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PAUL CORNIL

Dans le document Etudes en l'honneur de Jean Graven (Page 56-71)

DROIT PÉNAL ET MONDE MODERNE

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loppe à une vitesse folle, la routine des usages et des conceptions judiciaires est tenace et arrive à se soustraire à ce rythme et aux plus évidentes nécessités. » 2

Au lendemain de la guerre, Hermann MANNHEIM soulignait lui aussi le conservatisme du monde juridique « le plus lent à réaliser les adaptations nécessaires aux changements de la société». Il affirmait que nulle part, à l'exception de l'U.R.S.S., on n'avait entrepris de repenser entièrement le système des valeurs pénales. A défaut de faire ce réexamen, toute réforme demeurerait incomplète et plus ou moins efficace 3 • C'est ce travail de renouvellement que MANNHEIM tenta magistralement dans ce livre de 1946 ; mais, comme il l'écrivait lui-même, chaque génération doit admettre qu'il est de son devoir de remettre en chantier ses conceptions sur la criminalité et de revoir la législation au lieu de conserver tout naturellement inchangée celle qu'elle a héritée de ses prédécesseurs 4

Remettre en question nos conceptions pénales pour les réajuster au temps présent et, même, pour préparer l'évolution future si, comme l'écrit M. ÜRAVEN : «il n'est pas difficile d'imaginer, en observant autour de soi et en se souvenant du pouvoir irrépressible de l'imitation, quelques-unes des formes de criminalité de la société de demain » 5

Et ceci m'amène à une troisième méthode d'approche de l'état de la criminalité et de la répression, par l'étude de l'actualité criminelle, de la chronique judiciaire et des transformations des méthodes de traitement des délinquants. Un des traits caractéristiques de l'œuvre abondante et variée du doyen ÜRAVEN, auquel cet essai est dédié, est précisément sa préoccupation constante de suivre de près cette réalité concrète qui déborde le cadre des institutions et qu'il commente, pour en tirer des enseignements généraux, notamment dans ces éditoriaux que je viens de citer.

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Malgré cette tendance générale à l'immobilisme, tout système pénal doit accepter certaines modifications pour répondre à des situa-tions nouvelles. Ces adaptasitua-tions se réalisent de diverses façons.

Les modifications les plus spectaculaires de la répression pénale sont adoptées sous l'empire de l'émotion provoquée par une forme

2 Revue de Criminologie et de Police scientifique, 1968, n° 2, p. 85.

3 H. Mannheim, Criminal Justice and Social Reconstruction, London, P. Kegan, 1946, pp. VIII et 2.

• Ibid., p. 4.

5 Revue de Criminologie et de Police scientifique, 1968, n° 3, p. 178.

DROIT PÉNAL ET MONDE MODERNE 43 inquiétante de criminalité qui surgit ou renaît brusquement à l'avant-plan de l'actualité.

En Belgique, au lendemain de la guerre 1914/1918, des bandes de « chauffeurs », reprenant des méthodes qui sévissaient à la fin du xvme siècle, s'introduisaient nuitamment dans des exploitations agri-coles, exigeant la remise de sommes d'argent thésaurisées pendant la guerre et soumettant les fermiers récalcitrants à la torture par le feu.

li s'en fallut de peu que l'usage de la peine de mort ne soit rétabli en 1919 pour combattre ces vagues de crimes 6

Aux Etats-Unis, l'enlèvement de l'enfant LINDBERGH en mars 1932, fut à l'origine d'une législation fédérale et de plusieurs législations d'Etats faisant du kidnaping un crime capital.

En France, la loi du 23 novembre 1950, modifiant l'article 381 du Code pénal, punit de mort le vol en bandes, si les coupables, ou l'un d'eux, étaient porteurs d'une arme ou avaient l'arme dans le véhi-cule motorisé qui les avait conduits sur les lieux ou qu'ils auraient utilisé pour assurer leur fuite. L'émotion suscitée par les exploits des

« gangs des tractions avant » est à l'origine de cette disposition.

li existe d'autres exemples de cette forme de réaction impulsive que Paul T APPAN avait qualifiée de législa tians de panique. Mais, le plus souvent, ces dispositions n'ont eu qu'un intérêt momentané. Cer-taines d'entre elles n'ont jamais été appliquées.

