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2.4 Trouble des conduits et troubles psychiatriques associés

2.4.3 La maladie affective bipolaire juvénile (MAB-J)

2.4.3.1 Les particularités de la MAB juvénile

Contrairement à la MAB typique, la MAB juvénile se manifeste rarement par des épisodes distincts de manie et de dépression (Carlson, 1998; Faraone et al., 1997b). En fait, elle tend à être mixte14 plutôt que de se manifester par épisodes distincts de manie ou de dépression

(Biederman et al., 2000; Carlson, 1983, 1984; Davis, 1979; Faraone et al., 1997b; Geller et

14 Les symptômes de manie et de dépression majeure se produisent au même moment, ce qui donne lieu à un

al., 1995; Geller et Luby, 1997). Chez les jeunes, la MAB tend à être chronique15 et

continue16 plutôt qu’épisodique et aiguë (Carlson, 1983, 1984; Carlson et al., 2000;

Findling, Gracious, McNamara, Youngstrom, Demeter, Branicky et Calabrese, 2001; Geller et al., 1995; Geller et Luby, 1997; McGlashan, 1988; Wozniak et al., 1995). Certains présenteraient un cycle d’épisodes très rapides, brefs et récurrents pouvant être présents de quelques heures par jour à quelques jours (Geller, Zimerman, Williams, Bolhofner, Craney, Delbello et Soutullo, 2000; Geller, Tillman, Craney et Bolhofner, 2004), alors que d’autres manifesteraient un état maniaque chronique et quotidien (Wozniak et al., 1995). Ainsi, les cycles de la MAB-J peuvent se présenter comme un pattern progressif de crises de colère, d’augmentation de comportements perturbateurs, d’irritabilité, d’hyperactivité, d’impulsivité, de trouble du sommeil et de faible succès académique qui peuvent durer de quelques jours à plusieurs semaines (Weckerly, 2002).

L’identification du début et de la fin d’un épisode serait difficile car la MAB-J présente des changements d’humeur quotidiens fréquents qui se produiraient depuis plusieurs années. Chez certains enfants, il semblerait que l’hyperactivité en ait été la première manifestation. Ce symptôme aurait commencé un peu avant l’entrée à l’école pour être suivi par des symptômes maniaques durant les premières années scolaires (Geller et Luby, 1997).

Tout comme c’est le cas pour les jeunes présentant un TDAH, il est probable que la sévérité des symptômes ait été une des raisons pour laquelle les jeunes souffrant de la MAB-J seraient souvent placés dans des classes spéciales durant leur scolarisation (Biederman et al., 1996; Wozniak et al., 1995).

Kramlinger et Post (1996) ont conduit une étude longitudinale visant à investiguer les cycles affectifs d’un échantillon de bipolaires hospitalisés en psychiatrie. Les auteurs ont noté que tous ne rencontrent pas les critères minimaux en terme durée pour un épisode (24 heures) ou un cycle (48 heures) affectif. Les personnes bipolaires à cycles dits « rapides » comptent quatre cycles ou plus au cours d’une année. Leurs observations ont permis d’identifier qu’un petit nombre de bipolaires à cycles rapides manifestent des changements d’humeur, cliniquement significatifs, se produisant plus d’une fois au cours d’une période

15 Les périodes d’euthymie (humeur normale / adéquate) sont courtes ou peu nombreuses durant l’année. 16 On observe une absence de récupération entre les épisodes.

de 24 heures. Les cycles distincts se produisant au cours d’une période de quelques semaines à plusieurs jours sont appelés cycles ultra-rapides, tandis que ceux se produisant au cours d’une période de moins de 24 heures sont appelés cycles ultradiens. Ces derniers varient énormément pour ce qui est de la durée et du moment d’apparition (début). Les auteurs précisent que ces variations de l’humeur et de l’affect sont observées chez les individus bipolaires ne montrant aucune évidence de troubles de personnalité.

