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De la particularité à la spécificité: l’ Esthétique et l’Ontologie

Si, par la tonalité de son propos La Destruction de la raison est tenue comme une marque d’allégeance à l’orthodoxie que, par pure commodité, nous qualifierons de « stalinienne » 1, et donc comme une preuve supplémentaire de soumission apparente

de Lukács – dont la sincérité de l’autocritique à l’issue du « débat Lukács/Rudás » a été mise en cause par cette même orthodoxie –, cet ouvrage n’est cependant pas une simple formalité bureaucratique, avec toute la charge de faux-semblant qu’elle peut receler. Ce que nous voulons dire, c’est que dans ce texte, Lukács est fermement convaincu de ce qu’il y écrit sans que cela constitue pour autant, une concession à l’orthodoxie, comme le lui reproche assez vertement son vieil ami E. Bloch.

Sans doute, la tonalité générale de l’ouvrage a-t-elle été teintée par sa situation personnelle ainsi que par l’environnement politique et théorique à l’époque de son achèvement, entre 1950 et 1953. Puisque son autocritique a été jugée déceptive, Lukács est maintenu sous le subtil boisseau d’une auto-surveillance, ce qui l’a certainement conduit à forcer le trait et à céder à l’emportement envers Simmel et Weber par exemple, qui furent ses maîtres en sociologie (et dont il n’a jamais récusé la valeur des leçons 2), pour satisfaire les caciques du pouvoir. Que Lukács ait du composer avec

1. C’est le sens des remarques que E. Bloch adresse à Lukács dans sa lettre du 25 juin 1954 où, le remerciant de l’envoi de l’ouvrage, il ajoute : « ce qui m’a frappé, c’est encore une fois un certain sociologisme, ou qu’on appelle ça comme on voudra. […] Que pouvait bien faire l’impuissance de classe de la bourgeoisie au patricien d’esprit aristocratique et réactionnaire qu’était Schopenhauer ? Et surtout : est-ce que ce genre de choses épuise les problèmes

philosophiques du pessimisme, même considérés comme pseudo-problèmes ? Ce qui est également frappant, c’est ta

volonté de rattraper post numerando et avec force exagération des invectives de Hegel contre Schelling qui n’ont pas été prononcées. Un chemin va tout droit de l’“intuition intellectuelle” à Hitler ? Three cheers for the little

difference. Et cela ne donne-t-il pas un éclat tout à fait inopportun au drapeau, mieux aux [latrines] de Hitler ? »

(Lukács et Bloch, 1986, p. 125, soul. par B.) Dans le même ordre d’idées, à l’occasion d’un entretien où E. Bloch commente les Gelebtes Denken de Lukács, trois mois après la disparition de ce dernier, il souligne à nouveau ce qui lui semble être son allégeance aux autorités « théologico-politiques ». Évoquant l’Ontologie de l’être social et la sollicitation de l’élaboration théorique de N. Hartmann par Lukács, E. Bloch dit : « L’ordre. Idolâtrie de l’ordre […] une attitude réactionnaire qui faisait des concessions à quelques-uns dans le marxisme » (apud Mesterházi et Mezei, 1984, p. 314-315).

2. Voir par exemple ce que dit Lukács à propos de M. Weber dans son entretien avec la rédaction de la New Left

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l’orthodoxie afin de préserver son intégrité physique ne signifie aucunement une abolition de son discernement ni de ses capacités critiques, comme Adorno a pu le lui reprocher durement, en écrivant par exemple, que « c’est sans doute la destruction de la raison de Lukács lui-même qui se manifeste le plus nettement dans La Destruction

de la raison. » (Adorno, 1984, p. 172)

En réalité, et contrairement aux apparences, qui sont tenaces – mais c’est leur raison d’être –, cet ouvrage est un jalon important pour Lukács. Il marque en effet à la fois la fin d’une période et lui permet de passer à autre chose, en l’occurrence, de revenir à un champ d’analyse et de réflexion qu’il n’a jamais abandonné au fond, celui de l’esthétique. Le détour accompli, aux deux sens d’un écart par rapport au chemin initial et d’une manière d’en fixer les contours par la question de l’irrationalisme, a selon nous été une manière d’enrichir sa réflexion esthétique, en l’élargissant à des théorèmes philosophiques plus généraux. Il est très remarquable à cet égard que, immédiatement après avoir achevé La Destruction de la raison, Lukács s’investit complètement dans cette réflexion, avec ce qui sera son magnum opus en point de mire, et qu’il appelle encore de manière générique son Esthétique.

