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Conclusions sur l’intégration du point de vue du client dans la conception

1.3 La prise en compte des attentes du client dans la conception industrielle

1.3.7 Conclusions sur l’intégration du point de vue du client dans la conception

Les méthodes et principes exposés dans ce chapitre ne représentent qu’une partie du champ d’in-vestigations particulièrement vaste que constitue l’intégration du point de vue du client dans la

con-ception. Il existe de nombreuses autres méthodes visant à prendre en compte - voire anticiper - le

mieux possible les attentes des acheteurs ou utilisateurs potentiels afin de mieux les proposer dans des produits ou services. Mais cette revue, non exhaustive, de méthodes et concepts est révélatrice des différents courants de pensées du domaine.

L’axe cartésien/systémique. Les méthodes comme l’analyse de la valeur, et surtout le QFD reposent sur un principe de décomposition des problèmes, de façon à ramener la complexité de la con-ception à un niveau que l’humain peut appréhender. Ces méthodes, très systématiques et soute-nues par des outils plus ou moins perfectionnés, constituent des guides précieux pour l’action. Mais ils ne favorisent pas vraiment une vision globale de la conception, et peuvent parfois brouiller plus que démêler la complexité d’un problème de conception, en faisant ressortir trop de caractéristiques. A l’inverse, les principes du User Centered Design et du

Participa-tory Design cherchent toujours à faire prendre aux concepteurs du recul sur leur travail, à leur

permettre de l’envisager depuis la perspective du client. Ces principes mettent en évidence les nombreuses interactions et interdépendances dans la conception. Néanmoins, les méthodes qui en découlent sont moins encadrées et sont sujettes à des dérives (Notamment une trop grande importance accordée à la parole de quelques utilisateurs). Elles réclament de rester dans le cadre d’une conception argumentée.

Le degré d’implication/intervention du client/utilisateur dans la conception. Comme le note M. A. Kaulio (op. cit.), trois degrés d’implication des utilisateurs dans la conception peuvent être considérés : la conception « pour », la conception « avec », la conception « par » l’utilisateur (le client). Par exemple, si le QFD est clairement une conception « pour » et le Consumer idealized

Design une conception « par », les autres méthodes peuvent, suivant les façons dont elles sont

utilisées et suivant les périodes du processus, varier les degrés d’implication des utilisateurs. La couverture des différentes étapes du processus de conception. Les méthodes présentées dans

ce chapitre ne couvrent généralement pas l’ensemble du processus de développement d’un nou-veau produit, exception faite du QFD, qui s’attache à couvrir toutes les phases, de la conception préliminaire à la phase d’industrialisation. Et si la plupart des auteurs s’accordent sur le fait que l’essentiel se joue dans les phases amont de la conception, beaucoup reconnaissent également le rôle important des confrontations itératives de la conception avec les attendus exprimés par les clients.

La prise en compte des trois opérations « capturer, traduire, intégrer ». Certaines méthodes, no-tamment l’analyse fonctionnelle et le Consumer Idealized Design s’attachent particulièrement, voire exclusivement à la détermination des attentes des clients/utilisateurs. Le QFD s’attache à la traduction et l’intégration des spécifications utilisateurs dans la conception et ne se fo-calise pas particulièrement sur leur capture. L’implication des utilisateurs dans la conception, dans les méthodes des User Centered Design et Participatory Design servent souvent à rassem-bler en une opération la capture et la traduction des attentes en spécifications de conception. L’utilisation de scénarios est particulièrement adaptée à l’intégration des attentes client dans la conception, tant elle permet au concepteur de prendre du recul sur les spécifications et de les prendre en compte de façon globale, en gardant à l’esprit les multiples implications de toute décision.

Ce bref tour d’horizon sur l’intégration du point de vue du client dans la conception met également particulièrement en lumière des caractéristiques qui sont plus généralement le fait de toute activité de conception.

Ainsi, la majorité des méthodes insistent sur ce que l’on pourrait appeler la « continuité » dans la conception. Que cette continuité soit assurée par l’imbrication des matrices du QDF, ou par l’accent mis par d’autres méthodes sur l’importance des itérations avec les utilisateurs potentiels, elle apparaît comme un élément essentiel permettant d’assurer que les spécifications client correspondent et per-mettront de répondre aux attentes, c’est-à-dire faire en sorte que le produit fini, réel, les satisfera. La continuité dans la conception est une caractéristique qui permet aux acteurs de suivre et d’anticiper sans erreur de ressaisie, les conséquences de leurs actions, à court terme du moins. Cette continuité

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est un objectif typique dans les activités de conception, et les irrégularités se posent pour tout type de spécifications (spécifications clients, mais également spécifications techniques, de coût, industrielles, réglementaires, etc.). Une vision vraiment globale (de tous les enjeux, de toutes les possibilités, de tous les problèmes, de toutes les conséquences, etc.) sur un projet de grande envergure, nécessaire-ment subdivisé, est impossible. La plupart des méthodes s’attachent ainsi à créer les conditions de la continuité dans la conception, à travers des outils de traçabilité et d’exploration, à différents niveaux de détail, permettant de donner de la cohérence aux actions, décisions et activités qui ont lieu durant le processus de conception.

