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194 Paragraphe II/ La portée des obligations environnementales d’origine contractuelle

Dans le document L'argument environnemental en droit du marché (Page 195-200)

280. Si à priori, insérées dans le contrat, ces obligations doivent être respectées par les

parties au titre de la force obligatoire du contrat, leur contenu parfois flou et doux fragilise leur respect et pose nécessairement des questions sur leur valeur juridique réelle (I).

Il faut cependant garder à l’esprit que leur prolifération est en grande partie due au phénomène de Responsabilité Sociétale de l’Entreprise. Dès lors, à travers la contractualisation d’engagements volontaires, c’est également la réputation sociétale de l’entreprise qui est en jeu. C’est pourquoi, en pratique, ces obligations à forte valeur « réputationnelle » (II) seront généralement bien respectées.

I/ Une valeur juridique en débat

281. Obligation environnementale « volontaire » et manquement contractuel -

L’ensemble de ces obligations environnementales contractuelles volontaires sont naturellement soumises au principe de force obligatoire du contrat. Ainsi, classiquement, le manquement contractuel pourra être soulevé par les parties qui ont initié le contrat et ce même à l’encontre de tous ceux dont le débiteur initial doit répondre (fournisseur/sous-traitant)488. Ce manquement pourra également être invoqué par des tiers au contrat. Il est en effet admis que les tiers ont la faculté de se prévaloir d’une défaillance contractuelle comme fondement à la responsabilité délictuelle489. Les tiers visés sont les victimes principales490, les victimes immédiates du défaut d’une chose491, les victimes par ricochet492, les tiers qui collaborent à l’exécution du contrat493. Les hypothèses de telles actions sont donc très nombreuses en matière environnementale. On peut imaginer, par exemple, qu’en présence d’un contrat de production conclu entre deux entreprises et prévoyant, par le biais d’une clause RSE, l’interdiction d’utiliser certains produits chimiques polluants, des tiers victimes de nuisances olfactives liées à l’utilisation effective de tels produits puissent invoquer une inexécution

488

V. par ex. Ch mixte, 13 mars 1981, n°79-11.185, Bull. civ., III, n°91 (pour un sous-traitant).

489

Ass. Plén., 6 octobre 2006, n°05-13.255.

490

V. par ex. Civ. 2ème, 10 mai 2007, n°06-13.269 (pour le tiers au contrat d’assurance victime de l’exécution défectueuse du contrat par l’assureur).

491

Article 1386-1 du Code civil.

492

V. par ex. Civ. 2ème, 23 octobre 2003, n°01-15.391, JCP 2004. II. 10187 (pour les proches d’un emprunteur).

493

V. par ex. Civ. 2ème, 6 février 2014, n°13-10-540 (pour les cautions d’un assuré invoquant une inexécution fautive du contrat par l’assureur à l’origine de leur propre dommage).

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fautive du contrat par l’entreprise débitrice de cette obligation environnementale contractuelle.

282. Une sanction variable – Cependant, il est nécessaire d’opérer une distinction entre les

obligations environnementales touchant la prestation de celles ayant trait au comportement du cocontractant. En effet, alors qu’en cas de violation d’une obligation environnementale contractuelle, le juge est systématiquement amené à vérifier son existence dans le contrat et sa gravité au regard de la volonté initiale des parties pour prononcer la résolution du contrat494, le constat portant sur la gravité de la violation sera en pratique plus aisé à faire pour une obligation environnementale de prestation, comme par exemple l’obligation de conception écologique d’un produit, que pour celle portant sur un comportement environnemental.

283. Illustration - C’est pourquoi, en pratique, la violation d’une obligation

environnementale comportementale généralement assez éloignée de la prestation principale du contrat ne devrait pas aboutir à la résolution du contrat. C’est ce que tend à illustrer, d’une certaine manière, un arrêt récent de la Cour de cassation du 13 décembre 2011495. Cette affaire concernait la vente par une Société Civile Immobilière (ci-après SCI) d’une parcelle de terrain à une commune. L'acte authentique prévoyait une clause selon laquelle la vente s'effectuait sous la condition que l'acquéreur n'installe pas ou n'y laisse pas s'installer des industries ayant pour objet le recyclage de toutes sortes de déchets, ni leur entrepôt, à l'exclusion des déchets verts. Or, par la suite, la commune céda cette parcelle à un Syndicat intercommunal se voyant autorisé par arrêté préfectoral à exploiter un centre de tri-transit de matériaux recyclables issus de la collecte sélective des déchets ménagers. La SCI invoqua donc la résolution du contrat de vente.

Les juges, après avoir analysés la finalité de la clause, à savoir la prévention des risques de pollution et les effets réels sur l’environnement engendrés par l’activité de tri du sous-acquéreur, ont estimé que la violation de cette obligation environnementale ne constituait qu’un simple manquement contractuel ne justifiant pas la résolution de la vente. Ainsi, si au regard du contenu obligationnel du contrat, la responsabilité contractuelle n’est pas exclue par la Cour, la seule présence d’une obligation environnementale comportementale dans le contrat n’est pas suffisante pour que le juge puisse prononcer la résolution en cas de violation.

494

Civ. 3ème, 1er décembre 2010, n° 09-16.516.