Sur le plan politique, la période qui s’ouvre avec la mort de Staline, quelques semaines après que Lukács eut achevé la rédaction de La Destruction de la raison – sa postface, « Sur l’irrationalisme de l’après-guerre », est daté de janvier 1953 et Staline meurt début mars – ouvre une « période de conséquences » selon une expression de Churchill que Lukács cite dans l’Ontologie, dont la première manifestation, un peu oubliée, a été l’insurrection ouvrière de juin 1953 en RDA. La seconde manifestation de

cette « période de conséquences », a été l’année 1956 elle-même, année charnière s’il en est, avec le XXe congrès du PCUS (14-25 février), le « Soulèvement de Poznan » en

juin et l’« Insurrection de Budapest » à l’automne (23 octobre-10 novembre), à laquelle Lukács va être associée en tant que membre du gouvernement Nagy.

Budapest, octobre 1956-avril 1957

L’année 1956 est donc une année charnière, avec deux faits marquants pour ce qui concerne notre propos : tout d’abord le XXe congrès du PCUS qui, un peu moins de trois ans après la disparition de Staline, lançait « officiellement » le processus de déstalinisation avec le fameux « Rapport » de Khrouchtchev dénonçant le « Culte de la personnalité » et les crimes de Staline. Dans l’onde portée de ce « Rapport », s’inscrivent d’abord le « Soulèvement des ouvriers de Poznan » (Pologne) en juin et un peu plus tôt dans l’année, en mars, à l’initiative de l’Union de la jeunesse en Hongrie, la création du « Cercle Petöfi » ainsi nommé en hommage au poète hongrois Sandór

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Petöfi, héros de la Révolution hongroise de 1848, auquel Lukács participera en y prononçant un discours le 15 juin 1956 sur des débats philosophiques 3. L’Union des

écrivains et sa publication Irodalmi Ujság [Journal littéraire] vont s’y associer et vont contribuer à l’agitation sociale et politique dans le pays.

Ces protestations finissent par se transformer en une insurrection populaire à partir de la fin mois d’octobre, et conduisent le pouvoir en place à quelques concessions, mais aussi à demander le soutien des forces armées soviétiques. Pendant ce temps, I. Nagy est devenu chef du gouvernement et Lukács a été sollicité pour y participer comme ministre de la Culture 4. Sans doute, la décision du gouvernement Nagy de quitter le

Pacte de Varsovie, qui a surtout été comprise comme le choix du camp des « Non- alignés », dont la Yougoslavie de Tito est alors une figure importante, fournit le prétexte pour écraser l’insurrection avec les forces armées russes. Réfugié à l’ambassade de Yougoslavie – tout un symbole – avec d’autres membres du gouvernement Nagy, dont ce dernier, Lukács et ses compagnons sont arrêtés et pour la plupart exilés en Roumanie où ils sont placés en résidence surveillée.

En raison de sa stature intellectuelle en Hongrie comme à l’étranger, et peut-être aussi de son âge, Lukács est septuagénaire, il a la « chance » de ne pas subir le sort infligé à I. Nagy 5 et d’être assez rapidement autorisé à rentrer à Budapest en avril 1957, où il

demeure plus que jamais sous surveillance. Évidemment exclu du Parti 6, ainsi que de

la vie politique et culturelle de son pays, il est par ailleurs interdit d’enseignement à l’université de Budapest et privé de contact avec les étudiants 7. Les attaques à son

encontre, qui s’étaient atténuées après son autocritique de 1950, reprennent de plus belle, en Hongrie et dans les pays socialistes, comme en témoigne la parution, en 1960 chez Aufbau Verlag, de cet ouvrage collectif édité par H. Koch, intitulé Georg Lukács

und der Revisionismus (1960). Dans cette compilation d’essais, parfois anciens, comme

celui de J. Revai (1950), il s’agit de démontrer le caractère intrinsèquement révisionniste de la pensée de Lukács et cela depuis Histoire et conscience de classe au

3. Des extraits ont été traduits du hongrois en allemand apud Lukács, 1967b, p. 593-602.

4. Sur ces événements du point de vue de Lukács, voir ses entretiens avec I. Eörsi et E. Vezér (apud Lukács, 1986b, p. 180 sqq.).

