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Partage et capitalisation d’information : le poids de la conception numérique 72

2.5 Conclusions

3.1.2 Partage et capitalisation d’information : le poids de la conception numérique 72

Le partage et la capitalisation d’information sont au cœur de cette intégration du point de vue des métiers dans la conception. Dans les projets industriels complexes, s’appuyant de plus en plus sur des outils de conception numérique, le volume des informations utilisées (échangées, stockées, pilotantes

ou pilotées, etc.) est gigantesque. Ces informations sont de plus souvent éparpillées ; elles sont parfois peu accessibles car implicitement contenues dans des modèles dont elles doivent être extraites ; enfin, elles doivent être réactualisées en fonction des avancées des projets.

La conception au numérique possède de nombreux avantages : moindre coût de modification des objets de la conception (éléments du produit comme du processus de fabrication), partage et mise à disposition de ces objets en plusieurs lieux en même temps, pour des usages par différents mé-tiers, historisation et traçabilité des différentes versions, réutilisation d’objets, etc. Cependant, elle crée aussi des difficultés car elle impose un outillage spécifique – CAO, FAO, outils de modélisation, visualisation, simulation au virtuel – et une perspective particulière – la réalité virtuelle – sur la con-ception. Or tous les métiers ne sont pas (encore) rompus à ces outils et à cette perspective particuliers. Cela entraîne des difficultés dans les échanges d’information entre les acteurs de la conception et les métiers. Ces difficultés concernent aussi bien l’extraction des informations par le biais de ces outils particuliers, que l’interprétation des demandes d’extraction ou leurs réponses.

Le cas de l’intégration de la prestation ergonomie dans la conception de nouveaux véhicules Re-nault est représentatif de ces difficultés. Les informations nécessaires pour l’analyse ergonomique du véhicule en projet doivent être extraites de la maquette numérique ou plus généralement de « nums », qui sont des objets centraux de la conception sous la responsabilité des architectes (concepteurs). L’analyse de ces informations extraites et l’évaluation ergonomique du projet sont faites par les Pilotes Prestations Client ergonomie, représentant du métier ergonomie dans les processus de conception. Or il subsiste des problèmes d’ambiguïté dans les échanges d’information entre les Pilotes Prestations Client et les architectes. L’« object world » (au sens de [Bucciarelli, 1984] voir paragraphe 2.2.7, page 60) du Pilote Prestations Client ergonomie se compose notamment d’une expérience et d’une pratique « physique » (par le biais d’essais sur des maquettes physiques par exemple), et sur la transposition de règles d’ergonomie dans des rapports, dans lesquels les représentations sont en deux dimensions. En revanche, les architectes évoluent principalement dans un monde virtuel, souvent en trois dimensions et où maintenant les plans et autres versions en deux dimensions de la conception sont des résultats de constructions faites à partir de numérisations 3D, et non plus l’inverse ! Ces deux acteurs n’utilisent pas les mêmes types d’objets intermédiaires pour appréhender le véhicule en développement, ce qui est emblématique de la différence de leurs points de vue sur le projet. Ces perspectives divergentes entraînent des ambiguïtés dans leurs échanges, et impliquent un effort de traduction, d’interprétation entre ces deux acteurs.

L’analyse de ce problème de partage d’information, présenté dans le chapitre précédent, a fait ressortir la nécessité de construire entre les deux parties prenantes un terrain commun au virtuel, c’est-à-dire autour des numérisations, éléments incontournables de la conception. Les ingrédients de ce terrain commun (ou représentation partagée, ou « référentiel opératif commun ») ont été mis en évidence : une double approche zone d’architecture/prestation et une séparation analyse/évaluation de l’ergonomie en projet. La rationalisation du système d’information informel établi entre les archi-tectes et les Pilotes Prestations Client, ainsi que la standardisation des objets de travail de ces derniers, les demandes adressées aux architectes, ont fait émerger un nouvel outil, le constat ergonomique, sorte de « demande-type » pour l’analyse de la maquette numérique.

