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La constitution historique de la problématique ontologique

L’une des conséquences de la réception parcellaire de la pensée de Lukács a été le renforcement du « mythe du jeune Lukács » selon l’expression de G. Oldrini (1986), particulièrement vivace en France, et le subséquent « rejet » d’une grande partie de son œuvre dans la grande (et commode) pénombre stalinienne. Cette parcellisation s’est opérée selon deux mouvement symétriques et complémentaires, de mise en exergue, elle-même partielle, d’une partie de son œuvre dite « de jeunesse », et de mise sous le boisseau du « reste » de son œuvre.

Chacun de ses deux mouvements, et telle est leur complémentarité, a contribué à obscurcir la conception, c’est-à-dire la compréhension autant que la restitution du tour « ontologique » de la pensée de Lukács à partir de 1930, sans doute moins spectaculaire, ou moins mis en spectacle, que son engagement dans le mouvement communiste en 1918, encore que celui-ci, bien que soudain, a été longtemps mûri et réfléchi.

La difficulté principale posée par cette parcellisation de la réception de son œuvre est qu’elle n’a pas permis d’appréhender la pensée de Lukács en sa totalité, ni d’appréhender l’émergence historique de la problématique ontologique, dont la réflexion d’une ontologie de l’être social est l’expression la plus emblématique, autrement que comme un retour à un passé dorénavant inacceptable 1 ou bien à un

« grumeau » dans l’œuvre du philosophe magyar.

Pour le dire autrement, la problématique ontologique de Lukács ne peut pas être limitée à ses objectivations textuelles tardives que sont les manuscrits de l’Ontologie de

l’être social (1964-1968) et des Prolegomena (1969-1970) Si, conçue dans la généralité

de son mouvement d’écriture l’Ontologie est envisagée comme un « grumeau » de ou

1. C’est par exemple le cas de J. Habermas auquel A. Heller avait présenté un résumé du contenu des chapitres déjà rédigés et le plan prévu par Lukács, à l’occasion d’une conférence à Francfort-sur-le-Main en 1966. Habermas a d’emblée rejeté le plan en tant que tel, en arguant qu’un effort de ce type semble par principe contradictoire avec la vision marxiste de l’histoire en cherchant à réintroduire les grands systèmes du rationalisme qui appartiennent au passé philosophique (Fehér et al., 1986b, p. 222-223). Cela dit, les auteurs de cette relation ne précisent pas le détail de ce qui a été présenté du travail effectif de Lukács, de ses chapitres et de l’état du plan du travail. Voir aussi la « Digression sur le caractère désormais obsolète du paradigme de la production » à la fin du chapitre III du

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dans sa pensée, c’est-à-dire une masse relativement compacte qui semble apparemment trancher, par sa texture et/ou sa consistance avec celles, « habituelles », de sa pensée, c’est peut-être aussi que cette problématique lui appartient, qu’elle en fait intrinsèquement partie, par son essence même, et qu’elle n’en est qu’une expression, certes particulière mais essentielle 2. Cela implique, en toute nécessité, que celle-ci est

plus ancienne et plus profonde dans la texture de sa pensée, qu’il faut donc en rechercher des traces auparavant.

Dans sa communication au colloque célébrant le centenaire de la naissance de G. Lukács et de E. Bloch 3, la philosophe italienne Vittoria Franco affirme que le thème

de l’éthique a constitué « la préoccupation centrale du Lukács prémarxiste et fait partie intégrante de son dernier projet », c’est-à-dire l’Ontologie. Évoquant le caractère divers et parfois antagonique des différentes solutions apportées, elle souligne que « la dernière Éthique », dont nous savons que Lukács n’a pas eu le temps de l’écrire, « devait être non pas le couronnement des réflexions de jeunesse, mais plutôt la solution, à un niveau différent, des problèmes considérés sous un point de vue radicalement rénové. » Et elle ajoute : « Même si on peut y découvrir des relations avec les solutions de jeunesse, la dernière éthique peut toutefois être considérée comme une partie intégrante de l’activité spéculative qui débute avec le “tournant ontologique” de 1930 et repose sur des bases complètement différentes. » (Franco, 1986, p. 131)