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Néanmoins, comme le relève Mathilde Boutonnet, si cette solution nuit à l’efficacité des obligations environnementales comportementales, cela ne signifie pas, qu’à l’avenir, elles ne puissent pas être accueillies plus favorablement par les juges496. En effet, l’arrêt ne dit en rien que cette obligation n’était pas déterminante du consentement des parties, il révèle simplement que celle-ci, au regard de sa finalité, n’était pas d’une gravité suffisante. Il en demeure donc la possibilité pour le juge d’admettre qu’une telle obligation peut être essentielle au contrat. Ce caractère additionné à la reconnaissance de la gravité de la violation de l’obligation pourrait donc conduire, à l’avenir, à la résolution du contrat.

Dans tous les cas, et pour éviter tout aléa interprétatif, les personnes privées soucieuses de l’efficacité de leurs obligations environnementales comportementales contractuelles pourront les combiner à des clauses résolutoires prévoyant la fin du contrat en cas de violation497. Il n’en reste pas moins, qu’en pratique, malgré cette valeur juridique incertaine, ces obligations environnementales volontaires, le plus souvent intégrées dans des contrats de consommation intermédiaire, sont généralement assez bien respectées. Ceci s’explique aussi, en partie, par le risque « réputationnel » qui accompagne le non respect de telles obligations pour les parties au contrat.

II/ Une valeur « réputationnelle » importante

284. On le sait, la grande majorité de ces obligations trouve leur source dans le mouvement

de Responsabilité Sociétale conduit par les entreprises. Ce mouvement participe à l’amélioration de l’image et de la réputation de l’entreprise à l’égard de ses parties prenantes. C’est pourquoi, si la valeur juridique de ces obligations peut différer d’un contrat à l’autre, elles disposent toutes d’une valeur « réputationnelle » très importante s’appliquant sans distinction à l’ensemble des parties au contrat.

Ainsi pour le créancier de l’obligation environnementale, l’objectif est souvent d’obtenir le respect de ses propres engagements environnementaux, fondés soit sur un code de bonne conduite, une charte éthique ou même un site internet, par l’ensemble de ses partenaires, afin d’éviter tout écart entre l’image sociétale véhiculée sur le marché et les actions effectivement entreprises. Le risque étant ici, à la fois d’engager la responsabilité de l’entreprise vis-à-vis de

496

M. BOUTONNET, «Le potentiel environnemental du droit civil révélé par la méconnaissance d'une obligation environnementale contractuelle», Recueil Dalloz, 2012, p. 790.

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l’ensemble des parties prenantes, et nuire dans une sorte d’effet de boomerang, à son image sur le marché.

A ce titre, certains auteurs estiment d’ailleurs que le juge pourrait déceler dans l'inexécution des obligations environnementales comportementales un manquement préjudiciable pour la réputation du créancier autant que pour sa politique d'entreprise498.

Pour le débiteur, le risque de réputation est ailleurs. En effet, en plus d’engager sa responsabilité contractuelle, il engagera également sa réputation sur un marché de plus en plus sensible à la cause environnementale. Comme nous l’avons vu, il est de plus en plus fréquent d’utiliser le respect d’une politique de RSE comme véritable critère de sélection des partenaires économiques.

Ainsi, choisir la voie du non respect d’une obligation environnementale contractuelle peut conduire à s’exclure d’office d’un marché en pleine évolution. C’est pourquoi, en pratique, ces obligations environnementales seront très largement respectées par l’ensemble des contractants.

498

V. notamment : P. ABADIE, «L’entreprise et les stratégies d’anticipation du risque environnemental», op. cit ; M. BOUTONNET, «Le contrat et le droit de l'environnement», op.cit.

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CONCLUSION DU CHAPITRE PREMIER

285. Une portée variable - Les obligations environnementales contractuelles, en fonction

de leur origine et de leur objet, ont des répercutions différentes sur les parties contractantes. Ainsi, si les obligations d’origine légale ont une force certaine attachée à la loi, ce n’est naturellement pas le cas de celles issues de la seule volonté des parties qui, par un contenu variant et plus ou moins précis, peuvent, comme nous avons pu le voir, être d’une efficacité relative.

Le même constat peut être réalisé pour les obligations touchant directement à la prestation contractuelle principale, qui en cas d’inexécution peuvent généralement emporter la résolution du contrat, et les obligations plus accessoires touchant davantage au comportement des contractants qui dans pareil cas auront beaucoup plus de difficulté à bénéficier du même résultat.

Ainsi, quantitativement nombreuses, les obligations environnementales s'avèrent également qualitativement riches, sur la forme, le fond et la force499.Toujours est-il que leur prolifération actuelle doit être perçue comme l’une des principales manifestations de l’intégration de préoccupations environnementales en Droit du marché.

286. Une finalité commune – En effet, comme on vient de le voir, si une partie de ces

obligations ne fait que refléter l’intérêt des parties à gérer les conséquences personnelles qu’implique le risque environnemental, même dans ce cas, elles contribuent de manière incidente mais réelle à l’intérêt général de protection de l’environnement500. Leur finalité

499

M. BOUTONNET, «Le contrat et le droit de l'environnement», op.cit.

500

V. en ce sens : M. BOUTONNET, «Des obligations environnementales en droit des contrats», op. cit., p.57 ; M. MEKKI, « Contrat et devoir de vigilance », op. cit.

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commune est donc bien celle de l’intégration directe ou incidente de préoccupations environnementales dans le contrat.

Dès lors, au regard de ce foisonnement normatif et de la finalité commune qui habite ces obligations environnementales, certains auteurs s’interrogent sur l’opportunité d’introduire en Droit des contrats, une obligation environnementale générale fédératrice.

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