La continuité de la conception butte généralement sur deux obstacles majeurs : d’une part,

l’ac-tualisation des spécifications, qui doit être faite tout au long du projet auprès de tous les acteurs

concernés, et qui est particulièrement stratégique lorsque le projet est de grande ampleur, subdivisé en de nombreuses sous-parties, faisant intervenir plusieurs équipes de conception et dont la réalisa-tion s’étend sur une longue durée. Cette actualisaréalisa-tion est nécessaire tout au long de la concepréalisa-tion, pour tenir compte de l’ensemble des compromis qui seront aménagés. D’autre part, la gestion des

interfaces, car c’est à cet endroit que les problèmes de continuité de la conception se posent avec le

plus de vivacité. En effet, si au sein d’une même équipe de conception, dont les interactions sont quo-tidiennes, de nombreux problèmes d’intégration et de cohérence se posent, ceux-ci sont encore plus nombreux et plus aigus lorsque deux sous-parties doivent assurer leur inter-cohérence. Aux interfaces ne se posent pas que des problèmes techniques : ce sont surtout des problèmes de points de vue, de perspectives, d’objectifs, etc. C’est aux interfaces que se joue la continuité de la conception, alors que l’ensemble des problèmes, qui se posent à ces endroits, accapare l’attention sur le détail plutôt que sur la vision globale, et détourne du point de vue du client.

Enfin, le caractère coopératif, même s’il est juste évoqué, est un attribut de nombreuses mé-thodes présentées dans ce chapitre. En effet, les mémé-thodes et principes présentés mentionnent régu-lièrement, soit la constitution et la collaboration d’une équipe pluridisciplinaire, soit l’importance de la coopération avec les clients/utilisateurs lorsque ceux-ci sont directement impliqués dans le proces-sus de conception, soit des principes d’itération et de confrontation entre les acteurs de la concep-tion. Combiné à l’utilisation grandissante des nouvelles technologies et l’évolution de l’informatique comme support aux activités de conception, le caractère coopératif de l’intégration du point de vue du client dans la conception rejoint ainsi un autre domaine de recherche particulièrement vaste : le Computer Supported Cooperative Work ou CSCW. Bien que les frontières de ce domaine de re-cherche ne soient pas exactement établies, une définition très descriptive du CSCW est avancée par [Bannon et Schmidt, 1989] : « Le CSCW est un champ qui couvre tout ce qui a trait avec l’informa-tique comme support d’activités impliquant plus d’une personne. (. . .) Le CSCW peut être considéré comme une tentative pour comprendre la nature et les caractéristiques du travail coopératif, dans l’objectif de concevoir des systèmes informatiques adéquats. »

Ce domaine de recherche apporte une approche nouvelle, un autre cadre conceptuel et de nom-breux outils pour aborder la problématique de cette thèse. Par exemple, ainsi que le soulignent Ken-sing et Blomberg (op. cit.), bien que l’accent ne soit pas marquée de la même façon sur la conception de systèmes technologiques, sur l’analyse du travail coopératif ou sur des méthodes ou des techniques, il existe notamment un important recouvrement des problématiques soulevées dans les domaines du CSCW et du PD. Le domaine du CSCW et ses apports seront encore détaillés dans les prochains chapitres.

Pour clore ce tour d’horizon, l’intégration du point de vue du client dans la conception reste un domaine de recherche vaste, dont le caractère éminemment stratégique pour l’industrie doit être sou-ligné. Il fait aujourd’hui l’objet de nombreuses recherches. Mais il n’existe pas de méthode absolue pour assurer cette intégration, car le point de vue du client et le contexte du projet de développement

d’un nouveau produit ou service demeurent particulièrement singuliers et étroitement liés. Il est ce-pendant possible de dégager quelques conseils généraux, comme l’importance de l’engagement des équipes de développement et leur implication pour assurer la continuité dans les activités de concep-tion, ou l’adoption de tactiques permettant à ces équipes de s’imprégner du problème global de sorte à agir au niveau du détail (local) en cohérence avec les objectifs généraux, par le biais de compromis avec l’ensemble des intervenants du projet de conception.