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L’influence des changements des notions de base sur la compréhension de la culture et de la religion

2.2.1.2. La religion en tant que réponse de l’homme

Il y a deux façons de comprendre le propos de cette partie. On peut soit considérer l’homme comme le créateur de la religion, soit dissocier la genèse de la religion de l’homme tout en lui reconnaissant la capacité d’entrer en relation avec la transcendance qui l’initie. Pour la sociologie, la psychologie et la sociobiologie,

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145 l’origine de la religion est liée exclusivement à l’homme. C’est ce point de vue qui nous occupera à présent.

La conception sociologique de la genèse de la religion212 s’appuie sur la théorie du totem d’Emil Durkheim (1858 – 1917). Durkheim, comme d’autres chercheurs de cette époque (particulièrement les missionnaires chrétiens) étudie, sous sa forme primitive, la religion de petits groupes ethniques, en l’occurrence de certaines tribus africaines. Au cœur de son système, Durkheim place la notion du totem. Ce totem signifie une plante, un animal, ou n’importe quelle image d’un dieu qui caractérise ces formes primitives. En analysant cette notion, il arrive à la conclusion que la société et le dieu s’identifient. Le totem est une force qui constitue un lien conscient ou inconscient entre le dieu et les membres d’un groupe en ce qu’il réunit en un tout, les membres d’une société. Par conséquent, ce phénomène de religion qui, du point de vue des croyants, doit conduire l’individu d’une communauté religieuse vers le dieu, devient pour Durkheim, la preuve de l’existence du totem et non de celle du dieu. Dieu n’existe pas, il n’est qu’illusion, une projection de la force commune qui dépasse la dimension individuelle. A la lumière de ce principe, Durkheim définit toutes les autres notions religieuses : l’âme signifie donc le totem présent à l’individu ; l’immortalité se réfère à la permanence, non pas de chaque membre, mais celle de la société.

Freud (1856 – 1939), quant à lui, élabore la théorie psychologique de la genèse de la religion. Le créateur de la psychanalyse note l’analogie entre ceux qui développent la névrose et ceux qui croient. En comparant ces attitudes, il en vient à conclure que les cérémonies liturgiques accomplies par les croyants sont semblables aux comportements de malades. La religion, fruit de la peur de la conscience de soi, est définie en tant que névrose tolérée par la société. Freud se sert de la division de l’âme en trois parts : id,

ego, et super ego pour expliquer les origines de l’amitié, de la civilisation et de la

religion comme la sublimation des tensions qui se produisent entre id et super ego. Le complexe d’Œdipe, par exemple, agit sur les comportements humains dès le berceau. La projection de ce complexe sur le monde entier demande à ce dernier de se transformer en un être plus personnel, ainsi l’homme crée la figure du père qui s’occupe du monde. Pour montrer la différence entre la religion et la névrose (universalité contre individualité), Freud évoque l’enfance de l’humanité, son commencement : les petits

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Il faut noter que cette théorie a déjà fait l’objet de critique. Peter Berger, le sociologue américain, montre cinq signes échappant à l’observation sociologique qui peuvent argumenter l’existence de la transcendance, notamment : l’espoir, l’amusement, l’humour.

146 groupes qu’il étudie sont totalement subordonnés au complexe d’Œdipe par la domination d’un être fort (puissant) de sexe masculin.213

Il est persuadé que le progrès de la science sonnera le glas de l’illusion religieuse.

L’une des théories les plus connues sur la genèse de la religion est largement tributaire de la pensée de Darwin et des fondements de la génétique de Mendel. Elle apparaît au XIXe siècle et garde tout son attrait durant le XXe siècle, grâce au progrès fulgurant de la génétique. De nos jours, elle est représentée dans les thèses des professeurs Dawkins ou Wilson. Un nouveau domaine, la sociobiologie, naît sur les bases de la théorie de la sélection naturelle de Darwin, la théorie des attributs acquis de Lamarck et la théorie des éléments de Mendel. Elle fonctionne en version faible (selon la proposition de Dawkins, partisan des théories faibles) et en version forte (selon la thèse de Wilson sur l’omniprésence causale des gènes dans la culture, ce que Wilson appelle « le déterminisme génétique »).

