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L’influence des changements des notions de base sur la compréhension de la culture et de la religion

2.2.1.3. La religion comme œuvre de la transcendance

Cette partie sera consacrée à la participation de la transcendance dans la relation religieuse. D’abord, pour compléter le tableau, nous présenterons les arguments en faveur de véracité de la phrase « Dieu existe », ceux qui doivent valider la thèse théiste. Nous exposerons ensuite les arguments de la philosophie classique en la matière et les conclusions qui en découlent ; nous répondrons à la question qui est Dieu et quelle est

148 sa nature ? Pour terminer, nous décrirons la relation entre Dieu et le monde, en soulignant la manière dont il y est présent et comment il se révèle aux hommes.

L’existence de Dieu transcendant et personnel n’est pas évidente. Pour prouver la véracité de la phrase « Dieu est », il faut faire une première distinction méthodologique entre la notion de l’argument et de la preuve. L’argument se réfère aux assertions visant à confirmer ou infirmer la thèse. Il ne conduit pas à une certitude, mais tout au plus à une grande probabilité. Au contraire, la preuve signifie un processus intellectuel par lequel, grâce à ses conclusions, nous arrivons à une certitude qui peut être vérifiée. La majorité des théories en faveur de la thèse théiste a le caractère d’argument. Au niveau de la métaphysique classique, il est possible de trouver la preuve qui peut mener à la certitude de l’existence de Dieu. Notre propos ici sera d’essayer de montrer la présence de l’idée de Dieu dans l’histoire, puis les arguments au profit de l’existence de l’Etre absolu. Ensuite, nous présenterons la preuve métaphysique confirmant la thèse théiste et nous décrirons l’image de Dieu qu’elle induit.

L’idée de la transcendance est présente dès l’Antiquité. Elle apparaît soit dans les figures anthropologiques des dieux mythologiques, soit dans les principes philosophiques d’Aristote (Primus Motor – le Premier Moteur Immobile), soit encore chez Plotin (la vision panthéiste d’émanation du dieu). Dans ses différentes formes, la religion fournit des images nouvelles du dieu qui ne sont pas sans influence sur la philosophie. Cependant l’homme essaie par lui-même d’approfondir la question de l’existence de Dieu. Descartes, par exemple, réduit la notion de Dieu à une simple cause. Dans le sens cognitif et dans l’ordre de l’être, Dieu n’est que la cause productive. Le même réductionnisme caractérise la théorie panthéiste de Spinoza, mais pour lui Dieu n’est que la cause matérielle du monde, sa matière. Kant, quant à lui, nie la métaphysique traditionnelle. Il observe pourtant que l’idée de Dieu, de l’immortalité et de l’âme se vérifient davantage par la vie et l’action que par la science. D’après le philosophe de Königsberg, personne n’a prouvé son existence, mais personne non plus n’a réussi à prouver qu’il n’existait pas. Hegel, à son tour, place Dieu dans sa théorie de l’actualisation de l’esprit absolu dans l’histoire, en l’opposant au monde comme être spirituel. Le monde matériel trouve ainsi l’antithèse de la matière. Dans sa philosophie du processus, Albert Whitehead indique, lui aussi, que par sa participation au monde et à ses changements, Dieu est soumis au développement, au perfectionnement. On donc peut constater que le sujet de Dieu ne disparaît jamais de l’horizon de la pensée humaine.

149 Un survol rapide des arguments en faveur de la thèse théiste permet de les classer en scientifiques, a priori, anthropologiques, inductifs et enfin métaphysiques. Quant à la preuve qui nous occupe, elle se situe dans le cadre de la métaphysique.

Les arguments scientifiques sont peu convaincants215 à cause de la particularité de Dieu comme Etre absolu et de sa transcendance totale par rapport au monde. Dieu n’est pas quantitativement plus grand que le monde. Il en est qualitativement différent. Cela n’empêche pas A. Eddington, E. T. Whittaker, W. Craig d’argumenter de cette façon-là l’existence de Dieu. Ils essaient de prouver la véracité de cette thèse, mais aussi la véracité de la théorie de la création.

Les arguments a priori tirent leur origine de l’analyse du contenu de la notion de Dieu. L’argument le plus connu est celui d’Anselme de Canterbury (ratio Anselmi) relaté dans sa « Proslogion ». La déduction d’Anselm est tellement attrayante qu’en dépit de son postulat erroné elle ne cesse de servir de référence (cf. les méditations sur la philosophie première de Descartes). L’auteur affirme que Dieu est « l’être au-dessus duquel il n’y a rien de suprême » (ens quod maius cogitari nequit), ce qui revient à confondre l’ordre ontologique et épistémologique. Le fait que quelque chose peut exister ne suppose pas que cela existe vraiment (a posse ad esse non datur illatio).