En lien avec les cycles affectifs de Kramlinger et Post (1996), certaines recherches cliniques ont identifié qu’entre 75 et 80% des jeunes ayant une MAB-J présentent des cycles ultradiens (Geller et al., 1995; 2000), ce qui veut dire que la plupart des jeunes présentent plus de 365 cycles par année au cours desquels les symptômes de manie durent plus de quatre heures par jour, ce qui est loin d’être le cas de la symptomatologie MAB typique, à cycles rapides, qui avoisine les quatre cycles par année. En regardant cette présentation des cycles de la MAB-J, il paraît peu probable pour les jeunes qui en souffrent de rencontrer la durée minimale de quatre jours requis par le DSM pour recevoir un diagnostic d’hypomanie. Ceci pourrait expliquer pourquoi la MAB type I, la forme la plus prévalente chez les adultes, ne serait pas la plus rencontrée chez les jeunes (Lewinsohn, Klein et Seely, 1995). Quoi qu’il en soit, la MAB-non spécifiée17 paraît être le type le plus

fréquent chez cette population (Lewinsohn, Klein et Seely, 2000), car généralement les jeunes ne rencontrent pas les critères diagnostics minimaux pour conclure à la présence d’une MAB.

Le DSM-IV (APA, 1994) souligne que la MAB affecte également les hommes et les femmes. Toutefois, de nombreuses recherches soutiennent que la MAB-J est principalement rencontrée chez les garçons (Geller, Williams, Zimerman, Frazier, Beringer et Warner, 1998; Hendrick, Altshuler, Gitlin, Delrahim & Hammen, 2000; Kessler, McGonagle, Zhao, Nelson, Hugues, Eshleman, Wittchen et Kendler, 1994; Wozniak et al., 1995), et encore plus spécialement celle qui se manifeste avant l’âge de 13 ans (AACAP, 2007a). Le nombre significativement plus élevé de garçons qui souffrent de la MAB-J constituerait donc une distinction de plus entre la MAB typique (adulte) et la MAB atypique (juvénile).

17 La MAB non-spécifié, ou le trouble bipolaire non-spécifié, est diagnostiquée chez les personnes qui ne

De plus, de nombreuses recherches attestent que l’épisode initial de la MAB-J serait un épisode de dépression majeure, plutôt qu’un épisode maniaque (ex. Lewinsohn, Klein et Seely, 1995; Judd, Akistal, Schettler, Endicott, Maser, Solomon, Leon, Rice et Keller, 2002). En effet, Lewinsohn et coll. (1995) rapportent qu’un peu plus de 60% des adolescents présentant une MAB ont eu une dépression majeure comme premier épisode dysthymique, alors qu’environ 5% ont eu un épisode maniaque ou hypomaniaque. Findling et coll. (2001) rapportent aussi un taux élevé de jeunes présentant une MAB-J qui ont souffert d’épisodes dépressifs au cours de leur vie, celui-ci avoisinant cinquante pourcent (46,7%). Quelques recherches attestent pour leur part que la dépression majeure chez les jeunes serait fréquemment de nature bipolaire. En fait, ces études rapportent que 32% des enfants (Geller, Fox et Clark, 1994) et 20% des adolescents (Strober et Carlson, 1982) ayant souffert d’un épisode dépressif ont développé une MAB-J, ce qui n’est pas banal. À la lumière de ces recherches, il semblerait que la dépression soit souvent la première manifestation de la MAB-J (Judd et al., 2002). Donc, simplement en tenant compte des caractéristiques relatives à la présentation des épisodes, la MAB-J ne paraît pas comparable à la MAB typique, tel qu’illustré dans le tableau 2.

Tableau 2. Hypothèse de la présentation clinique de la MAB selon l’âge d’apparition d’après Geller et Luby (1997 : 1171, traduction libre).

MAB juvénile (atypique) MAB adulte (typique)

