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L’influence des changements des notions de base sur la compréhension de la culture et de la religion

2.1.2. Tout est culture : la définition postmoderne

2.1.2.3. La culture dominante

La dernière des caractéristiques de la culture postmoderne, celle de la culture dominante, se définit par deux phénomènes : d’une part, par la domination intrinsèque de la culture ne souffrant aucune objection ; d’autre part, par le fondamentalisme contre lequel lutte cette culture, mais qui, de temps en temps, réapparaît dans la sphère culturelle actuelle. De plus, on peut attribuer à la culture contemporaine le nom de « dominante », car elle manifeste certains vestiges totalitaires. Trois raisons à cela : d’abord parce qu’elle contrôle et surveille la vie des sociétés et des individus (parfois très précisément) grâce à la technique et à la globalisation et ainsi, elle les emmène vers une forme d’unification. Ensuite, il existe le danger que la lutte postmoderne contre la notion forte de vérité se tourne vers un nouveau paradigme de vérité. De cette manière, un obstacle s’enlève et un autre survient. Si les postmodernes alertent que la vérité est à l’origine du totalitarisme, il pourrait en être de même pour la vérité nouvelle196

. Finalement, la culture présente est dominante et autoritaire à cause du fait qu’elle n’accepte pas le fondamentalisme. La culture ne veut pas de ce dernier, mais par sa nature même, elle le provoque.

Cette surveillance de la réalité toute entière n’échappe pas aux analyses des postmodernes parce qu’ils traquent toutes les sources du totalitarisme. Bauman et Foucault traitent ce sujet très largement : le premier par la description de la société d’aujourd’hui, le deuxième par la figure « panoptique ». Le philosophe polonais commence par évoquer le rôle de la confiance dans la vie sociale. L’une des

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Dans son interview avec Rorty, Pascal Engel mentionne cette menace directement. Il affirme que ceux qui luttent contre la vérité considérée comme une valeur oppressive établissent souvent une nouvelle dictature avec leurs paradigmes et prennent une position à laquelle ils se sont d’abord opposés. Voir: P. ENGEL, R. RORTY, A quoi bon la vérité?, Paris, éd. Grasset, 2005, p. 16.

135 conséquences du processus de l’individualisation est que la confiance se déplace des relations interpersonnelles aux institutions197. Les agences de sécurité, d’assurances, les systèmes de surveillance, les alarmes, les gardiens, les villas bien protégées, les enclaves qui constituent « les villes dans les villes » pour sécuriser ses habitants etc., tout cela, écrit Bauman, montre la psychose sécuritaire qui est la nôtre. En bref, nous avons ramassé de grands biens et personne ne veut qu’ils soient volés, abimés, endommagés198. La technique devient, à la fois, un outil du contrôle omniprésent et la garantie de la sécurité. Pour cette raison les gens acceptent d’être observés tant dans le monde réel comme dans le virtuel. A ce stade l’analyse baumanienne se réfère à la théorie de Foucault, à son modèle de « panoptique ». Le philosophe français le définit comme suit :

Tous les mécanismes de pouvoir qui, de nos jours encore, se disposent autour de l’anormal, pour le marquer comme pour le modifier, composent ces deux formes [celle d’une communauté pure et celle d’une société disciplinée] dont elles dérivent de loin. Le Panopticon de Bentham est la figure architecturale de cette composition. (…) Le dispositif panoptique aménage des unités spatiales qui permettent de voir sans arrêt et de reconnaître aussitôt.199

La culture postmoderne essaie d’être entièrement antitotalitaire, elle copie pourtant certain mécanisme du système auquel elle s’oppose.