Une autre forme d'adaptation de la répression pénale est celle qui est provoquée par la mise en œuvre de nouveaux procédés techniques que le législateur n'avait pas pu envisager lors de l'élaboration de la loi. Parfois, c'est la jurisprudence qui admet l'extension du texte à la technique nouvelle. Un exemple classique est celui du vol d'électricité qui paraissait ne pas pouvoir être sanctionné sur la base de la dispo-sition relative au vol d'une « chose ». Tour à tour, les jurisprudences française, hollandaise et belge admettent la sanction 7 •

On peut citer d'autres cas d'adaptation jurisprudentielle de cette nature, mais les hautes juridictions ne sont entrées dans cette voie qu'avec circonspection et prudence.

CONSTANT rapporte, par exemple, les péripéties du refus par la Cour de Cassation belge et, sur deuxième renvoi, par la Cour d'Appel o Royal Commission on Capital Punishment, H.M. Stationary Office, 1953, pp. 339-340.

7 Bouzat, Traité de droit pénal, 2• édition, p. 95, n• 89 ; O. Huybrechts, Les vols d'eau, de gaz et d'électricité, Revue de droit pénal et de criminologie, 1935, pp. 236-249.

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de Gand, d'appliquer l'article 523 du Code pénal visant la destruction d'une machine à vapeur, à un sabotage de machine fonctionnant au mazout. C'est sur la base de l'ambiguïté de la motivation de l'arrêt d'appel de Liège que la cassation avait été tout d'abord décidée (Cass.

25 janvier 1956). La Cour d' Appel de Bruxelles ayant statué dans le même sens que la Cour de Liège, la Cour de Cassation cassa à nou-veau par le motif que la cour d'appel n'avait pas justifié que les faits puissent être compris dans la définition légale de l'infraction. Et l'ar-rêt ajoute : « en effet, une machine à vapeur n'est par définition et ne peut être qu'une machine produisant de l'énergie motrice en utili-sant une quelconque vapeur. »

La Cour de Gand, statuant définitivement, motiva son refus d' ap-pliquer l'article 523 notamment par le fait que, « dans la machine détruite, le gasoil ou le fuel-oil est pulvérisé et non vaporisé, et que les phénomènes produisant l'énergie dans ces machines ne sont pas provoqués par l'inflammation de vapeurs ».

Et l'arrêt concluait en ces termes : «attendu qu'il ressort de ce qui précède que la définition de la machine à vapeur ne s'applique pas aux machines détruites par le prévenu. » 8

C'est pourquoi, dans l'adaptation aux situations nouvelles, la voie législative a été suivie à maintes reprises. La poursuite du chef de grivèlerie a été assurée, en France comme en Belgique, par des dispo-sitions légales o.

Autre exemple belge : la manœuvre de l'automobiliste qui fait approvisionner son véhicule en carburant et se soustrait ensuite frau-duleusement au paiement immédiat de sa dette, était difficile à qua-lifier pénalement. La loi du 17 décembre 1963, constituant l'article 508 bis du Code pénal, en fit une infraction spéciale.

Les législations de panique et la reconnaissance jurisprudentielle ou légale de moyens techniques nouveaux que le législateur ne pou-vait prévoir, sont insuffisantes pour réaliser une réforme importante du système pénal. On ne pourrait se borner à en faire usage que si le système répressif était considéré comme un élément permanent qui ne requiert que des ajustements mineurs pour répondre aux exigences des temps nouveaux.

s ]. Constant, Traité élémentaire de droit pénal, édition 1965, t. 1, p. 82, note 2 ; le texte des décisions judiciaires successives a été reproduit ctans la Revue de droit pénal et de criminologie, v. références année 1957/1958, pp. 855 et 856.

9 Lois françaises des 26 juillet 1873, 31 mars 1926 et 28 janvier 1937; lois belges des 23 mars 1936 et 17 décembre 1963 complétant l'article 508 du C.P.

DROIT PÉNAL ET MONDE MODERNE 45 Or, si on peut admettre que les traits fondamentaux de la nature humaine présentent une certaine permanence qui justifie la recherche de modes de prévention et de traitement des délinquants, on ne voit pas pourquoi les actes considérés comme criminels présenteraient ce même caractère d'immuabilité. La tentative de GAROFALO, cherchant à définir le délit naturel, a abouti à énoncer une pétition de principe sans portée réelle. L'énumération des actes punissables varie d'une époque à l'autre plus ou moins rapidement, selon le mode de vie et les moyens d'action dont les hommes disposent.