Alors que les arguments a priori se fondent sur une analyse de la connaissance humaine, les arguments anthropologiques se réfèrent à la vie spirituelle de l’homme et aux formes intellectuelles (par exemple : l’existence des vérités innées). Saint Augustin illustre parfaitement cette démarche. Il explique que nous ne pouvons pas comprendre les vérités immuables par la réalité changeante. Aussi viennent-elles de Dieu qui les a engendrées dans l’intellect humain. Une autre approche se place sur le plan de la moralité. La nécessité de l’existence de Dieu découle, aux yeux de Kant, de l’expérience humaine du bien moral. Cette thèse peut être aussi confirmée par l’existence des droits éthiques, de la liberté de l’homme ou même du désir du bonheur. Toutes ces théories ne peuvent prétendre au statut de preuve, elles sont tout au plus des arguments peu ou prou convaincants. Notons toutefois que l’induction de R. Swinburne ne fournit pas non plus de preuve à la raison probable de l’existence de Dieu.

Il faut donc aborder ce thème à lumière de la métaphysique. Saint Thomas d’Aquin nous transmet les cinq arguments de sa véracité. Ces soi-disant « cinq

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Paul VI constate que le désir de la preuve scientifique de l’existence de Dieu signifierait sa réduction au niveau des êtres de notre monde, donc l’erreur méthodologique dans le discours sur la nature de Dieu. Cf. PAUL VI, Audience générale, le 27.11.1968.

150 chemins » tendent au constat de l’existence de l’Absolu216. L’argument contemporain, établi sur la théorie de l’acte (l’existence) et la puissance (l’essence) de Thomas d’Aquin, est une tentative d’auto-compréhension du monde. Elle mérite d’être examinée de plus près. L’acte de l’existence n’implique pas l’essence (quelque chose n’est pas quelque chose parce qu’elle est) et inversement, l’essence n’explique pas l’existence (quelque chose n’est pas parce qu’elle est quelque chose). Il existe uniquement un être dans lequel l’essence s’explique par l’existence et vice versa. Cet être remplit la condition de l’identité de l’acte et de la potentialité. L’une explique l’autre car l’une contient l’autre ; l’essence de cet être est l’existence. Il est appelé l’être absolu ou Dieu.

Pourquoi Dieu ne peut-il être qu’un? Parce qu’il n’y a pas en lui de matière à différenciation (c’est-à-dire la puissance), il est parfait en étant l’acte pur ; il ne reste pas statique, mais il est parfaitement dynamique. On peut dire qu’il existe dans l’éternité, hors du temps, car le temps est la mesure du mouvement, et le mouvement est la mesure des changements entre l’acte et la potentialité, et cela n’a pas lieu en Dieu. De cette façon-là, la métaphysique classique prouve la thèse théiste. Cette preuve permet non seulement d’accepter la véracité de la phrase « Dieu existe », mais aussi de décrire, dans la mesure du possible et cela à l’aide de la déduction, quel est son caractère. Dieu, comme l’être parfait et dynamique, est capable de connaître et de désirer, il est donc une personne. De la synthèse de ces deux actes : de la connaissance (la vérité) et du désir (le bien) naît l’amour. Dieu est amour, et Il est l’amour parfait217

. C’est par l’amour que

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Saint Thomas énumère les arguments provenant d’un mouvement en tant que passage de la puissance à l’acte (la définition d’Aristote). Et puis, il explique que l’existence n’appartient pas à l’essence sans Dieu. Donc c’est Dieu qui peut donner l’existence et peut continuer à l’offrir. Le quatrième argument touche la problématique de la hiérarchie des êtres, et le cinquième provient de la finalité. Tous les cinq chemins de Thomas ont été critiqués et interprétés plusieurs fois.

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Il faut noter que Saint Thomas définit l’amour comme le désir du bien pour l’autre (velle bonum ad aliud). De sa nature l’amour est relatif. Si Dieu est l’amour parfait, Il doit être en relation avec quelqu’un. Cela ne peut pas être exclusivement la relation au monde, parce que si d’aventure le monde n’existait pas, Dieu n’aurait pas le corrélatif de son amour. Il devrait changer sa nature, et cela est impossible. Il faut que Dieu ait la relation en Lui-même, la relation intérieure. La révélation chrétienne apporte cette image de Dieu qui est la Trinité, la Communauté des Personnes. Cet amour entre le Père et le Fils devient la troisième personne, l’Esprit Saint. Thomas d’Aquin en rappelant les quatre façons d’exister, écrit que la manière la plus forte est l’Absolu (ens in se et per se, l’être en lui et par lui-même), après c’est la substance, ens in se ; l’être en lui, à la troisième place il faut situer la coïncidence, ens in alio, cela veut dire l’être dans l’autre, et à la fin la relation qui est ens ad aliud c’est-à-dire l’être en face de quelque chose. En Dieu, la façon la plus faible de l’existence se transforme en celle qui est la plus forte.

