontinus (- - -). Tests réalisés en triplicata trois fois.

Étant donné la conséquence importante de la biotinylation sur l’activité antibactérienne, nous avons voulu vérifier si la perte d’activité liée à la modification de l’extrémité N-terminale est liée à la disparition de la charge positive de l’amine initialement libre ou à la présence des glycines et/ou de la biotine. Pour cela, les peptides DA5m-S6-01 et DA5m-S6-02 ont été synthétisés avec les différentes modifications de la position N-terminale : acétylée, avec une chaine de quatre glycines acétylée ou non. Chacun des nouveaux peptides

0% 20% 40% 60% 80% 100% 120% 0,2 0,4 0,8 1,6 3,2 6,3 12,5 25 50 100 Cr o issan ce b actérie n n e

Concentration en peptides (en µM)

DA5m-S6-01N / E.coli DA5m-S6-01B / E.coli DA5m-S6-02N / E.coli DA5m-S6-02B / E.coli

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a été synthétisé manuellement et testé dans les mêmes conditions que les peptides biotinylés et les peptides sans modification de la position N-terminale sur les souches bactériennes habituelles.

L’effet de la perte de la charge en position N-terminale est vérifié par acétylation des peptides. L’acétylation de la position N-terminale des peptides est une modification post-traductionnelle que l’on retrouve sur de nombreux peptides et protéines naturels. Elle permet notamment d’améliorer la stabilité de certains peptides en empêchant la dégradation par les aminopeptidases [255, 256].

Les nouveaux peptides DA5m-S6-01 et DA5m-S6-02 acétylés, nommés respectivement DA5m-S6-01Ac et DA5m-S6-02Ac, présentent une activité antibactérienne généralement moins efficace que les peptides non-acétylés correspondants dans les mêmes conditions (Tableau 23 et Figure 60).

E. coli P. aeruginosa S. aureus K. rhizophila

DA5m-S6-01N 25 µM 50 µM 100 µM 50 µM

DA5m-S6-01Ac 25 µM 100 µM > 100 µM 50 µM

DA5m-S6-02N 6,3 µM 25 µM 25 µM 12,5 µM

DA5m-S6-02Ac 25 µM 50 µM 50 µM 50 µM

Tableau 23. Concentrations minimales inhibitrices de DA5m-S6-01 et DA5m-S6-02 acétylés ou non sur les souches E. coli, P. aeruginosa, S. aureus et K. rhizophila. Tests réalisés trois fois en triplicata.

Cette légère diminution d’activité peut s’expliquer par la perte de la charge positive à l’extrémité N-terminale lors de l’acétylation de la fonction amine. La charge perdue rendrait alors les interactions électrostatiques avec les lipides anioniques des membranes bactériennes moins favorables que pour les peptides avec une extrémité N-terminale libre. Cependant, on ne retrouve pas les mêmes valeurs de CMI entre les celles obtenues avec les peptides acétylés et les peptides biotinylés. Cela signifie que la perte de la charge seule n’explique pas totalement la perte d’activité antibactérienne induite par la biotinylation.

Lors de la synthèse des peptides biotinylés, nous avons ajouté quatre glycines à l’extrémité N-terminale ce qui permet de quantifier l’internalisation des peptides en comparant avec le même peptide possédant quatre glycines deutérées en tant qu’étalon interne. Afin de vérifier si la biotine est bien la cause de la diminution voire de la perte de

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l’activité antibactérienne, les peptides DA5m-S6-01G et DA5m-S6-02G sont synthétisés avec quatre glycines en position N-terminale mais sans biotine (Tableau 24 et Figure 60).

E. coli P. aeruginosa S. aureus K. rhizophila

DA5m-S6-01N 25 µM 100 µM 100 µM 50 µM DA5m-S6-01G 50 µM 100 µM > 100 µM 50 µM DA5m-S6-01B > 100 µM > 100 µM > 100 µM > 100 µM DA5m-S6-02N 6,3 µM 25 µM 25 µM 12,5 µM DA5m-S6-02G 25 µM 50 µM 50 µM 25 µM DA5m-S6-02B > 100 µM > 100 µM > 100 µM 100 µM

Tableau 24. Concentration minimale inhibitrice de DA5m-S6-01 et DA5m-S6-02 sans modification, avec une chaine polyglycine ou avec une chaine polyglycine biotinylée sur les souches E. coli, P. aeruginosa, S. aureus et K. rhizophila. Tests réalisés trois fois en triplicata.

Les tests antibactériens réalisés avec ces peptides montrent des CMI plus faibles qu’avec le peptide biotinylé, ce qui permet de penser que la biotine est réellement la cause principale de la perte d’activité. De manière générale, les valeurs de CMI observées avec les peptides possédant quatre glycines supplémentaires sont supérieures à celles observées avec les peptides non-biotinylés. Les quatre glycines apportent donc déjà une modification dans le peptide qui le rend moins actif même sans la présence de biotine.

