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L’influence des changements des notions de base sur la compréhension de la culture et de la religion

2.1.1. La bonté et la beauté : la définition classique

2.1.1.3. Partie immatérielle de la culture : l’éthique

La partie précédente se concentre sur le sujet de la réalité qui, grâce aux sens, devient directement accessible à la raison. En étant liée plus particulièrement aux facteurs matériels, cette réalité constitue un terrain de prédilection pour l’esthétique. Les propos suivants ont pour but de compléter l’analyse des phénomènes de la culture en soulignant ses éléments immatériels. Les comportements, la science, la sagesse, l’éthique, la religion et la politique ou le savoir-vivre créent un espace dans lequel l’élément immatériel domine le matériel. La totalité des comportements de l’homme, la finalité de ses actes et les règles qui organisent la vie humaine sont le sujet de l’éthique qui élabore des principes pour la moralité, mais ne s’identifie pas avec elle. Ces principes, au-delà de la dimension scientifique, celle du savoir et de la politique, peuvent être appliqués dans tous ces domaines.

L’activité et les comportements humains découlent de la vision définie du monde et de l’homme. C’est pourquoi chaque système philosophique intégral renferme aussi une partie éthique. Cependant, certains philosophes ne fondent les principes de leur système que sur l’éthique. Par exemple Socrate qui se concentre sur le travail didactique pour transmettre à la jeune génération deux valeurs suprêmes : la vertu et la sagesse. D’après lui, ce sont elles qui guident l’homme vers ce qui est le plus essentiel, à savoir le bonheur. Il préconise la vertu et la sagesse, car pour faire le bien il suffit de savoir ce qui est bon. Ces thèses de Socrate influencent Platon, et à travers lui, plusieurs philosophes postérieurs. Les premiers dialogues (« L’apologie de Socrate »,

119 « Protagoras », par exemple) illustrent les principes éthiques qui servent à construire les notions de l’éthique chez Platon. Le philosophe croit que l’idée du bien est l’idée prépondérante. Il complète son système par la théorie des vertus en attribuant à chaque fonction de l’âme sa propre vertu. Il choisit les quatre vertus principales qui contribuent à l’harmonie de l’âme : la justice, la sagesse, le courage et la modération. Désormais on l’appelle « la science des quatre vertus ». La modération, beaucoup appréciée dans la pensée plationienne, trouve sa place encore plus particulièrement dans la théorie du « milieu d’or » d’Aristote. Dans « L’éthique à Nicomaque » le disciple de Platon affirme l’existence de deux autres caractéristiques de chaque vertu: la justice et la retenue. La vertu selon Aristote ne se trouve ni dans l’avidité ni dans le gaspillage, elle est dans la mesure, « au milieu ».

L’antiquité a dressé un large inventaire des attitudes éthiques, qui fait référence dans l’histoire de la philosophie. Le cynisme, par exemple, définit le bonheur à travers le prisme de la libération des besoins qui constituent la source de souffrance et dans le respect des choses naturelles; au XIXe siècle Arthur Schopenhauer reprendra à son compte cette idée. Les cyniques proclament l’hédonisme modéré, le bonheur que l’homme peut trouver dans le plaisir corporel qui fonde l’essence du bien. Le stoïcisme, au contraire, appelle à chercher le bien intérieur (le manque du désir, « apatheia »). D’après les stoïques, aucune des circonstances extérieures ne procure le bonheur ou l’assouvissement. L’épicuréisme met l’accent sur le dualisme du bonheur, l’hédonisme et le culte de la vie. Le scepticisme préfère l’existence soumise aux inclinations naturelles à cause de l’indéfinité du bien. Les systèmes philosophiques postérieurs seront grandement tributaires de cet héritage philosophique de l’Antiquité.