Ce lien noué par V. Franco entre la problématique ontologique et la question de l’éthique chez Lukács ne ressortit pas uniquement à l’histoire interne de sa pensée, d’un point de vue strictement archéologique, mais rencontre également des considérations plus contemporaines, sur lesquelles nous reviendrons ultérieurement. Sans trop anticiper sur notre propos, observons simplement que le fait de vouloir écrire une « Éthique » était aussi une « contribution au renouveau du marxisme », puisque Lukács « était convaincu que la théorie marxiste ne supprime absolument pas le domaine de l’éthique, à la condition cependant d’en transformer les bases. » Cela implique aussitôt que, toujours selon V. Franco, « aussi bien l’ontologie que l’éthique ont un double fondement : d’un côté la rupture avec les interprétations téléologiques, déterministes et

2. Nous songeons ici au commentaire de Lénine dans ses Cahiers philosophiques à propos de la Science de la

logique de Hegel : « le mouvement d’un fleuve, l’écume au-dessus et les courants profonds en bas. Mais l’écume aussi

est l’expression de l’essence ! » (Lénine, 1971, p. 124 ; soul. par L.)

3. Réification et utopie : Ernst Bloch et György Lukács un siècle après, Paris, Goethe-Institut, 26-29 mars 1985. Les actes de ce colloque publiés aux éditions Actes Sud en 1986 ne comprennent qu’une partie des communications présentées lors de celui-ci. L’ensemble des communications est disponible à la bibliothèque de la Fondation Maison des sciences de l’homme de Paris.

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mécanistes de Marx, d’un autre côté, un glissement de l’enquête philosophique du plan logico-gnoséologique à un plan historico-logique. » (Ibid., p. 132)

Ce « glissement » est ce qui détermine « la singularité et la modernité de la position de Lukács dans la tradition marxiste ainsi que dans la pensée philosophique contemporaine. “Modernité” signifie pour lui “pensée ontologique” » et, à la différence de M. Weber qui concevait la modernité « comme un désenchantement et une rationalisation », Lukács la concevait au contraire plutôt « comme la libération des visions religieuses et des manipulations du monde, comme l’appropriation du monde par l’être social. » (Ibid.) Cela veut dire, précise V. Franco en note, « que l’on doit considérer la pensée de Lukács à partir des années 1930 non plus comme la réconciliation avec le stalinisme et la réalité donnée, mais plutôt comme la recherche d’une voie alternative, c’est-à-dire comme la constitution progressive d’un projet philosophique qui est original et qui trouve son expression la plus efficace dans l’Ontologie de l’être social. » (Ibid., p. 140-141)

Cette ancienneté et cette profondeur de la problématique ontologique sont du reste bien mises en exergue par Lukács lui-même dans la préface (1969) à l’un de ses recueils de textes philosophiques, en langue hongroise, qu’il fait paraître à la fin de sa vie, Utam

Marxhoz (1971). À la fin de cette préface, il insiste de façon remarquablement explicite

sur le « tour » ontologique pris par sa réflexion, et sur le fait que ce tournant est une mise au jour ou encore le passage « à un plus grand théâtre » (Leibniz).

De son « développement philosophique », Lukács écrit qu’il pourrait « le résumer » de la façon suivante : « l’ambition plutôt inconsciente de donner une solution

ontologique devient de plus en plus consciente lorsqu’on atteint les degrés les plus

élevés du progrès intellectuel, grâce à l’accès au marxisme et à sa compréhension de plus en plus profonde. » (Lukács, 1973b, p. 91 ; n. s.) D’où, précisément, l’idée précédemment affirmée que la problématique de l’être est plus ancienne que sa figuration textuelle (l’Ontologie) et qu’elle est aussi plus profonde et plus enracinée dans sa pensée que l’on n’est a priori disposé à le penser.