5. Accusé d’« activité contre-révolutionnaire », il sera condamné à mort et pendu à la suite d’un procès secret au printemps 1958. Voir l’article de Pannonicus (1958c). Sur l’insurrection hongroise, et outre les articles déjà mentionnés la revue Les Temps modernes a consacré un vaste numéro triple (nov.-déc 1956-janv. 1957, nos 129-130-

131) ainsi que plusieurs articles durant les années 1957 et 1958, en particulier les nos 135, 136, 141 et 143-144.

6. Lukács (1986b, p. 189) explique qu’il avait adressé une demande d’adhésion au nouveau parti constitué après 1956, c’est-à-dire expurgé, mais qu’on ne lui a pas répondu, avant que la demande ne soit acceptée dix ans plus tard. Sur ce point, voir les remarques de I. Eörsi (1986, p. 9 sqq.).

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moins. Il est par conséquent également interdit de publication dans le bloc soviétique et ne publiera désormais plus jamais rien de son vivant en Allemagne de l’Est, ni dans la Deutsche Zeitschrift für Philosophie ni chez Aufbau-Verlag 8.

Nonobstant ces vicissitudes et les contraintes qui y sont attachées – comme il le dit une fois de manière plaisante lors de ses entretiens avec E. Vezér et I. Eörsi en 1971, parlant des officiels hongrois, « je suis en travers de leur gorge : ils ne peuvent pas m’avaler ni me recracher non plus » 9 – Lukács poursuit son travail théorique sur

l’esthétique, sur lequel nous allons revenir plus spécifiquement, et il publie un certain nombre de textes sur des questions d’ordre théorique et politique du moment, en particulier le stalinisme. Il rédige ainsi un « post-scriptum » à son texte « Mein Weg zu Marx » qu’il a d’abord publié en 1933, post-scriptum dans lequel Lukács se livre à une critique du stalinisme en justifiant également ses positionnements à son égard, qui ont pu paraître d’une naïveté ou encore d’une cécité jugées coupables 10. Cependant, en

raison de l’interdit de publication qui pèse sur lui, Lukács est contraint de publier à l’étranger, en Italie et en République fédérale d’Allemagne.

C’est le cas de ce « post-scriptum » qui paraît d’abord en italien dans la revue Nuovi

argomenti fondée par A. Moravia et A. Carocci, en 1958 (no 33) et en français, de

manière quasiment intégrale, dans la revue France observateur (Lukács, 1958a). La version allemande ne sera quant à elle publiée dans sa langue originale que dix ans plus tard, dans le second volume de ses œuvres choisies (Lukács, 1967b, p. 646-657).

Quelques années plus tard, et en réponse à une sollicitation d’A. Carocci relativement à la dénonciation désormais publique du stalinisme à la suite du

XXIIe congrès du PCUS en octobre 1961, Lukács lui adresse une longue lettre, datée du 8 février 1962, publiée la même année dans le no 57-58 de la revue Nuovi argomenti

(Lukács, 1968b, p. 115-135). Dans cette « Lettre privée sur le stalinisme », dont seul un court extrait est malheureusement disponible en français (apud Lukács, 1985a, p. 263- 269), Lukács réitère sa critique du stalinisme, qu’il va poursuivre dans son article publié l’année suivante (1963) dans la revue autrichienne Forum, à propos du débat entre la Chine et l’Union soviétique et qui sera un an plus tard traduit en français (Lukács, 1964d).

