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Chapitre 1 : Management des ressources humaines : GRH et ordonnancement du

2. Considérer le travail réel pour repenser la gestion des ressources humaines

2.2 Penser conjointement travail et développement

La logique gestionnaire selon laquelle sont pensés le travail et les ressources humaines est le plus souvent considérée à court terme. Les incidences sur les conditions de vie au travail

engendrées par ce type de pilotage (Piney et al., 2012) posent la question de la pérennité des

organisations et de la préservation des ressources.

Cette logique est de plus en plus intégrée à la stratégie de l’entreprise à travers le concept de

Responsabilité Sociétale des Entreprises (Dohou et Berland, 2007). Dans cette logique, les dimensions sociale et environnementale deviennent des facteurs de la performance au même

titre que la dimension économique. Il n’existe pas de définition unanime de la performance

durable. Le terme est souvent confondu avec ceux de « performance globale » (Lepetit, 1997) et de « performance organisationnelle » (Barabel et Meier, 2010). Pour Cappelletti (2010), « la performance durable est la combinaison équilibrée des performances économique, sociale et

environnementale qui conduit à la survie et au développement à long terme de l’organisation »

(p. 13). D’un point de vue économique, la performance peut être définie comme « le résultat d’une organisation, tel qu’on peut le lire dans les états comptables et financiers traditionnels »

(Cappelletti, 2010, p.41). Le terme de performance sociale qualifie au sens large l’état des

relations sociales ou humaines dans l’entreprise, et celui de performance environnementale matérialise les impacts des activités d’une organisation sur son environnement (Sogbossi

Bocco, 2010). La prise en compte de ces différentes dimensions oblige à considérer une vision de la performance non seulement par rapport aux résultats atteints mais également en termes de

processus, par rapport aux moyens mis en œuvre pour les atteindre (Lorino, 2003 ; La Villarmois, 2001).

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Selon Igalens (2011), le cadre de la RSE donne une opportunité à la GRH de se repositionner au niveau stratégique des entreprises. Dans les travaux portant sur la RSE dans le champ de la GRH, plusieurs auteurs insistent sur la nécessité de faire adhérer les opérateurs au projet de

l’entreprise (Imbs et Ramboarison-Lalao, 2013 ; Peretti et Uzan, 2011). En effet, les services RH ont un rôle clé, non seulement pour motiver leurs salariés, mais également car ils ont en

charge un certain nombre d’obligations envers eux telles que celles de l’insertion professionnelle et l’application des politiques d’égalité et de diversité (Igalens et Tahri, 2010). Ces approches soulèvent notamment les enjeux et les coûts humains du travail qui sont souvent oubliés dans les logiques de performance (Daniellou, 2009).

2.2.2 La question du développement en ergonomie

En ergonomie, la dimension développementale a longtemps été considérée comme un effet positif des interventions menées par les ergonomes (Barcellini, Van Belleghem et Daniellou, 2013), mais leur prise en compte a été reconsidérée au regard des nouvelles demandes qui sont adressées aux ergonomes (Petit et Dugué, 2013a).

Le modèle de la double régulation (Leplat, 1997, 2008) rend compte de l’activité fonctionnelle réalisée par l’opérateur ainsi que les effets négatifs qui peuvent être engendrés, notamment sur leur santé. Selon ce modèle, son activité est essentiellement envisagée à court terme.

Dans le projet de l’ergonomie constructive, Falzon (2013) propose d’élargir le modèle de

l’activité pour rendre compte de l’existence d’une activité méta-fonctionnelle, réalisée à plus

long terme. Selon cet auteur, cette seconde activité est le résultat d’une autre boucle de régulation qui permet d’envisager les effets positifs du travail.

L’articulation entre ces activités fonctionnelle et méta-fonctionnelle est présentée dans la figure 3.

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Figure 3 : Articulation entre des activités fonctionnelle et méta-fonctionnelle (Falzon, 2013, p.8)

Dans cette logique, le concept de la santé (au travail) a largement évolué. Dans ces définitions initiales, la santé a été sous-tendue par une vision défensive selon laquelle on est en bonne santé

quand on n’est pas malade (Laville et Volkoff, 1993). L’enjeu est ainsi de préserver la santé des opérateurs en évitant de les exposer à des risques qui dégraderaient leur santé. Néanmoins, cette acception de la santé porte uniquement une vision négative qui a été élargie pour prendre

en compte les effets positifs du travail sur la santé, en apportant satisfaction à l’opérateur qui le

réalise (Falzon et Mas, 2007).