Épisode initial Dépression majeure Manie

Type d’épisode Mixte, cycles rapides Début aigu et fin identifiable

Durée Chronique, cycle continu Semaines

Fonctionnement

inter-épisode Aucun épisode Amélioré

La MAB typique (adulte) et la MAB atypique (juvénile) se distinguent aussi par l’humeur prédominante lors des différents épisodes qui en marquent le développement. De nombreuses recherches attestent en effet que la MAB-J se manifeste surtout par une sévère irritabilité plutôt que l’humeur euphorique de la MAB typique (Biederman et al., 2000; Carlson, 1983, 1984; Carlson et al., 2000; Findling et al., 2001; Geller et al., 1995; Geller et Luby, 1997; Geller et al., 1998; Geller et al., 2000; McGlashan, 1988; Wozniak et al., 1995). Cette irritabilité se manifeste par des crises de rage18 ou de colère prolongées et

agressives19 (Davis, 1979; Carlson, 1983, 1984). Elles sont souvent accompagnées

d’agressivité physique (ex. coup de pied, morsure, coup de poing) et verbale (ex. menaces, langage vulgaire, provocation) (Wozniak et al., 1995). Au cours de ces crises, qui peuvent durer jusqu’à des heures, les membres de la famille ou les enseignants peuvent être menacés ou attaqués. Souvent, des objets sont détruits les colères pouvant amener un jeune à faire des trous dans les murs ou les portes, briser des fenêtres ou mettre le feu. Ces crises sont identifiées comme des réponses à de simples stimuli et/ou stresseurs ou bien peuvent être reliées à une limite imposée par les parents. L’irritabilité peut ainsi amener les jeunes à proférer des menaces et adopter des comportements agressifs envers les autres : les membres de la famille, les adultes, les pairs et les enseignants (Carlson, 1983, 1984; Davis, 1979). McGlashan (1988) soulignait que les jeunes qui développent une MAB peuvent être particulièrement explosifs, désorganisés et avoir plus de problèmes légaux que les adultes qui sont dans le même épisode de la MAB.

Entre les crises spectaculaires, ces jeunes sont décrits comme étant constamment irritables ou colériques (Carlson, 1983, 1984; Geller et Luby, 1997). Les comportements agressifs qu’ils manifestent seraient en fait les principales raisons pour lesquelles ils sont hospitalisés en psychiatrie (Wozniak et al., 1995). Kovacs et Pollock (1995) ont noté que les jeunes qui présentent une MAB manifestent généralement des comportements antisociaux sérieux et écopent de nombreuses suspensions scolaires. Ainsi, plusieurs comportements peuvent être considérés comme des manifestations du TDC, mais ils pourraient aussi être reliés à la désinhibition comportementale, l’irritabilité et/ou la faible tolérance à la frustration qui caractérisent la MAB-J (Biederman, Mick, Wozniak, Monuteaux, Galdo et Faraone, 2003). Il n’est donc pas surprenant que le TDC soit le diagnostic le plus fréquemment retenu pour ces jeunes.

La présentation clinique particulière de la MAB-J montre qu’il est possible que l’irritabilité et les comportements agressifs des jeunes qui présentent une MAB ne touchent pas exclusivement les gens de leur entourage et qu’ils soient aussi dirigés envers eux-mêmes (Kowatch et al., 2005a) et manifestés par des propos et des gestes suicidaires. Baldessarini et Jamison (1999) notent que les comportements suicidaires sont plus fréquents chez les

personnes souffrant d’une MAB que dans les autres troubles psychiatriques. Brent et coll. (1988; 1993) ont identifié que la MAB chez les adolescents est associée à un haut taux de suicide, touchant entre 15 et 20% d’entre eux, ce qui est loin d’être négligeable.

Puisque la distinction entre la MAB-J et le TDAH est un défi clinique en raison de leurs symptomatologies similaires, Kowatch et coll. (2005b) ont réalisé une méta-analyse (N = 362) explorant la présentation de la MAB-J chez les jeunes. Ces auteurs notent que certains symptômes sont présents dans d’autres troubles psychiatriques, soit l’augmentation du niveau d’énergie (hyperactivité), la distractibilité et la pression du discours dans le TDAH; l’irritabilité dans les troubles de l’humeur, le trouble oppositionnel avec provocation et le TDC. Néanmoins, cette méta-analyse permet d’identifier les symptômes les plus fréquemment rencontrés dans la MAB juvénile soit l’hyperactivité (89%), la distractibilité (84%), la pression du discours (82%) et la grandiosité (78%). Pour ce qui est de l’irritabilité (81%) et de l’humeur joyeuse/ euphorique (70%), leur présence varie énormément d’une recherche à l’autre, soit entre 55% et 95% pour le premier symptôme et entre 45% et 87% pour le second.