151 Dieu s’ouvre au monde, et à une relation personnelle. Cela se réalise par Sa révélation au monde et par l’initiation du dialogue personnel avec l’homme.

Cette relation n’est pas évidente pour tous les philosophes. Aristote pense que Dieu n’a pas besoin de relation avec le monde. Il est parfait et en même temps enfermé dans sa perfection. Le déisme adopte une position semblable en ce qu’il croit que Dieu a créé le monde mais qu’il l’a laissé à lui-même et aux droits de la nature qu’il lui a assignés. Par ailleurs, Dieu peut s’identifier au monde soit par son émanation (Plotin) soit par le fait d’être la matière du monde (Spinoza). Les thèses déistes et panthéistes posent un regard outrancier sur l’immanence de la Transcendance par rapport au monde. Ainsi, depuis le début, la véracité de la phrase „Dieu existe” décide du caractère de la genèse de la religion. D’ailleurs, l’idée de Dieu influe directement sur la notion de la relation religieuse appréhendée dans son essence comme dans sa genèse. Feuerbach affirme que la foi en Dieu est toujours la foi en la divinité de l’homme. Aujourd’hui, nous pouvons aussi rencontrer des formes de foi non réaliste proclamées, par exemple, dans les thèses de Don Cupitt218. Celui-ci proclame qu’il ne faut point croire en Dieu, mais en niant le théisme, on peut former sa conscience parce que la foi signifie en vérité la formation de la conscience. Elle ne présuppose aucunement l’existence de la transcendance.

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Pour Don Cupitt le rejet de la métaphysique est à l’origine de la postmodernité. La philosophie postmoderne ne se définit donc que par la fin de la métaphysique réaliste opérée à l’aide de la déconstruction de la pensée platonienne. Cette métaphysique dépassée était pourtant la seule capable de conserver la thèse théiste. « Privée d’un vocabulaire philosophique universel, les religions traditionnelles du genre humain ne peuvent être considérées à présent que comme des fondamentalismes. » (« Without any commonly understood philosophical vocabulary, the traditional religions of humankind can now survive only as fundamentalisms. ») (Religion after God, p. 123) La métaphysique vaincue permet d’accélérer le processus de la sécularisation qui se résume à la fois à la sacralisation de la culture et à la réduction de la religion (cf. Sea of faith, p. 27). Grâce à la transformation postmoderne, poursuit Cupitt, Dieu en tant qu’être absolu cesse d’exister. Il devient ce qu’il était de tout temps, c’est-à-dire la somme de valeurs les plus nobles de l’humanité (cf. Sea of faith, p. 275). Alors que le platonisme permettait de personnifier « cette somme de valeurs » et d’en faire « un être suprême », la postmodernité, en déconstruisant cet être artificiel, libère le monde de la domination de Dieu. Cupitt propose de cultiver la théologie, mais seulement de manière poétique et de créer une nouvelle religion mondiale, commune à tous les hommes. « La religion reconstruite est une religion sans métaphysique et sans credo, qui ne se focalise plus sur « le centre du pouvoir » qui existe en dehors de nous et qui ne dispose ni d’une structure, ni d’une communauté des gens qui sont conscients de la frontière qui sépare les élus du reste de l’humanité. » (It seems to be religion without metaphysics, religion without creed, religion no longer focused around a power center outside ourselves, religion without a structure of authority and religion without a gathered community of people who are very conscious of a clear line between themselves, the elect, ant the rest of humanity.) (Religion after God, p. 106). DON CUPITT, Religion after God, New York, BasicBooks, 1997; Sea of faith, London, SCM Press, 2003.

152 Le sujet de la religion, de sa genèse et de ses formes actuelles est présent de façon vivante dans la philosophie ou même dans la théologie de la religion. Les nouveaux phénomènes tel que le pluralisme religieux,jettent un éclat spécifique sur les notions de la culture et de la religion. L’homme, en découvrant le monde, en le recherchant et en accédant à la vérité, découvre aussi ce qu’il est, la vérité sur lui-même. Cela constitue le point de départ d’une quête de la transcendance et de la finalité dernière de l’existence. La poursuite des recherches et l’approfondissement de la réflexion sont la condition primordiale de l’aspiration à la vérité. Cela exige un dialogue permanent grâce auquel la connaissance de la religion progresse malgré le mystère inhérent à son essence.