Une preuve supplémentaire en ce sens réside dans les conditions d’émergence du texte même de l’Ontologie de l’être social puisque ce dernier devait initialement constituer l’introduction à une « Éthique », qui n’a pas été rédigée. Il a surtout crû jusqu’à devenir un volumineux manuscrit de près de 2 000 pages, en ajoutant que Lukács l’a poursuivi avec la rédaction des Prolegomena, lesquels sont demeurés inachevés. La dynamique de la rédaction de l’Ontologie considérée dans son ensemble, témoigne précisément de ce que nous proposons de caractériser comme une

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« latence » 4 profonde de la pensée de Lukács, celle « de donner une solution

ontologique » aux problèmes philosophiques et par conséquent aux problèmes éthiques et esthétiques.

2.1 | Les prémisses de la problématique ontologique

La question qui se pose alors est de déterminer « l’origine » ou d’assigner le commencement historique de cette « solution » dont Lukács écrit être devenu de plus en plus conscient, « grâce, dit-il, à l’accès au marxisme et à sa compréhension de plus en plus profonde. » (Lukács, 1973b, p. 91) Cet « accès » et cette « compréhension » nous semblent devoir être entendus au sens le plus obvie, comme l’approfondissement de la connaissance des textes, notamment de Marx et Engels, et plus encore des textes initiaux, le genre de ceux qui font césure, comme les manuscrits parisiens de Marx rédigés en 1844 par exemple.

Sur le plan historique et chronologique, V. Franco l’a déjà indiqué, ce tournant peut être daté de 1930, année au début de laquelle Lukács, toujours en exil, vient s’installer à Moscou, après avoir dû quitter Vienne en Autriche. Il y devient collaborateur scientifique à l’Institut Marx-Engels et c’est dans ce cadre institutionnel que Lukács va faire la découverte des manuscrits encore inédits de Marx, dont il dira, à maintes reprises, combien leur lecture fut un choc pour lui 5. De ces manuscrits, au

déchiffrement desquels il a contribué comme il le signale dans son entretien avec la

New Left Review en 1969 (apud Lukács, 1978, p. 170), et qui seront publiés de manière

complète en 1932 sous les auspices de l’Institut Marx-Engels de Moscou, sous le titre

4. Avec ce mot, qui nous est venu « au fil de la plume », c’est à E. Bloch que nous songeons et plus spécialement encore à son Ontologie des Noch-nicht-Seins [Ontologie du non-encore-être] (apud Bloch, 1970, p. 210-376), dont il faudrait explorer les connexions avec l’Ontologie lukácsienne, quelles que soient les préventions ou les marques de désintérêt de Lukács à l’égard des productions théoriques de son vieil ami, comme le Principe Espérance par exemple – voir sa lettre du 13 janvier 1964 au Pr Podach, citée par N. Tertulian (1980, p. 292) ou encore sa lettre à

F. Benseler du 23 janvier 1961 (apud Danneman et Jung, 1995, p. 73) –, et quels que soient également les sarcasmes « amicaux » de Bloch vis-à-vis de Lukács à propos de sa « passion de l’ordre ». Sur ce point, voir les extraits de ses conversations avec F. Jánossy et M. Holló où il commente les Gelebtes Denken de Lukács (apud Mesterházi et Mezei, 1984, p. 314).

5. Lukács n’est pas un maître de précision sur le plan bibliographique et l’imprécision involontaire du souvenir le dispute souvent à l’absence d’intérêt pour cette petite rigueur, qui est pourtant essentielle. Ceci pour dire qu’il ne parle que des Manuscrits économiques et philosophiques de 1844, mais pas de ceux de L’Idéologie allemande par exemple qui seront également publiés en 1932, dont nous présumons qu’il les a également lus et qu’ils ont pareillement exercé une forte influence quant au tour(nant) « ontologique » de sa pensée.

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canonique, qui n’est pas de Marx, de Manuscrits économiques et philosophiques, Lukács en parle vivement mais brièvement lors du même entretien. Leur lecture, déclare-t-il, « changea toute ma relation au marxisme et transforma mon point de vue philosophique. » (Ibid.)