Si la religion est une partie de la culture, la sociobiologie la désigne comme un terrain favorable à la multiplication des gènes. A l’instar du gène qui porte un certain nombre de renseignements biologiques, le gène de la culture (chez Wilson) ou « le mème » (chez Dawkins) porte une information culturelle. La sociobiologie faible opère une division entre le système biologique et le système culturel. Cette division fait de la culture un système d’informations agissant sur la vie humaine. La religion, si elle existe, protège les gènes ainsi que toute la culture. En même temps, selon Wilson, elle devient pour la sociobiologie un immense défi en ce qu’elle s’oppose au matérialisme de la science par la supposition de l’existence de la transcendance. Cependant Dawkins croit (et sur ce plan, il est d’accord avec Wilson) que le mème de la religion (qui est dans le fait le mèmeplex, l’ensemble des mèmes des domaines différents) et le mème du dieu214 qui ont permis aux communautés primitives de survivre vont disparaître à cause des mèmes plus forts. La science remplacera ainsi la religion.

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Les fils soumis au complexe d’Œdipe ont tué leur père et cela, selon Freud, aboutit au sentiment de la faute.

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Le mème de la divinité fonctionne seulement grâce à l’ensemble de mèmes (l’art, la musique, l’architecture sacrale etc.) qui agissent comme le virus. Dans ces actions apparaît la puissance de la réplique. A un moment donné, la foi, par sa fonction ordinatrice, a permis à une société de survivre alors que les autres ont péri. Dawkins espère qu’avec le temps apparaîtra un mème ou un ensemble de mèmes plus forts que celui du dieu et de cette manière-là la divinité et la religion vont disparaître.

147 La philosophie classique fondée sur une certaine anthropologie et sur la vision totale de l’homme et du monde a une approche différente du rapport de l’homme à la relation religieuse. Ainsi pose-t-elle au préalable l’invitation de la transcendance à entrer en dialogue avec l’homme. Celui-ci répond à cet appel en y mettant toute sa volonté et toute son intelligence. La genèse de la religion est, d’un côté, indissociable de l’existence de la Transcendance personnelle, à savoir Dieu, et d’un autre côté, de l’homme, conscient de ses limites et de son insuffisance, mais prêt à dépasser toutes les contingences. L’homme n’est pas l’Etre absolu. Il est composé de l’existence et de l’essence. A cause de cette relation l’homme n’existe pas éternellement, l’existence ne lui appartient pas, mais lui est prêtée. Cette fragilité humaine est palpable aux moments de crise : la souffrance, les catastrophes ou les accidents.Malgré tout, l’homme prétend perpétuer le bien, il est multilatéralement ouvert à la transcendance, donc à ce qui est immuable. On peut dire que l’homme est « frontière ». Il vit à la frontière et c’est par lui qu’elle passe. Il est la synthèse de l’âme et du corps. Par les œuvres de la culture, il montre sa capacité à surpasser la nature et la conscience de soi et du monde. Il distingue son propre « moi » des autres « moi », donc il se rend compte de sa séparation des autres ou de la société. Il pose les questions sur la cause du monde et de lui-même (d’où viens-je ?) tout comme il s’interroge sur le but de son existence (où vais-je ?) L’homme reste libre, et sa liberté est orientée vers l’infini.

En résumant, les thomistes affirment que l’homme, à cause de sa nature non-absolue (l’existence n’appartient pas à l’essence) et grâce au caractère personnel de son être (il est capable de penser, de vouloir et enfin d’aimer) est, dans son essence, un être religieux. Selon l’analyse classique, ces prédispositions le rendent apte à entrer dans la relation religieuse avec la transcendance. Il faut donc poser la question : la transcendance existe-t-elle et comment se manifeste-t-elle dans la genèse de la religion ?