Le christianisme, lui aussi, apporte une certaine nouveauté à l’éthique. Mais il faut se rappeler que, dans un premier temps, la religion ne construit pas la philosophie, qu’elle n’est pas la réponse aux questions philosophiques, car à côté de la raison, elle exige la foi en un message qui dépasse les possibilités de l’intelligence. La religion influence préalablement l’éthique, elle façonne les comportements. La religion et la philosophie se rejoignent sur la question de la transcendance. Cette transcendance, en faisant irruption dans l’histoire, devient une présence immanente qui détermine la façon de vivre et d’appréhender le monde. Elle ne cesse cependant pas d’exister de manière autonome. Ainsi, le bonheur, finalité dernière de l’éthique, devient à la fois don de la

120 transcendance et surpassement des forces humaines. Saint Augustin, par exemple, enseigne que la vérité guide l’être humain vers le bonheur. Cette vérité demeure dans l’homme, mais vient de Dieu (in interiore homine habitat veritas). La quête incessante de la vérité n’apporte pas la félicité, mais une fois qu’elle est donnée par l’illumination divine, elle est source de bonheur car elle assimile ce qui était connu à Celui qui est connu. A part cela, le christianisme, en accord avec la philosophie grecque, élabore une nouvelle interprétation du bien et du beau en affirmant l’importance de l’intention dans l’action. Pour Pierre Abélard, par exemple, c’est l’intention qui détermine totalement l’action.

Le christianisme introduit dans le débat philosophique la notion de la conscience et il élève au niveau de ce débat la problématique de l’homme en tant que personne ; c’est-à-dire l’être qui pense (qui possède la raison) et qui désire (qui possède la volonté). La responsabilité de l’homme ne s’arrête pas ici-bas, car sa référence demeure la réalité qui arrivera après la mort. Cette approche supraterrestre débouche sur l’affirmation de la mystique qui agit dans la sphère du désir et de la morale. Ses principes présupposent que l’homme est capable d’entrer en lien avec la transcendance, soit personnelle (dans le christianisme ou le judaïsme) soit impersonnelle (dans certains courants du bouddhisme), à tout moment et non seulement après la mort. Pour ce faire, l’homme conforme son comportement aux règles décrites par les courants mystiques.

Cela revient à poser la question des déterminismes et de la liberté de volonté humaine tant au plan moral d’inspiration religieuse qu’éthique. L’homme est toujours déterminé par des facteurs extérieurs et intérieurs. Dans quelle mesure est-il donc libre ? Il y a une multitude de réponses dont dépend le degré de responsabilité de l’homme de ses actes. Est-ce que sa volonté influencée par ces facteurs le rend responsable de ses agissements ? La conception déterministe de l’éthique peut être opérée, par exemple, par la vision spécifique du monde, comme celle de Baruch Spinoza. Sa conception panthéiste de la réalité présuppose qu’il n’existe ni liberté ni hasard : grâce à l’émanation de la divinité qui devient la matière du monde, la réalité créée et Dieu sont identifiés. Le panthéisme de Spinoza qui essaie ainsi de lutter contre le dualisme de Descartes, supprime complètement l’indéterminisme dans la réalité.

Les questions d’éthique restent toujours actuelles et les réponses, même incomplètes, guident vers la solution de certains problèmes. Ces réponses sont fonction

121 de l’époque et de l’état du savoir. L’affirmation de Julien de la Mettrie que l’homme est machine correspond aux connaissances dans le domaine de la physique et de la biologie du XVIIIe siècle. Ces constatations peuvent également exister de nos jours, mais elles ne fonctionnent que comme des analogies. L’individualisme outrancier de Stirner n’a plus sa raison d’être. Ces thèses, en partie exactes, ne reflètent qu’un aspect du problème. L’appréciation de l’homme à l’aune de son utilité qui perdure depuis le positivisme ne peut pas rendre compte de la dignité humaine. Cela démontre que l’homme, malgré toutes les descriptions faites par la science, reste un mystère ; il demeure, comme souligne Heidegger, la question perpétuelle.