De plus, longtemps réduite à sa dimension physique, la santé porte également une dimension cognitive que de Montmollin (1993) définit comme le fait « d'être compétent, c'est-à-dire de disposer de compétences qui permettent d'être embauché, de réussir, de progresser ». Ce

caractère global de la santé est repris par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui définit

la santé comme « un état de bien-être complet physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité ». Pour autant, la santé est sous-tendue dans cette définition par une vision statique qui a souvent été critiquée. Or, comme le soulignait déjà Canguilhem (1966), la santé est dynamique et évolue en même temps que le travail et ses conditions. La santé peut donc être envisagée comme un processus qui se construit tout au long de la vie selon la manière dont les opérateurs peuvent gérer chacune des situations de travail auxquelles ils sont confrontés (Dejours, 1995 ; Falzon, 1998).

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En plus de ces déterminants souvent considérés sous un angle individuel, dans certaines

situations, c’est la capacité d’un collectif de travail qui permet de faire face aux évènements qui surviennent (Veltz, 2001 ; Zarifian, 1995), ce qui nécessite de considérer que la combinaison et

l’échange de connaissances dans une équipe apporte une plus-value à la réalisation du travail (Caroly, 2010). Dans ces termes, le collectif est à la fois un vecteur de développement des compétences professionnelles et plus largement de construction de la santé des individus (Caroly et Barcellini, 2013 ; Delgoulet et Vidal-Gomel, 2013). Compte tenu de la

complexification des organisations, les collectifs peuvent avoir un caractère transverse, c’est

-à-dire que des opérateurs d’activités différentes sont impliqués dans un même processus et vont

devoir travailler de manière coordonnée (Lorino, 2009 ; Motté et Haradji, 2010).

Cette idée rejoint les travaux de Docherty, Forslin et Shani (2002) qui distinguent ainsi les

systèmes intensifs, qui maintiennent la productivité au prix d’un appauvrissement des

ressources sociales et humaines, et les systèmes soutenables dans lesquels ces ressources sont régénérées au cours du travail lui-même tout en maintenant la productivité. Le groupe de travail

SALTSA du Swedish National Institute for Working Life reprend l’idée de régénération des ressources : “In Sustainable Work Systems, resources are not consumed, but allowed to grow. Employees are not confined to an intensive and meaningless work reality, instead they are allowed to learn and develop, to use their intelligence and creativity, to collaborate and

participate” (Saltsa Research Group, 1999).

Pour Gollac, Guyot et Volkoff (2008), « serait soutenable un système de travail satisfaisant aux critères suivants :

o “bio-compatible”, c’est-à-dire adapté aux propriétés fonctionnelles de l’organisme humain et à leur évolution au fil de l’existence ;

o “ergo-compatible”, donc propice à l’élaboration de stratégies de travail efficientes ;

o “socio-compatible”, donc favorable à l’épanouissement dans les sphères familiale et sociale, à la maitrise d’un projet de vie. »

Ce modèle de l’activité inclut ainsi une perspective développementale du travail et des

opérateurs que le projet de l’ergonomie constructive propose de considérer comme l’un des objectifs de l’ergonomie, ce qui permet de faire le lien entre performance et santé (Falzon,

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de porter son intérêt sur la préservation et le développement des opérateurs, par exemple en

tenant compte de l’évolution de leurs compétences et de la construction de leur santé.

Comme le souligne Hubault (2006), la ressource humaine ne peut être pensée sans son développement. Dans cette perspective, pour que le travail constitue un environnement capacitant, il est nécessaire que les entreprises repensent la gestion des ressources humaines

afin que celle-ci soit cohérente avec ce qui se joue dans le travail réel. D’une part, il ne s’agit

pas de prendre en compte uniquement les ressources internes des individus comme devant être

conformes à ce qui est défini dans les référentiels, mais de reconnaître « l’intelligence de la

situation » dont ils disposent pour la gérer. L’opérateur dispose de ressources qui lui permettent

de réguler son activité en fonction de sa compréhension de la situation, d’être créateur de son

propre travail (Falzon, 1996 ; Wisner, 1995). D’autre part, les ressources externes doivent être

considérées ainsi que leurs effets sur la possibilité pour les opérateurs de réguler leur travail.

Ainsi, la gestion des ressources humaines ne doit pas s’orienter uniquement vers la gestion des personnes mais vers le développement possible de leurs activités (Bourgeois et Hubault, 2013).

L’enjeu est alors de réfléchir aux organisations qui peuvent soutenir cette vision des ressources

humaines.