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Quelques attributs du processus de conception des constats génériques

3.3 La conception des constats ergonomiques génériques

3.3.2 Quelques attributs du processus de conception des constats génériques

La conception de ces modèles CAO, les constats ergonomiques génériques a fait intervenir dans le processus les utilisateurs finaux, architectes comme Pilotes Prestations Client. Le chantier de dé-veloppement des modèles génériques reposait quasi entièrement sur cette intervention. Imposé par la direction de l’Ingénierie Véhicule, et piloté par la DTSI, le chantier de développement de modèles gé-nériques reposait sur deux principes : l’implication (libre) des experts de l’Ingénierie Véhicule, mais un planning non négociable une fois le projet validé et donc lancé. Ces experts étaient sollicités pour

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standardiser des éléments de leur métier, en les intégrant dans des modèles génériques. Ils restaient cependant libres de faire développer les modèles qu’ils jugeaient nécessaires et/ou intéressants5. Le planning de développement comportait des délais impératifs, afin de prévenir des dérives dans les développements.

Deux facteurs ont de fait enclenché un cercle vertueux de participation aux développements des constats ergonomiques génériques : la transcription des demandes d’analyse ergonomique dans un outil (et un langage) parlant pour les architectes ; et de là, l’appréhension de l’intérêt qu’ils pourraient retirer de leur implication dans le projet, et leur motivation. Ces caractéristiques sont décrites plus précisément ci-après.

Un processus de conception organisé autour de la participation des utilisateurs

Comme cela a été indiqué précédemment, le processus de conception des constats ergonomiques génériques a été fondamentalement organisé autour de la participation des utilisateurs, et de leurs besoins, origine même des développements. La réussite des conceptions résidait a priori dans l’im-plication forte des clients, étant donné qu’aucune étude préalable ne définissait les attendus et que le principe reposait sur l’enregistrement et la mise en forme de connaissances et savoir-faire d’experts dans des modèles de CAO. Toutes les phases, du recueil du besoin à la livraison du produit, tenaient dans un planning serré de deux à quatre mois. Cette participation était plus aisée à mettre en place que dans un projet de plus grande complexité, car les clients étaient parfaitement définis, et ils étaient beaucoup plus proches – physiquement, mais aussi d’un point de vue relationnel – des concepteurs (les experts de la DTSI) de ce projet informatique, que ne le sont les clients des concepteurs d’un projet automobile. Toutefois, la participation n’a pas été constante, parce que ces développements se superposaient à l’activité normale, et la présence d’un intermédiaire (représentant des clients !) tout au long du processus a influencé négativement le taux de participation aux réunions (autres que la recette). Cela explique les problèmes découverts lors de cette phase de recette, et les nécessaires itérations suivantes pour « mettre au point » l’objet.

Cependant, ce n’est pas ce principe – l’intervention des utilisateurs – qui a été prépondérant dans le succès ou les difficultés du processus dans le cas de la conception des constats ergonomiques gé-nériques. En effet, le contexte était particulier : deux types de clients, aux souhaits et aux « regards professionnels » très différents. De plus, les Pilotes Prestations Client ergonomie ne maîtrisaient pas l’outil CAO, entraînant des demandes parfois infaisables. La conception des modèles génériques repo-sait sur l’enregistrement et l’organisation de connaissances et savoir-faire d’experts dans des modèles de CAO : la répartition de ces connaissances et savoir-faire sur deux types d’acteurs, appartenant à des communautés de pratiques relativement éloignées, ne facilitait pas leur développement.

Ce qui a vraiment été prépondérant dans la réussite du développement d’un modèle, par rapport à un autre, c’est l’inter-compréhension des contraintes et des besoins des uns et des autres, Pilotes Pres-tations Client ergonomie, architectes, développeurs, car elle menait à un consensus. La participation aux réunions a juste favorisé cette inter-compréhension. La maquette a été un support autrement plus parlant : même présentée successivement aux uns puis aux autres, elle permettait de faire la synthèse des attentes. Et présentée en même temps, elle permettait d’ouvrir les débats.

Un processus marqué par les problématiques de la CAO

L’informatisation des demandes des Pilotes Prestations Client ergonomie a permis d’impliquer les architectes dans ce projet. Tout d’abord, cette informatisation impliquait une levée des ambiguïtés dans la définition des cotes et mise en place d’éléments d’ergonomie dans la maquette numérique.

L’informatique ne sait pas interpréter les mesures ! Les procédures informatiques sont nécessairement méthodiques et complètes. Les données d’entrée sont précises. Cela a permis de mettre à jour certaines difficultés éprouvées par les architectes. D’autre part, le passage à une définition des demandes dans un modèle de CAO était beaucoup plus proche de l’« object world » des architectes que la version papier. Les architectes se sentaient plus à l’aise avec un modèle CAO, et les contraintes de leur outil de travail (problèmes de plantage des stations, délais d’exécution des procédures ou de mise à jour des éléments, etc.) étaient non seulement mises en évidence, mais également partagées par les Pilotes Prestations Client ergonomie, par le biais des constats ergonomiques génériques !