8. À B. Taft qui l’interroge sur ses relations avec quelques penseurs marxistes contemporains (du bloc soviétique), Lukács répond : « de manière générale, je ne suis pas attaqué mais simplement ignoré. En République démocratique allemande je suis mort depuis 1957. » (Taft, 1971, p. 46)

9. Selon la relation qu’en fait I. Eörsi à plusieurs occasions (1986, p. 11 et 1987, p. 16). 10. Sur ce point nous renvoyons à nouveau à ce que dit C. Preve (2011, p. 25).

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L’élaboration de la « grande » Esthétique (1954-1962)

Nous l’avons dit en commençant, après l’achèvement de La Destruction de la raison au début de l’année 1953, la grande affaire de Lukács est sa réflexion sur l’esthétique. Dans une lettre à E. Bloch, datée du 13 octobre 1952, Lukács écrit en réponse à une sollicitation d’étudiants du premier – qui lui demandaient de rédiger un ouvrage sur l’esthétique –, que s’il n’a pas répondu [plus tôt], « c’est par pudeur » car depuis des années, poursuit-il, « je veux me concentrer enfin sur l’Esthétique, mais la réalité ne lâche pas prise, telle que je l’ai décrite dans un essai de jeunesse [Métaphysique de la

tragédie] : “il y a toujours quelque chose qui vient vous déranger”. J’espère en avoir

enfin terminé à brève échéance avec La Destruction de la raison. Ensuite, ce sera enfin, je l’espère, le tour de l’Esthétique. » (Lukács et Bloch, 1986, p. 122)

Ce propos est intéressant parce que l’on voit combien Lukács est désireux de se mettre sans tarder à l’esthétique et combien il anticipe aussi de possibles interférences. De fait, il va reprendre son travail en assurant d’abord la publication de nombreux textes rédigés dans les années 1930 dont certains n’ont été publiés qu’en russe. C’est par exemple le cas de sa monographie Le Roman historique, initialement publiée en 1937 et qui paraît en allemand dix-huit ans plus tard, en 1955, et qui sera traduite en français en 1965. C’est ensuite le cas d’une étude parue en 1934 dans la revue

Literatourny Kritik et que Lukács publie en allemand dans la Deutsche Zeitschrift für Philosophie en 1954, sous l’intitulé de « Kunst und Objektive Wahrheit » [Art et vérité

objective].

Outre son contenu théorique sur lequel nous reviendrons dans la seconde partie de notre travail, cette étude est aussi importante par le fait qu’elle constitue le point de départ d’une série de publications dans la Deutsche Zeitschrift für Philosophie entre 1954 et 1956, toutes consacrées à l’esthétique, et plus précisément encore à la question de la particularité en esthétique. À la fin de la dernière étude publiée en 1956, « Zur Konkretisierung der Besonderheit als Kategorie der Ästhetik » [Pour la concrétisation de la particularité comme catégorie de l’esthétique], il est d’ailleurs laconiquement indiqué entre parenthèses que « cela sera poursuivi ».

La poursuite de ce travail sera, non pas la publication d’une autre étude dans la

Deutsche Zeitschrift für Philosophie mais la reprise de l’ensemble de ces textes, pour

certains légèrement remaniés, ainsi que d’autres dans une monographie dont il était prévu qu’elle paraisse en allemand chez Aufbau-Verlag en 1957, mais qu’il ne l’a finalement pas été pour les raisons que nous avons dites. Ce recueil ne paraîtra donc d’abord qu’en traduction italienne sous le titre de Prolegomeni a un’estetica marxista :

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tard par les éditions Luchterhand, de manière séparée avant d’être repris dans le volume 10 de la série des Georg Lukács Werke.

Dans la préface à cet ouvrage qui est datée de décembre 1956 à Bucarest, Lukács ne fait aucune allusion à la conjoncture ni même à la situation personnelle dans laquelle il se trouve alors. Il se contente de dire que cette préface « a été esquissée et rédigée comme un chapitre de la partie dialectico-matérialiste de [s]on esthétique intitulée

Problèmes du reflètement esthétique » dont « la partie historico-matérialiste ne pourra

venir que plus tard » lorsque, précisément, « les problèmes dialectico-matérialistes du reflètement esthétique auront été résolus. 11 »

