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111 Paragraphe II/ Une efficacité discutable en matière de pratiques

Dans le document L'argument environnemental en droit du marché (Page 112-119)

anticoncurrentielles

154. L’argument environnemental n’est pas mieux considéré dans le cadre du contrôle des

comportements que dans celui des structures. En effet, il reste discuté en matière d’ententes (I) et est purement inefficace en matière d’abus de position dominante (II).

I/ Une place incertaine en droit des ententes

155. Une entente anticoncurrentielle, c'est-à-dire, d’une manière très synthétique, un

concours de volonté portant atteinte à la concurrence266, peut échapper à la condamnation s’il est démontré qu’elle présente plus d’avantages que d’inconvénients pour le marché. Cette possibilité est prévue tant par le Droit européen267 que par le Droit français268 des ententes. Ainsi, quand l’article 101§3 du TFUE écarte l’interdiction des ententes illicites lorsque l’accord contribue « à améliorer la production ou la distribution des produits ou à

promouvoir le progrès technique ou économique », l’article L. 420-4 I du Code de commerce

dispose que ne sont pas soumises aux dispositions de l’article L. 420-1 du même code, les pratiques « dont les auteurs peuvent justifier qu’elles ont pour effet d’assurer un progrès

économique ».

Comme nous avons déjà pu le voir précédemment, le progrès économique ou technique ou les gains d’efficacité peuvent consister en une amélioration de la qualité et/ou de la quantité d’un produit, à l’émergence d’un nouvel opérateur et surtout pour ce qui nous concerne, à la préservation de l’environnement.

156. Annonce de plan - Si avant l’entrée en vigueur du Règlement n° 1/2003269, on pouvait encore observer une prise en compte de l’argument environnemental dans le cadre d’exemptions individuelles ou d’attestations négatives (A), la suppression de ces deux procédures à compter du 1er mai 2004 a eu pour effet de renvoyer les préoccupations environnementales au second plan (B).

266

V. notamment : D. MAINGUY, J.-L. RESPAUD et M. DEPINCÉ, Droit de la concurrence, Litec, 2010. ; L. ARCELIN-LÉCUYER, Droit de la concurrence: les pratiques anticoncurrentielles en droit interne et européen, 2e éd., Presses Universitaires de Rennes, 2013. p.83.

267

Article 101 §3 du TFUE.

268

Article L. 420-4 du Code de commerce.

269

Règlement n° 1/2003/CE du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, JOCE, n° L 1 du 4 janvier 2003, p. 1.

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A/ Une prise en compte effective avant le 1er mai 2004

157. L’analyse de la pratique décisionnelle antérieure à l’entrée en vigueur du Règlement

n° 1/2003 nous montre que la majorité des accords qui avaient pour objet de réduire les activités polluantes des industries d’un secteur concerné ou de promouvoir la mise sur le marché de produits plus écologiques remplissaient la première condition de l’article 101§3 du TFUE, à savoir l’amélioration de la production ou de la distribution et la promotion du progrès technique ou économique.

Ainsi, nombreuses sont les entreprises qui faisaient valoir les mérites environnementaux de leurs ententes dans le cadre de demandes d’exemptions individuelles et d’attestations négatives et nombreuses sont celles qui ont pu bénéficier d’une telle exemption.

Ce fût le cas, par exemple, pour un accord portant sur la mise au point d’accumulateurs pour véhicules à moteur car ces derniers devaient servir à la propulsion de véhicules électriques « ne polluant pas l’environnement par des gaz d’échappement nocifs et n’engageant pas un

bruit de moteur excessif 270».

D’autres exemptions ont été attribuées par la Commission à des accords portant sur des économies d’énergie et des réductions d’émissions polluantes271 ou à des accords visant à réduire la consommation d’électricité de lave-linge, augmentant ainsi leur efficacité sur le plan technique272.

Une place particulière leurs avait même été accordée dans les lignes directrices sur les accords de coopération horizontales dans un point 7273 spécialement dédié aux accords environnementaux, c'est-à-dire ceux visant à réduire le niveau de pollution conformément aux objectifs européens et nationaux en matière d’environnement.

Cependant, l’entrée en vigueur du Règlement n° 1/2003274 a quelque peu redistribué les cartes en la matière. En passant d’un système d’autorisation, dans lequel les entreprises pouvaient avancer, par anticipation, leurs arguments environnementaux pour échapper à la sanction de l’accord, à un système d’exception légale dans lequel l’autoévaluation est la règle, la place de l’argument environnemental est devenue plus qu’incertaine.