3.1.3 Les limites du constat ergonomique

Les constats ergonomiques sont ainsi le résultat d’une standardisation des demandes d’informa-tion adressées par les Pilotes Prestad’informa-tions Client ergonomie aux architectes. Le premier intérêt d’une telle standardisation est de créer un cadre stable d’échange d’information : il pose les limites, les frontières pourrait-on dire, de ce terrain commun nécessaire à une inter-compréhension des deux pro-tagonistes. Un deuxième intérêt est que le travail mené par les Pilotes Prestations Client ergonomie

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a permis, en cherchant à affranchir au maximum les demandes du type de projet (c’est-à-dire du contexte) à analyser, de synthétiser, condenser et préciser celles-ci. Ainsi, chacune de ces demandes forme un corps cohérent indépendant des autres et du contexte, et répond à un besoin d’information ciblé par rapport à une prestation. Le niveau est suffisamment générique pour être répétable dans la plupart des projets.

Mais le principal intérêt de l’outil constat ergonomique est de mettre en place un début de mé-canisme de coordination dynamique, ([Schmidt, 1998], voir paragraphe 2.4.4 page 67) dépassant la seule mise à disposition d’information entre les deux parties. Le constat ergonomique devient en lui-même un artefact générique de la conception, dont l’instanciation (la réalisation) sur un projet en fait un objet intermédiaire de la conception, représentation de celle-ci partagée entre les acteurs.

PP C er go no mi e Ar ch ite cte Sy stè me d’i nfo rm ati on Transmettre une demande-type de la base de « demandes-type » Demander informations pour pronostic ergo Réaliser le pronostic ergo Maquette numérique - PDMMaquette numérique - PDM Base de « demandes-types »Base de « demandes-types » Réaliser la récupération d’information dans la maquette numérique Répertoire personnel Répertoire personnel Archiver les résultats

dans un répertoire projet personnel

Transmettre les résultats de l’instanciation de la demande sur le projet Transmettre les résultats

de l’instanciation de la demande sur le projet

Surcharge de travail

Ressaisies d’informations

FIG. 3.1 – La mise en place du constat ergonomique ne résout pas toutes les difficultés

Cependant comme le présente le schéma de la figure 3.1, la mise en place du constat ergonomique ne résout pas toutes les difficultés du partage d’information. L’extraction des données ergonomiques reste de la responsabilité de l’architecte, ce qui représente une importante charge de travail. Et le pro-blème de la continuité (ressaisies d’informations, liens cassés entre les données et les numérisations – la version du projet – dont elles sont issues, etc.) n’est pas non plus résolu. Enfin, l’ambiguïté des demandes n’est pas complètement levé par la standardisation en constats ergonomique. En effet, le travail de standardisation et de rationalisation des demandes n’a été effectué que par les demandeurs : les Pilotes Prestations Client. Les architectes ne sont pas intervenus dans la conception des constats ergonomiques : les Pilotes Prestations Client ergonomie ont cherché à prendre en compte leur point de vue en fonction de l’expérience qu’ils en ont, mais les architectes n’ont pas directement pris part aux développements.

L’intégration du point de vue du client dans la conception, contexte de cette thèse, a ici connu une mise en abyme inattendue. Le principe d’un « référentiel opératif commun », créé, « matérialisé » par

la mise en place d’un mécanisme de coordination, et le partage d’un artefact générique, semblait être la bonne piste pour cette intégration du point de vue du client (par le biais de l’intégration de points de vue métier, dans le cadre de la conception de produits complexes, ainsi que cela a été présenté ci-dessus). Cependant, la création de ce nouvel outil et du système d’information associé, réclamait, pour répondre plus justement à la fois aux exigences des Pilotes Prestations Client et à celles des architectes, pour cerner au mieux leurs points de vue, de faire participer également ces derniers à la conception. Elle réclamait également, pour améliorer la continuité des analyses, de se rapprocher des outils utilisés par les architectes.

L’ensemble de ces observations, mais surtout la recherche d’une possible automatisation des constats ergonomiques, ont conduit à de nouveaux développements, tirant parti du mouvement de l’entreprise vers un nouveau progiciel de CAO : CATIA V5®. En fait, il est même plus exact de dire que c’est la recherche d’une informatisation des constats (et la possibilité d’une automatisation, véritable gage d’allègement de leur charge de travail) qui a véritablement initié le mouvement d’im-plication des architectes dans la conception de ces constats.