En 1958, un membre de la Chambre des Communes, discutant la répression pénale de l'homosexualité mise en question par la com-mission WOLFENDEN, se demandait si ce fait serait érigé en infraction au moment de rédiger un code pénal à l'usage des premiers coloni-sateurs de la lune 10.

L'hypothèse de l'occupation de la lune se rapproche rapidement de la réalité, mais point n'est besoin de sortir de notre planète pour constater qu'une modification rapide du champ de la répression pénale se réalise sous nos yeux. Cette transformation se manifeste dans tous les domaines, dans celui de la protection des biens comme dans celui de la protection de la personne. Un droit pénal social et économique est en voie d'élaboration, mais c'est à l'égard de la protection de la vie et de la santé de l'individu que l'élargissement du droit pénal est à la fois le plus original et le plus caractéristique.

Un ensemble de plus en plus touffu de dispositions réglementaires organise les professions et les activités dangereuses (professions médi-cales, métier d'architecte, réglementation de l'aéronautique, du rou-lage, de l'usage de l'énergie nucléaire). L'inobservation de ces pre-scriptions réglementaires est frappée de sanctions empruntées le plus souvent au code pénal. Le but poursuivi est de protéger la collectivité en empêchant la création de situations dangereuses. Fréquemment, les obligations ou les défenses ainsi créées ne visent qu'indirectement ce but de protection sociale. Aussi, l'inobservation de la règle n'appa-raît pas comme un délit dont l' « immoralité » peut être reprochée à son auteur. Ce caractère de droit contraventionnel ne semble pas justifier les sanctions graves qui sont parfois infligées, surtout lors-qu'elles sont accompagnées de privations de droits, de mesures d'in-terdiction d'activités ou de professions.

Certains vont même jusqu'à dénier explicitement tout caractère criminel à ces infractions.

10 British journal of Criminology, January 1968, p. 86.

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La statistique criminelle belge ne contient pas le relevé des infrac-tions commises par négligence ou par défaut de prévoyance. Elle s'en justifie en ces termes : « Certains actes de l'homme, même frappés par la loi de sanctions graves, ne comportent pas dans le chef de leur auteur, la perversité morale qui, au sens de la présente étude, consti-tue le caractère de la criminalité » 11 • Il en résulte que toute la matière des infractions à la législation et à la réglementation du roulage est exclue de cette statistique.

C'est vraisemblablement pour des motifs analogues que la Com-mission présidentielle américaine pour l'étude de l'application de la loi et de l'administration de la justice n'a pas estimé devoir consacrer un chapitre du tableau de la criminalité aux Etats-Unis, au problème du roulage et des moyens de combattre les dommages aux personnes et aux biens provoqués par les accidents routiers. Pourtant, d'autres problèmes marginaux, comme l'ivresse ou la toxicomanie, sont traités dans ce rapport. Et on ne peut pas dire que l'importance de la question des infractions de roulage a échappé aux membres de cette commission, puisqu'ils y font une allusion précise, donnant une esti-mation des dommages causés après avoir reconnu qu'une conduite criminelle est à l'origine d'un pourcentage élevé des décès et des coups et blessures provoqués par les véhicules à moteur 12

En réalité, il règne donc une grande incertitude au sujet de la nature juridique de ces infractions et du caractère des moyens d'in-tervention utilisés par le législateur dans ces domaines nouveaux.

S'agit-il d'un droit pénal ou d'un droit purement réglementaire ? Applique-t-on des peines ou des mesures d'une autre nature ?

Ces questions sont souvent posées et résolues diversement, notam-ment en matière de réglenotam-mentation du roulage.