Lors de l’ajout des glycines, l’acide aminé en position N-terminale des peptides DA5m-S6 n’est plus une lysine mais une glycine. Les résultats des tests antimicrobiens appuient l’observation de Tossi et al. qui indique que la présence d’un acide aminé basique (lysine) en position N-terminale peut être nécessaire à l’activité de certains peptides antimicrobiens [222]. De plus, comme pour l’acétylation, la glycine à cette position fait perdre une charge positive à l’extrémité N-terminale par rapport aux peptides non modifiés. En effet, dans le cas de la lysine en position N-terminale, le peptide possède deux charges positives très proches en extrémité N-terminale (les amines libres de la position N-terminale et de la chaine latérale de la lysine) qui favoriseraient les interactions électrostatiques et la formation de liaisons hydrogène entre cette partie du peptide et les membranes.

Enfin, nous avons testé les peptides DA5m-S6-01Ga et DA5m-S6-02Ga qui ont les quatre glycines et une acétylation en position N-terminale (Tableau 25 et Figure 60).

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E. coli P. aeruginosa S. aureus K. rhizophila

DA5m-S6-01G 50 µM 100 µM > 100 µM 50 µM DA5m-S6-01Ga 100 µM > 100 µM > 100 µM 100 µM DA5m-S6-01B > 100 µM > 100 µM > 100 µM > 100 µM DA5m-S6-02G 25 µM 50 µM 50 µM 25 µM DA5m-S6-02Ga 50 µM 100 µM > 100 µM 100 µM DA5m-S6-02B > 100 µM > 100 µM > 100 µM > 100 µM

Tableau 25. Concentrations minimales inhibitrices de DA5m-S6-01 et DA5m-S6-02, avec une chaine polyglycine acétylée ou non et avec une chaine polyglycine biotinylée sur les souches

E. coli, P. aeruginosa, S. aureus et K. rhizophila. Tests réalisés trois fois en triplicata.

Figure 60. Comparaison des concentrations minimales inhibitrices sur les bactéries étudiées du peptide DA5m-S6-02 en fonction de son extrémité N-terminale.

Ces peptides présentent des CMI généralement plus élevées que les peptides avec les quatre glycines sans acétylation DA5m-S6-01G et DA5m-S6-02G. Encore une fois, l’acétylation des peptides diminue l’activité antibactérienne de ceux-ci. Toutefois, les CMI obtenues avec les peptides avec quatre glycines et acétylation sont inférieures à celles observées avec les peptides avec quatre glycines et biotinylation contre les souches E. coli et K. rhizophila (les deux types de peptides sont inefficaces contre les deux autres souches testées à des concentrations inférieures à 100 µM). Cela confirme que la perte de la charge à l’extrémité

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N-terminale n’est pas la seule cause de la diminution d’activité et la biotine a donc directement un effet sur l’activité antibactérienne.

De manière générale, sur toutes les souches bactériennes, les peptides avec une extrémité N-terminale libre ont montré la meilleure efficacité contre les bactéries. L’acétylation pourrait potentiellement réduire les interactions électrostatiques du peptide avec les membranes bactériennes, expliquant partiellement que le peptide acétylé est moins actif que le peptide non-acétylé correspondant. Cependant, l’effet de l’acétylation n’est pas entièrement défini : bien que des observations similaires aient pu être faites sur le lien entre l’acétylation, la perte de charge et l’activité antimicrobienne, il semblerait que l’acétylation puisse provoquer une diminution de l’activité qui serait indépendante de la charge et qui n’est pas encore défini [257].

Étant donné que le peptide biotinylé ne présente pas la même activité que le peptide acétylé, la biotine semble également réduire l’activité antimicrobienne indépendamment de la perte de la charge, mais la raison n’en est pas encore clairement identifiée (Figure 60).

Il a été montré que les peptides biotinylés pouvaient être rapidement internalisés par le même mécanisme de transport par les transporteurs ABC que la biotine [220]. Les peptides biotinylés seraient donc internalisés dans la bactérie avant de pouvoir perturber les membranes (par accumulation à la surface ou insertion dans la membrane) et/ou dégradés au sein de la bactérie à l’issue de cette internalisation, ce qui pourrait expliquer l’absence d’activité de certains peptides biotinylés.

Altman et ses collaborateurs ont montré que le transport des peptides biotinylés par les bactéries peut être inhibé de façon compétitive en présence de biotine [220]. Nous avons réalisé des expériences préliminaires qui vont dans ce sens où le peptide biotinylé DA5m-S6-02B recouvre partiellement son activité contre Pseudomonas aeruginosa en présence de biotine dans le milieu de culture (Figure 61).

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Figure 61. Test antimicrobien du peptide biotinylé DA5m-S6-02B sur P. aeruginosa en présence de biotine (+ B) ou non. Test réalisé en triplicata.