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94 Paragraphe II/ Une division controversée

136. Pour certains auteurs, la différence théorique entre la dérogation légale et la dérogation

prétorienne n’est, en pratique, pas pertinente au regard de la porosité affichée par la frontière entre ces deux régimes (I). Ainsi, nous verrons que certains d’entre eux demandent l’alignement du régime prétorien sur celui prévu par l’article 36 du TFUE (II) afin de permettre la justification d’une mesure distinctement applicable par l’exigence impérative de protection de l’environnement.

I/ Une frontière poreuse

137. La ligne de démarcation entre les mesures indistinctement applicables relevant du

régime prétorien et les mesures discriminatoires pouvant relever de l’article 36 du TFUE fait preuve, en pratique, d’une réelle porosité.

En effet, plusieurs exemples nous montrent que la Cour de justice ne précise pas toujours, de manière expresse, celui des deux régimes au regard duquel elle examine la mesure nationale. C’est le cas, par exemple, de l’affaire PreussenElektra221, dans laquelle la Cour valide

l’obligation faite à des entreprises privées d’approvisionnement en électricité, d’acheter à des prix minima fixés l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelable aux motifs que le développement de l’utilisation de sources d’énergie renouvelable est utile à la protection de l’environnement.

Cette justification convoque à la fois la dérogation tirée de l’exigence impérative de protection de l’environnement, mais également la protection de la santé et de la vie des personnes, ainsi que la préservation des végétaux qui sont des raisons prévues par l’article 36 du TFUE.

L’arrêt du 11 décembre 2008 rendu par la Cour de justice constitue un deuxième exemple marquant de cette porosité. Dans une affaire qui concernait la validité d’un régime d’interdiction d’immatriculation de véhicules automobiles d’occasion précédemment immatriculés dans d’autres Etats membres, la Cour a, en effet, estimé qu’il n’y avait pas lieu

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d’examiner séparément les arguments relatifs à la protection de la santé de ceux relatifs à la protection de l’environnement222.

D’autres exemples existent et amèneraient au même constat223 : la pratique décisionnelle de la Cour de justice nous montre, ici, son refus de trancher entre les raisons énumérées à l’article 36 du TFUE et l’exigence impérative de protection de l’environnement et, par la même, la très fine frontière qui sépare les deux régimes.

Or, à l’heure où la majorité des mesures environnementales portent sur la conservation et la gestion des ressources224 et n’ont donc aucun rapport direct avec la santé ou avec la protection de la faune et de la flore sauvages, certains auteurs s’interrogent sur la pertinence de l’exclusion de la jurisprudence Cassis de Dijon des mesures environnementales distinctement applicables et plaident pour l’alignement du régime de la dérogation prétorienne sur celui de l’article 36 du TFUE.

II/ Un alignement souhaité

138. Certains auteurs se rejoignent pour demander à ce que des mesures distinctement

applicables puissent être justifiées au titre de la dérogation prétorienne.

Ainsi, le Professeur Vial considère que « l’exigence d’absence de discrimination doit être

abandonnée dans la mesure où il est peu concevable de distinguer entre la protection de la santé publique et la protection de l’environnement225 ».

Le Professeur De Sadeleer, quant à lui, ne voyant pas pour quelles raisons « des motifs forts

proches tels la préservation des végétaux devraient, pendant des décennies, bénéficier d’un régime privilégié par rapport à celui de la protection de l’environnement226 », plaide pour une évolution rapide des textes dans ce domaine.

222

CJCE, 11 décembre 2008, op., cit, point 56.

223

V.par exemple : CJUE, 21 décembre 2011, Commission c/ Autriche, aff. C-28/09, Rec., p.I-13525, points 118 à 123. Dans cet arrêt, la Cour après avoir souligné l’importance des objectifs de protection de la santé et de protection de l’environnement pour l’Union, rappelle qu’au regard de l’article 174 §1 du TCE la protection de la santé des personnes relève de l’objectif de la politique de la Communauté dans le domaine de l’environnement et que dès lors ces objectifs sont intimement liés notamment dans le cadre de la lutte contre la pollution de l’air. Elle tire de ce raisonnement la solution selon laquelle les arguments relatifs à la protection de la santé et ceux portant sur la protection de l’environnement doivent être examinés conjointement.

224

Recyclage, énergie renouvelable, etc.

225

C. VIAL, Protection de l'environnement et libre circulation des marchandise, op. cit., p. 229.

226

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Il rappelle d’ailleurs que l’avocat général Francis Jacobs avait déjà estimé dans ses conclusions sur l’affaire PreussenElektra de 2001, qu’en raison de « l’existence d’une

préoccupation accrue pour l’environnement », il serait difficile de justifier « le fait d’accorder une protection moindre à l’environnement qu’aux intérêts reconnus dans des accords commerciaux227 ».

139. Une modification du traité nécessaire - C’est pourquoi, nous estimons qu’en la

matière une modification du traité visant à unifier les deux régimes dérogatoires devrait être envisagée rapidement. Celle-ci aurait le double mérite de mettre fin à cette aberration juridique et de s’inscrire dans un mouvement européen et mondial en faveur de la préservation de l’environnement.

227

Conclusions de l’avocat général F. JACOBS sous CJCE, 13 mars 2001, PreussenElektra c/ Schleswag, op. cit., points 232 et 233.

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CONCLUSION DU CHAPITRE PREMIER

140. L’argument environnemental tiré de mesures étatiques se souciant de la protection de

l’environnement est donc reconnu.

Tantôt justifié par le besoin d’amélioration du niveau de protection de l’environnement ou tantôt reconnu à travers une exigence impérative d’intérêt général, celui-ci peut permettre de justifier des mesures étatiques par principe interdites, comme c’est le cas pour les aides d’Etat ou les mesures effet équivalent à des restrictions quantitatives. C’est d’ailleurs en cela qu’il constitue un argument pour les Etats.

Ainsi, comme on a pu le constater, cet argument a pris une plus grande place dans le contrôle des mesures étatiques effectué par la Commission. Est-ce à dire que toute mesure ayant trait d’une manière ou d’une autre à la protection de l’environnement peut échapper à l’interdiction qui s’y rattache ?

La réponse est bien entendu négative. Si l’argument environnemental fait effectivement l’objet d’une reconnaissance, celle-ci est limitée en pratique par un critère majeur, à savoir celui de l’équilibre. Ainsi quand les aides d’Etat à la protection de l’environnement sont acceptées à la condition qu’elles réussissent un test de mise en balance des effets positifs et des effets négatifs, les mesures d’effet équivalent à des restriction quantitatives, elles, seront autorisées lorsque leur proportionnalité, leur nécessité et leur caractère non discriminatoire seront avérés.

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On peut en conclure que si l’Union européenne et la Commission sont prêtes à laisser une place plus importante à l’argument environnemental, celui-ci ne peut justifier des mesures étatiques conduisant à déséquilibrer excessivement le marché au regard des avantages fournis par cette dernière. Le maitre mot en la matière est donc équilibre.

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CHAPITRE SECOND

L’ARGUMENT ENVIRONNEMENTAL POUR LE