Je n'entreprendrai pas, dans cet essai, de donner réponse à ces questions. Je m'attacherai plutôt à montrer que l'évolution récente de la répression des infractions classiques, des crimes et délits de nos législations pénales, perd, en fait sinon en droit, ce caractère « moral » qui la différenciait de la sanction des incriminations nouvelles d'un droit pénal réglementaire. Des phénomènes de « décriminalisation » de certaines infractions, l'attitude passive ou indifférente du public ou, même, de certaines victimes à l'égard de ces infractions sont l'in-dice d'une évolution qui tend à justifier la répression par des motifs qui ne sont pas principalement d'ordre moral. Les changements dans

11 Statistique criminelle de la Belgique, année 1966, pp. 9-10.

12 The Challenge of crime in a free society, Washington, 1967, p. 19.

DROIT PÉNAL ET MONDE MODERNE 47 les méthodes de jugement et dans les modes de traitement des délin-quants révèlent une évolution dans le même sens.

Je vais décrire quelques aspects de cette évolution qui tend à combler le fossé que certains croient devoir maintenir entre les crimes traditionnels du code pénal et les infractions réglementaires dont le nombre et l'importance se multiplient rapidement.

J'envisagerai successivement les phénomènes de décriminalisation et d'atténuation des sanctions pénales, les problèmes de la délinquance inconnue et la conception du traitement des délinquants.

A. - Décriminalisation.

Si, comme je l'ai relevé, de nouvelles incriminations sont creees pour répondre à des situations nouvelles, parallèlement d'autres infractions disparaissent par désuétude, par modification de la loi ou de la jurisprudence.

La prostitution a cessé, dans la plupart des pays, d'être punis-sable. La loi pénale se borne, le plus souvent, à frapper, autour de la prostituée, ceux qui l'exploitent ou qui profitent de son commerce.

Le Royaume-Uni a procédé récemment à l'abolition totale ou par-tielle de certaines incriminations. Depuis 1961, la tentative de suicide a cessé d'être considérée comme une infraction. Le « Sexual Offences Act » (1967) a mis fin aux poursuites du chef de faits d'homosexualité entre hommes consentants. Une loi, sanctionnée le 27 octobre 1967, a admis la légalité de l'avortement dans certains cas 13

L'abolition légale d'une infraction est cependant peu fréquente.

Elle n'est demandée que lorsque le maintien de l'incrimination heurte une grande partie de l'opinion publique ou lorsque l'application de cette disposition suscite des inconvénients graves. Dans la campagne pour la suppression de l'incrimination de l'homosexualité, on a évoqué les manœuvres de chantage que ces dispositions pénales pouvaient faire naître.

Des textes surannés subsistent dans nos codes pénaux sans incon-vénient sérieux. Le code pénal belge contient un chapitre consacré au duel érigé en infraction spéciale. Ces dispositions spéciales témoignent d'une certaine indulgence du législateur à l'égard de ce mode ancien et coutumier de règlement de conflits.

13 N. Walker, Crime and punishment in Britain, University Press, Edinburgh, 1965, p. 6; British journal of Criminology, january 1968, pp. 82-86.

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On pourrait sans danger omettre ce chapitre qui ne correspond plus à l'état des mœurs en Belgique. La France, qui connaît encore de rares exemples de duels, n'a pas jugé bon de légiférer à ce sujet et je ne crois pas que la suggestion de M. BOUZAT demandant la création d'une incrimination spéciale ait quelque chance d'être entendue 14 •

Plus fréquente que l'abolition ou la désuétude de la sanction d'une infraction est la diminution de la sévérité de la peine appliquée. Il semble qu'en dehors des regains de sévérité dont j'ai parlé plus haut, la gravité moyenne des peines s'atténue progressivement : la peine de mort en matière de crime de droit commun est en voie de dimi-nution rapide et son application aux meurtriers a été suspendue récem-ment pendant un délai de cinq ans dans deux grands pays (Royaume-U ni - Loi du 8 novembre 1965 ; Canada - 29 décembre 1967), tandis que le nombre des exécutions a diminué rapidement aux Etats-Unis (aucune exécution n'eut lieu en 1968).