270

Décision 88/54/CEE de la Commission du 11 octobre 1988, BBC Brown Bovery.

271

Décision 94/986/CE de la Commission du 21 décembre 1994, op. cit.

272

Décision 2000/475/CE de la Commission du 24 janvier 1999, CECED.

273

Lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 81 du traité (actuellement 101) aux accords de coopération horizontale, JOCE, n°C003, 6 janvier 2001, points 7 et s.

274

Règlement n° 1/2003/CE du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, op. cit.

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B/ Une indifférence manifeste depuis le 1er mai 2004

158. Beaucoup d’auteurs se demandent, à juste titre, si l’argument environnemental peut

encore avoir un impact sur le principe d’interdiction des ententes anticoncurrentielles.

En observant la pratique décisionnelle depuis le 1er mai 2004, on aurait tendance à penser que non. Ainsi, dans l’affaire dite des lessives, dans laquelle étaient impliqués les quatre plus grands groupes multinationaux de ce secteur d’activité275, la Commission a condamné un cartel qui visait à stabiliser les positions des entreprises et à coordonner les prix. L’infraction s’inscrivait dans le contexte de la mise en œuvre d’une initiative européenne pour l’environnement, dite AISE, sous la forme de réductions de dosage et de poids de lessives. En-dehors de Henkel qui a bénéficié d’une immunité en tant que premier demandeur de clémence, Procter & Gamble et Unilever ont été condamnées à des amendes d’un montant de 315 millions d’euros276. Aucun argument environnemental n’a pu être invoqué277 par les parties dans cette affaire.

Le même constat peut être réalisé concernant les accords purement environnementaux278. Les nouvelles lignes directrices279 ayant supprimé la section consacrée à ces derniers, ils ne représentent plus un cas d’exemption par catégorie et subissent, ainsi, le même traitement que les autres. L’argument environnemental semble dès lors ne plus pouvoir servir d’écran à des pratiques ou des opérations manifestement contraires au Droit de la concurrence.

Ainsi, depuis le 1er mai 2004, l’exemption ne paraît devoir être accordée qu’à une pratique qui contribue à l’efficacité économique, de telle sorte que d’autres considérations, comme la protection de l’environnement, ne paraissent plus avoir leur place dans cette approche purement marchande280 .

275

Henkel, Unilever, Procter & Gamble, Colgate.

276

Décision 39/579/UE de la Commission du 13 décembre 2011, Consumer détergents.

277

L. IDOT, «Droit de la concurrence et protection de l'environnement», Concurrences, 2012, n° 3-2012, p. 2.

278

« Les accords environnementaux sont des accords aux termes desquels les parties s’engagent à parvenir à

une réduction de la pollution, conformément à la législation sur l’environnement ou aux objectifs fixés en matière d’environnement, notamment ceux figurant à l’article 174 du traité »., Lignes directrices sur

l’applicabilité de l’article 81 du traité (actuellement 101) aux accords de coopération horizontale, op.cit., point 179.

279

Lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux accords de coopération horizontale, JOUE, n° C11/1, 14 janvier 2011.

280

Il est ainsi observé que « l’application du droit communautaire, à l’exception du contrôle des aides d’Etat,

repose désormais uniquement sur un bilan purement concurrentiel, dans lequel l’intégration d’autres considérations n’a plus de place », Laurence IDOT, « L’intérêt général : limite ou pierre angulaire du droit de la

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II/ Une inefficacité avérée en Droit des abus de position dominante

159. L’application de l’article 102 TFUE, ou de la règle équivalente en Droit national,

suppose l’identification d’une position dominante puis de pratiques abusives.

Le Droit européen de la concurrence ne prévoit aucune exemption à l’abus de position dominante. Ainsi, si des comportements illicites sont établis, le fait que l’entreprise ait une activité liée à l’environnement ne peut être une excuse. Un exemple peut être fourni par la confirmation de la condamnation de l’entreprise suédoise spécialisée dans le recyclage des bouteilles vides, TOMRA, qui s’était livrée à diverses pratiques de verrouillage des marchés, notamment au travers des systèmes de remises discriminatoires et de contrats d’exclusivité281. Si l’étude du droit européen, dans cette matière, ne présente donc pas un grand intérêt, l’existence d’un particularisme en droit français retiendra davantage notre attention.