Décrivant ensuite brièvement la structure de son projet d’esthétique systématique et la place qu’y occupe la catégorie de « particularité », il précise qu’il l’a toujours considérée « comme une catégorie centrale de l’esthétique (sinon comme la catégorie centrale) » et que, à la base de son travail, se trouve l’idée générale que la science et l’art « reflètent la même réalité objective. Cela implique nécessairement que les mêmes choses doivent être reflétées, non seulement le contenu, mais aussi les catégories qui les composent. La spécificité des différentes modes de reflètement ne peut donc se manifester qu’à l’intérieur de cette identité générale : dans un choix spécifique parmi l’infinité de contenus possibles dans une accentuation et un regroupement spécifiques des catégories décisives. » (Ibid., p. 9-10 ; souligné par L.)

Au-delà de la sphère esthétique, qui est en effet le premier champ d’exercice de cette catégorie, il ne nous semble pas illicite de l’entendre aussi en creux et plus largement de manière chiffrée, comme une forme de protestation à l’encontre des interprétations du marxisme comme étant un système de pensée et d’action portant par principe la négation de l’individualité et de la particularité.

Outre cette étude sur la question de la particularité, Lukács fait également paraître, la même année, la traduction italienne d’une autre monographie rassemblant plusieurs études antérieures, sous le titre Il significato attuale del realismo critico, titre qui sera celui retenu pour la traduction française du même ouvrage en 1960 et cela bien que Lukács l’eut entre-temps modifié à l’occasion de la publication du texte dans sa langue originale de rédaction en 1958 aux éditions Claassen de Habourg, pour celui de Wider

den mißverstandenen Realismus [Contre le réalisme mécompris], qu’il abandonnera

finalement au profit du premier lors de sa reprise dans le volume 4 des Georg Lukács

Werke en 1971.

11. Lukács, 1957a, p. 9. Pour ce qui concerne notre choix de traduire l’italien rispecchiamento par reflètement, lequel traduit également l’allemand Widerspiegelung, nous renvoyons à notre note « Sur la notion de reflet », infra Annexe 6.

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Cet ouvrage est donc consacré à « la situation du réalisme bourgeois dans la société capitaliste » (Lukács, 1960b, p. 9) avec également un aperçu de la question du « réalisme critique dans la société socialiste » (ch. 3). Il a été élaboré durant l’automne 1955 comme base pour une conférence à l’Académie allemande des arts prononcée en janvier 1956, laquelle sera plusieurs fois répétée la même année à Varsovie et dans plusieurs universités, en Italie et à Vienne (Autriche). Développée pour lui donner la forme d’un essai, celui-ci devait être quasiment achevé lorsque survinrent les événements de l’automne 1956 en Hongrie (Ibid., p. 11).

Ceux-ci ont sans doute retardé la publication, mais sans que nous puissions établir précisément si Lukács a revu son propos et dans quelles proportions entre septembre 1956 et avril 1957, date à laquelle cet avant-propos est signé. Indiquons seulement qu’Adorno s’est saisi de la publication de cet essai en Allemagne pour âprement vitupérer Lukács 12 de n’avoir eu de cesse de renier ses « géniales intuitions »

de jeunesse et de céder, selon une autre de ses expressions, aux « bonzes » 13 du

stalinisme. Pour ce qui concerne l’espace francophone, il s’agit du quatrième ouvrage « contemporain » de Lukács à être traduit en français, qui paraît la même année que la traduction intégrale, réalisée contre sa volonté (voir Lukács, 1957d et 1960b), de son livre Histoire et conscience de classe.

Accaparé par l’achèvement et les finitions du premier volet de son esthétique systématique, Lukács publie très peu de nouveaux travaux originaux avant 1963. À partir de 1961, les éditions Luchterhand sises en République fédérale d’Allemagne commencent à publier la série de ses « œuvres » que, pour des raisons que nous

12. Dans « Une réconciliation extorquée » dont nous avons déjà eu l’occasion de citer des extraits et qui figure dans la traduction française partielle de ses Notes sur la littérature (Adorno, 1984, p. 171-199).

13. Nous faisons ici allusion à un propos d’Adorno rapporté par N. Tertulian, en appendice de son article sur