L’intégration des demandes (standardisées) de l’ergonomie dans l’univers des architectes a été très fructueuse. Elle a permis à ces derniers de s’exprimer sur les demandes qui leur étaient faites, et de mettre en évidence la charge que celles-ci représentaient. Cela leur a permis également de redéfinir les frontières de leur intervention : grâce à ces modèles, ils ne sont plus responsables de la mise en œuvre des procédures typiquement ergonomiques, mais peuvent se concentrer sur leur périmètre de responsabilité : la qualité de la maquette numérique.

Ceci n’a pu se produire que parce que l’automatisation des constats ergonomiques représentait une véritable plus-value dans leur travail, dont ils ont pris conscience grâce aux deux prototypes réalisés. Non seulement ces modèles CAO pouvaient alléger leur charge de travail lors du passage des jalons projet, mais ils permettaient aussi de faire des pré-analyses entre les jalons. L’automatisation des constats s’en est trouvée renforcée et a été également poussée par la communauté des architectes.

Un processus porté par le rapprochement des expériences et des savoirs

Les déclarations précédentes le mettent en lumière : le processus de conception a été porté par le rapprochement des Pilotes Prestations Client ergonomie et des architectes. Il aurait pu être négligé par les architectes : la réalisation des évaluations de l’ergonomie du projet véhicule est de la responsabilité des Pilotes Prestations Client ergonomie et la participation à ce projet de développement de constats ergonomiques génériques exigeait encore d’accorder du temps à une activité qui ne participait pas directement à la réalisation de leurs objectifs. Il aurait également pu être délaissé par les Pilotes Prestations Client ergonomie, tant l’univers CAO leur est peu naturel. Mais la motivation des uns et des autres l’a emporté sur ces considérations. L’inter-compréhension qui s’est créée entre les deux parties prenantes n’est pas étrangère à cette motivation.

Ce problème de l’inter-compréhension des savoirs en ingénierie collaborative a été soulevé par [Leclair et Luzi, 1997]. En effet, dans ce type de conception, les interactions sont nombreuses et les savoirs et savoir-faire s’entrecroisent sans qu’aucun acteur ne soit, la plupart du temps, prédomi-nant ni en mesure d’imposer son point de vue. C’est le régime des prescriptions réciproques6 de [Hatchuel et al., 2002], où l’inter-compréhension des problématiques et des contraintes de chaque acteur, se posant au niveau des interfaces, est essentielle. P. Leclair et F. Luzi présentent trois types de dispositifs permettant de favoriser (et non d’assurer) cette inter-compréhension des savoirs.

D’une part, les dispositifs formels de capitalisation et de transfert des savoirs peuvent contri-buer à des apprentissages croisés. La Base Documentaire de l’Ergonomie (Voir encadré « LA BASE

DOCUMENTAIRE DE L’ERGONOMIE» page 57) est un dispositif de ce type. Mais dans le cadre de l’inter-compréhension entre les Pilotes Prestations Client ergonomie et les architectes, elle ne joue qu’un rôle mineur. Comme l’expliquent les auteurs, ce genre de dispositif n’est généralement pas as-sez « opérationnel » (direct, rapide, pour répondre à une question, éclairer un point ambigu) dans les temporalités très contraintes des projets.

6Prescriptions réciproques : ensemble des préconisations échangées par les acteurs, visant à rendre compatibles leurs interactions, mais sans que personne n’ait autorité sur les autres.

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D’autre part, les dispositifs de rapprochement physique des acteurs, et de densification de leur ré-seau d’information peuvent être mis en place. Ainsi, le processus de conception des constats ergono-miques, sans que ce soit programmé, a participé à ces deux mécanismes, de façon fortuite pourrait-on dire. Le processus a rapproché physiquement les acteurs, mais ils sont, dans le cadre de leur activité professionnelle, déjà fréquemment en contact. Quelle était la différence ici ? Le contexte de leurs relations était, dans ce cadre, assez différent du contexte habituel : lors du processus de conception des constats ergonomiques génériques, ils étaient tous deux clients de la conception, alors qu’ordi-nairement, les Pilotes Prestations Client ergonomie sont plutôt clients (ou « appréciateurs ») de la conception réalisée par les architectes. De plus, les débats autour de la définition des cotes et des pro-cédures ergonomiques avaient pour support l’informatisation des constats ergonomiques. Les Pilotes Prestations Client ergonomie ont été directement impliqués dans les problématiques de la conception numérique et des outils CAO associés.

3.3.3 Conclusions sur le processus de conception des constats ergonomiques