En effet, le Droit français contient une particularité par rapport au Droit européen. Il offre la possibilité d’exempter aussi bien les ententes que les abus de position dominante s’ils contribuent au progrès économique et que les utilisateurs en retirent un large profit282.

Les quatre critères traditionnels doivent être satisfaits pour octroyer une exemption à une pratique jugée anticoncurrentielle: la réalité du progrès économique, le caractère indispensable et adapté des pratiques en cause pour l'obtenir, l'existence d'un bénéfice pour les consommateurs et l'absence d'élimination de toute concurrence. Chacune de ces quatre conditions doit être remplie pour que le bénéfice d'une exemption individuelle soit admissible283.

Un seul arrêt a exempté une pratique abusive en se fondant sur cet article : l’arrêt « société Nikon ». Dans cette affaire, la Cour de cassation a censuré un arrêt d’appel qui avait retenu l’abus de position dominante de la société Nikon et ce « sans vérifier si les pratiques

dénoncées n’étaient pas justifiées par des nécessités objectives, tenant en la mise en place d’un service de qualité, qui ne peut être assuré sans le contrôle permanent de l’importateur que par des agents ayant des compétences techniques et un outillage approprié et bénéficiant d’une formation initiale et continue284 ».

281

Décision n° 38/113 de la Commission du 29 mars 2006, Prokent-Tomra, ; décision n° T-155/06 du Tribunal de l’UE du 9 septembre 2010, Tomra, et sur le pourvoi, décision n° C-549/10 P de la CJUE du 19 avril 2012.

282

Article L. 420-4 I 2o du Code de commerce.

283

Décision n°13-D-14 de l’Autorité de la concurrence du 11 juin 2013.

284

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Cependant, cette différence semble en pratique uniquement formelle, car depuis cet arrêt l’Autorité de la concurrence n’a jamais plus exempté un abus de position dominante sur ce fondement.

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CONCLUSION DU CHAPITRE SECOND

160. Si l’argument environnemental, matérialisé par l’existence d’un progrès économique,

a pu un temps être reconnu par le Droit des pratiques anticoncurrentielles et des concentrations comme un moyen de venir déjouer une interdiction de principe, à l’image de ce qui peut se passer en matière de mesures étatiques restrictives, force est de constater que la réalité du moment est bien différente.

Ainsi, nous avons pu constater qu’en matière de contrôle des concentrations tant interne qu’européen, l’argument environnemental est cantonné à un rôle purement figuratif, bien loin derrière des considérations strictement économiques. Ceci s’expliquant à la fois par le type de contrôle exercé par la Commission, à savoir un contrôle ex-ante laissant peu de place à toute argumentation extra-économique et par la réforme opérée en Droit interne par la loi du 4 août 2008285 supprimant tout recours à ce type d’argument.

Un constat identique peut être dressé en matière d’ententes illicites. Ainsi, le passage, depuis l’entrée en vigueur du Règlement n° 1/2003286, d’un système d’autorisation, dans lequel les entreprises pouvaient faire valoir les mérites environnementaux de leurs ententes à l’appui d’une demande d’exemption individuelle, à un système d’exception légale, dans lequel l’autoévaluation est la règle, semble en pratique avoir complètement fait disparaitre l’argument environnemental tiré d’un progrès économique ou technique. Son inefficacité avérée en matière d’abus de position dominante fini d’enterrer ce type d’argument en Droit de la concurrence.

285

Loi n° 2008-776 du 4 août 2008, op. cit.

286

Règlement n° 1/2003/CE du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, op. cit.

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Dès lors, ce lent mais véritable déclin de l’argument environnemental en Droit de la concurrence ne manque pas de nous interroger sur le rôle que doit jouer ce dernier en matière de protection de l’environnement. En effet, ce phénomène semble entrer en complète contradiction avec le souhait affiché par l’Union européenne et l’ensemble des Etats membres d’améliorer le niveau de protection de l’environnement et d’encourager les initiatives s’inscrivant dans le cadre d’un développement plus durable. Or, l’évolution actuelle du Droit de la concurrence interne et européen conduit nécessairement à freiner les investissements réalisés par les entreprises en matière de protection de l’environnement dans la mesure où de tels investissements ne sont plus, aujourd’hui, reconnus.

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Dans le document L'argument environnemental en droit du marché (Page 112-119)