De surcroît, le caractère dominant de la culture s’exprime dans sa vision holiste du monde. La postmodernité envisage toute théorie présente ou passée comme équivalente, non-vérifiable et non-comparable. A l’aide du relativisme, toutes ces théories philosophiques se placent sur le même plan et c’est à l’homme de décider de leur véracité. Ainsi, la postmodernité devient « un nouveau métarécit » qui prétend établir de nouveaux principes généraux de la réalité, tels les choix libres entre les opinions, les religions, les produits et telle la tolérance et l’ouverture. Cependant, cette

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Le progrès dans sa forme présente abîme la confiance entre les hommes – pense Bauman. Car en favorisant l’individualisme, ce progrès menace les relations personnelles. Les circonstances économiques, surtout le consumérisme omniprésent, renforcent la désintégration sociale. (La consommation est toujours individuelle, même si nous l’effectuons dans la communauté! – s’écrie Bauman.) Voir: Z. BAUMAN, Płynna nowoczesność [Modernité liquide], Kraków, éd. Literackie, 2006, p. 255-256.

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Bauman s’appuie sur une étude entièrement consacrée à ce sujet : A. PEYREFITTE, La société de confiance, Paris 1998.

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136 proposition postmoderne d’ordonner le monde du progrès accéléré exclut tous ceux qui ne la partagent pas, à savoir tous ceux qui souhaitent décrire la réalité en se servant des « vocabulaires anciens » - comme le dirait Rorty. La culture dominante de la postmodernité proclame la liberté pour tous, hormis ceux qui sont opposés à sa proposition.

Nous avons décrit ci-dessus les processus qui opèrent la domination de la culture de l’intérieur. Mais n’oublions pas qu’il existe aussi la dimension extérieure de ce caractère dominant. L’extériorité de cette domination signifie qu’elle est étrangère à la culture, mais qu’elle y reste liée par la relation « cause-effet ». En acceptant tout et en permettant tout, la culture contemporaine provoque paradoxalement le fondamentalisme. Pour les philosophes du XXe et XXIe siècle, les événements du 11 septembre 2001 à New York, sont complétement choquants. Habermas reconnaît qu’à la lumière de cette tragédie, ses thèses sur le processus de communication tombent dans le ridicule200. Le terrorisme, produit sur la base du fondamentalisme frappe le cœur de la postmodernité, le dialogue, sans lequel la culture contemporaine perd sa raison d’être. Et cela parce que la violence, de par sa nature, anéantit le dialogue. Le terrorisme et le fondamentalisme sont aujourd’hui étroitement liés. Le premier est une manifestation du deuxième qui se produit par des actes violents. Et cela bien que les deux notions aient à l’origine la religion dans laquelle elles trouvent leur motivation201

. C’est de là que vient, comme conséquence logique, le postulat postmoderne de rejet de la religion. Il semble pourtant, aujourd’hui, que ce n’est pas le rejet de la religion, mais le dialogue interreligieux qui pourrait résoudre le problème202.

La culture postmoderne telle que nous l’avons définie s’oppose à toute forme de totalitarisme et de domination. Malgré cela, elle en est constamment menacée. Le combat des postmodernes pour la liberté et la dignité de l’homme reste affaibli par la présence des actions fondamentalistes violentes qui font partie du paysage de notre

200

Voir: A. TOSEL, Civilisations, cultures, conflits. Scénarios de la mondialisation culturelle, v. II, Paris, éd. Kimé, 2011, p. 57.

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Ce n’est pas, bien sûr, la raison unique du terrorisme. Le fondamentalisme signifie aussi la mauvaise relation que la religion entretient avec la politique. Il s’agit ici de profiter de la religion pour atteindre les objectifs au niveau du combat politique. Voir: A. TOSEL, Civilisations, cultures, conflits. Scénarios de la mondialisation culturelle, v. II, p. 161-162.

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Le phénomène du retour du religieux confirme la présence perpétuelle de la religion dans la vie humaine. Si la tentative de son rejet est vaine, alors il semble qu’on puisse sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons (du terrorisme et du fondamentalisme religieux) par le dialogue interreligieux et par le respect mutuel plutôt que par l’oubli du religieux.

137 culture. En même temps, cette culture souhaite englober la réalité et devient dominante. Ainsi, elle engendre chez ses contestataires, le désir de lutter contre elle et de montrer sa fausseté aux niveaux religieux, politique et philosophique.