Dans l'ensemble, les peines privatives de liberté sont infligées avec moins de sévérité. Il y a quelques années, j'en ai recherché des exem-ples dans la statistique criminelle belge : alors que les auteurs de vols qualifiés sont punissables d'une peine criminelle, pendant l'année 1960 une seule peine criminelle a été infligée de ce chef, tandis qu'au cours de cette même année, 1556 condamnations correctionnelles ont été prononcées à charge d'auteurs de cette infraction. Dans le même sens, la sanction de l'adultère de la femme et de l'entretien de concu-bine par le mari, punissables pour la femme de 3 mois à 2 ans, pour le mari d'un mois à un an (art. 387 à 390 du C.P. belge) ont été, au cours de la même année 1960, sanctionnés avec indulgence : sur 4.299 condamnations, 3.773 se bornaient à infliger une amende simple ou même une amende conditionnelle 15 •

Résultat de l'évolution des mœurs, l'atténuation des sanctions en matière d'adultère est un exemple de la tendance à la décriminalisa-tion de certaines infracdécriminalisa-tions. Il y a près de vingt ans, un pénaliste belge envisageait de considérer l'adultère comme un « délit civil », comme une simple cause de divorce 16•

14 C.P. belge, art. 425-433 ; P. Cornil, Répression pénale et transformations sociales, Revue de l'Institut de Sociologie, Bruxelles, l 963, p. 114 ; P. Bouzat, Traité de droit pénal et de criminologie, 2' édition, 1963, n° 307.

15 P. Cornil, Revue de l'Institut de Sociologie, 1963, article cité, pp. 114-115.

16 ]. Van Parys, Convient-il de maintenir les sanctions des délits d'adultère et d'entretien de concubine dans notre droit pénal ?, Revue de droit pénal et de criminologie, 1950/1951, pp. 505-512.

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B. - Le chiffre noir de la répression.

L'étude de la criminalité se fait sur la base des infractions qui par-viennent à la connaissance des autorités chargées de la répression.

Depuis longtemps, l'attention a été attirée sur le « chiffre noir» de la criminalité inconnue. On sait que le pourcentage de crimes non signalés ou non découverts varie selon la nature de l'infraction et qu'il est par exemple fort élevé - dans nos pays du moins - en matière d'avortement criminel. Par contre, une infraction commise en présence d'un représentant des autorités policières, comme la rébellion ou l'outrage à la police, est presque immanquablement constatée et donne lieu à poursuite.

L'existence du chiffre noir était considérée surtout comme un indice de l'efficacité relative des services de recherche et de poursuite.

L'attitude du public et, même, des parties lésées qui ne coopèrent pas à l'action répressive avait déjà été aperçue il y a plus d'un siècle par RAWSON.

Aujourd'hui, cet aspect de l'explication du chiffre noir a pris plus d'ampleur et on en tire des déductions importantes. En effet, on s'aperçoit que la non-dénonciation d'infractions, mêmes graves, est beaucoup plus fréquente qu'on ne l'avait cru et s'explique par des raisons très diverses 17•

Parmi les infractions, il en est qui sont plus facilement tolérées que d'autres par l'opinion publique. On ne s'émeut guère de petits vols, surtout lorsque ceux-ci ne portent pas préjudice à un particulier.

Comme l'écrit Terence MORRIS, on considère qu' «il n'y a pas de véritable infraction lorsqu'aucun dommage visible ne semble avoir été causé». Une victime impersonnelle, un établissement bancaire ou un organisme public, émeut beaucoup moins l'opinion qu'une victime individuelle 18

Dans certains cas, la victime ne dénonce pas l'infraction parce qu'elle serait elle-même inquiétée ou, du moins, ridiculisée. Ainsi un

11 L. Radzinowicz, ldeology and Crime, London, Heinemann, 1966, pp. 63 et suivantes ; Mc Clintock, Aspects criminologiques et pénologiques du chiffre noir du Crime et de la Criminalité, Sixième Conférence européenne des directeurs d'instituts de recherches criminologiques, Conseil de l'Europe, Strasbourg, novembre 1968, p. 11.

18 T. Morris, The social toleration of crime, in Changing concepts of Crime and its Treatment, Oxford, Pergamon Press, 1967, spécialement pp. 20-21.

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escroc qui promet à ses futures victimes un bénéfice usuraire ou illi-cite, peut éviter sa dénonciation par ces prêteurs peu scrupuleux. En matière d'infractions contre les bonnes mœurs, la victime compromise se taira si elle s'est mise imprudemment dans une situation qu'elle

escroc qui promet à ses futures victimes un bénéfice usuraire ou illi-cite, peut éviter sa dénonciation par ces prêteurs peu scrupuleux. En matière d'infractions contre les bonnes mœurs, la victime compromise se taira si elle s'est mise imprudemment dans une situation qu'elle

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