Deux ans auparavant dans sa préface au second tome des Georg Lukács Werke, qui comporte notamment Histoire et conscience de classe (1967), Lukács a été plus disert et surtout plus précis quant à la trajectoire de sa pensée. À la fin de cette préface datée de mars 1967, Lukács revient sur les années entourant la rédaction des Thèses Blum ainsi que sur leur condamnation (1929-1930). Il insiste en particulier sur le fait que son développement théorique ne s’est pas arrêté en 1923 et que parmi tout ce qu’il a pu écrire durant cette période, les recensions consacrées à la nouvelle édition des lettres de F. Lassalle et aux écrits de M. Hess sont de plus grande importance. Domine, dans ces deux recensions, « la tendance à donner une base économique concrète à la critique sociale et au développement social que dans Histoire et conscience de classe et à mettre la critique de l’idéalisme et les développements donnés à la dialectique de Hegel au service de la connaissance des rapports [d’interdépendance] ainsi gagnés. » (Lukács, 1974d, p. 411-412 ; t. m.)

Une fois qu’il eut la révélation de l’échec « décisif et principiel de la construction d’ensemble » de son recueil de 1923, son effort prit la figure « d’un plan visant à élucider les rapports philosophiques entre l’économie et la dialectique ». Un premier essai de réalisation fut « la première rédaction de son ouvrage sur le Jeune Hegel » – achevé en 1938, il ne sera publié que dix ans plus tard – ajoutant qu’il tente « de prendre en compte ce complexe de problèmes dans son Ontologie de l’être social à laquelle [il] travaille maintenant [en 1967]. » (Ibid., p. 414 ; t. m.)

En ce point Lukács évoque ce qu’il nomme deux « coups de chance inattendus » : la rencontre avec M. Lifschitz, auquel Le Jeune Hegel est d’ailleurs dédié, et surtout la lecture des Manuscrits économiques et philosophiques parisiens de Marx qui fit s’effondrer « tous les préjugés idéalistes d’Histoire et conscience de classe », car seul « un texte complètement nouveau » dit-il « pouvait exercer ce choc ». Lukács poursuit : « Je peux encore me souvenir aujourd’hui de l’impression bouleversante [umwälzenden], que me firent les mots de Marx sur l’objectivité [Gegenständlichkeit] comme propriété matérielle primaire de toutes les choses et de toutes les relations » ainsi que la reconnaissance du fait que « l’objectivation [Vergegenständlichung] est un mode [Art] naturel […] de maîtrise humaine du monde tandis que l’aliénation [en] représente une variété spéciale, qui se réalise selon certaines circonstances sociales déterminées. Les fondements théoriques qui faisaient la particularité d’Histoire et conscience de classe s’effondraient définitivement » (Ibid. ; t. m.).

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Ce qui est le plus étonnant, c’est moins la vivacité du souvenir de Lukács, que le caractère tardif du « compte-rendu » de cette découverte, près de quarante ans plus

tard. Car il n’existe pas, à notre connaissance du moins, de texte antérieur à cette

préface de mars 1967 dans lequel Lukács aurait thématisé ce « bouleversement ». Pour être juste, il faut cependant souligner que Lukács dit avoir eu l’intention « de fixer par écrit pour le public [sa] nouvelle prise de position » mais que sa « tentative, dont le manuscrit s’est entre-temps perdu, ne put se réaliser », ce dont il ne se souciait guère à l’époque, « enivré » qu’il était alors « par l’enthousiasme de ce nouveau commencement. » (Ibid., p. 415 ; t. m.)

S’il ne s’en souciait guère, c’est qu’il voyait aussi « que cela ne pouvait avoir de sens que sur la base de nouvelles études très poussées, que beaucoup de détours étaient

nécessaires » et que l’un de ces détours fut celui qui l’a conduit « de l’étude sur Hegel

en passant par le projet d’un ouvrage sur l’économie et la dialectique à [son] essai actuel d’une Ontologie de l’être social. » (Ibid., t. m. ; n. s.) D’une part, Lukács n’a pas rien écrit, mais cela s’est perdu. D’autre part, et c’est probablement le point essentiel, cette découverte ne fut pas un point d’orgue mais un point de départ, au double sens de l’action de partir – de repartir en l’occurrence –, et de mettre à part, c’est-à-dire de se

départir, de re-configurer les éléments fondamentaux de sa pensée et de son action.

De la découverte des Manuscrits économiques et philosophiques de Marx à la rédaction de l’Ontologie de l’être social, Lukács tire clairement un filo conduttore dont il prend soin de préciser que son déroulement n’a pas été rectiligne mais qu’il a dû faire des « détours ». Ce fil dont il trace rétrospectivement le chemin, témoigne de ce qu’il lui a d’abord fallu du temps pour métaboliser le propos des Manuscrits économiques et

philosophiques de Marx et se départir de ses conceptions antérieures. Il le dit clairement

dans sa préface à Utam Marxhoz : « il ne s’agissait pas simplement de corriger certaines fautes, mais bien de renouveler toute ma conception à partir de ses bases [les

Manuscrits économiques et philosophiques de Marx], ce qui me demandait des études

et des expériences vraiment concrètes dans le domaine du social. J’eus alors la certitude, conclut-il qu’il me fallait pratiquement recommencer tout mon travail à zéro, rejeter les erreurs méthodologiques d’Histoire et conscience de classe, et de m’en éloigner définitivement pour rendre à ma pensée sa libre orientation 6 ».

6. Lukács, 1973b, p. 87. Pour l’essentiel, les « fautes » et les « erreurs » sont de n’avoir interprété le marxisme « que comme une conception relative à la société », d’avoir donné une « fausse solution » à la question de la dialectique de la nature en raison d’une analyse par trop superficielle « des contradictions fort évoluées et complexes du système capitaliste en tant que tel », au lieu, poursuit-il, « de faire remonter l’ensemble des problèmes au travail » et « à la question des échanges entre société et nature (Stoffwechsel der Gesellschaft mit der Natur) ». Cette expression fait évidemment référence à Marx ; elle est souvent rendue, de manière plus précise, par « métabolisme entre société

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Il lui a également fallu du temps pour élaborer la « solution ontologique », autrement dit, pour la mûrir et l’articuler. Ce temps nécessaire n’a pas été linéaire mais plus vraisemblablement « heurté », par l’histoire concrète, un temps nécessairement dialectique en somme. Une preuve en est selon nous apportée si l’on se place au terme, alors provisoire, de ce processus, et que l’on envisage le complément au titre des

Prolegomena zur Ontologie des gesellschaftlichen Seins, qui sont effectivement le

véritable dernier texte rédigé par Lukács de 1969 à 1970 : Prinzipienfragen einer heute

möglich gewordenen Ontologie : « Questions de principe pour une ontologie devenue aujourd’hui possible » (c’est nous qui soulignons).

Pour ici user d’une très jolie formule de W. Benjamin 7 : « dans les domaines qui

nous occupent, il n’y a de connaissance que fulgurante. Le texte est le tonnerre qui fait entendre son grondement longtemps après. » (Benjamin, 1989, p. 473) La « connaissance fulgurante » c’est la découverte des « mots de Marx sur l’objectivité comme propriété matérielle primaire de toutes les choses et de toutes les relations » et le texte, c’est-à-dire « le tonnerre qui fait entendre son grondement longtemps après », c’est l’« essai » d’une Ontologie de l’être social.

Cette image de W. Benjamin a ceci de judicieux qu’elle rend extraordinairement sensible l’idée de « latence » de la pensée de Lukács que nous avons évoquée plus tôt. Elle a en outre ceci de pertinent qu’elle permet d’insister à nouveau sur le caractère plus ancien et plus profond de la problématique ontologique chez Lukács. En ce sens, cette problématique doit être bien plutôt envisagée comme une prospettiva ontologica, comme une perspective ou encore mieux, comme une prospective ontologique, ainsi que le propose M. Almási (1983). Une dimension prospective qui est tout à la fois

intellectuelle, en ce qu’il s’agit d’une recherche ouverte dont la visée est clairement

heuristique, et matérielle, puisque le temps n’a pas été donné à Lukács de pouvoir achever son travail et de lui donner son imprimatur définitif.

et nature ». Sur l’aspect théorique de cette question, voir aussi la défense immanente de son texte par Lukács en