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L’efficacité limitée de l’argument environnemental pour le progrès économique

Dans le document L'argument environnemental en droit du marché (Page 108-112)

149. Nous verrons dans cette section que l’efficacité de l’argument environnemental ne

peut être considérée que comme relative en matière de concentration (Paragraphe I) et discutée en matière de pratiques anticoncurrentielles (Paragraphe II).

Paragraphe I/ Une efficacité relative en matière de concentration

150. Si les opérations de concentration249 constituent des phénomènes relevant du fonctionnement normal d’une économie de marché, elles peuvent représenter, dans certains cas, des risques pour la concurrence.

C’est pourquoi, leur contrôle apparaît comme un des volets les plus significatifs de la politique de la concurrence, et ce d’autant plus depuis la mise en œuvre d’une réglementation européenne en la matière.

Le contrôle des concentrations constitue un des rares contrôles a priori exercés par les autorités publiques sur les activités des entreprises. Il se déclenche automatiquement à la réception d’une notification préalable à la réalisation de l’opération, et sera exercé, selon les cas, par l’Autorité de la concurrence ou par la Commission européenne.

A l’issue de ce contrôle l’opération sera soit autorisée, éventuellement sous certaines condition, soit interdite par l’autorité en charge.

Par son champ d’application extrêmement large, ce contrôle peut trouver à s’appliquer à des opérations qui intéressent de manière plus ou moins directe l’environnement. Aussi, était-il intéressant de s’interroger si dans pareil cas, une entreprise pouvait, au soutien d’un argument environnemental, justifier une opération de concentration de nature à affecter le marché.

151. Annonce de plan - Nous verrons que, si le Droit européen, comme le Droit français250, ont consacré, dans le cadre de ce contrôle, la théorie précédemment évoquée des gains d’efficacité défendue par l’analyse économique, en pratique, cet argument ne pourra jouer

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Il ressort de l’article 3 du Règlement du 20 janvier 2004 et de l’article L 430-1 du Code de commerce que l’opération de concentration peut consister en une opération de fusion ou scission d’entreprises indépendantes, ou une prise de contrôle d’une entreprise ou encore la création d’une entreprise commune.

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qu’un rôle secondaire dans la justification de l’opération, et ce, que ce soit à l’échelle européenne (I) ou sur le seul territoire français (II).

I/ La place limitée de l’argument environnemental dans le contrôle européen des concentrations

152. Rappelons, à titre liminaire, que les opérations qui ne présentent pas une dimension

communautaire251, au sens de l’article 1er du Règlement n° 139/2004252, font l’objet d’un ou plusieurs contrôles nationaux, tandis que les concentrations de dimension communautaire sont examinées par la Commission européenne.

A ce sujet, il est intéressant de noter que le contrôle européen des concentrations est assez récent puisqu’il n’existe que depuis 1989253. Il a depuis été modifié par le Règlement n° 139/2004 du 20 janvier 2004.

Ce dernier s’accompagne de lignes directrices concernant les concentrations horizontales254 et non horizontales255 qui consacrent la théorie des gains d’efficacité défendue par l’analyse économique.

Cependant, si en théorie, comme nous l’avons vu, des gains d’efficacité qualitatifs ayant trait à la protection de l’environnement sont censés pouvoir influer sur le résultat de l’analyse économique, en pratique, comme le souligne le Professeur Thieffry, « la prise en compte de

considérations environnementales au soutien d’une concentration qui ne serait pas autorisée au regard de ses seuls effets concurrentiels n’est pas dans l’esprit du contrôle européen des concentrations256 ».

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En vertu de l’article 1er §2 du Règlement n°139/2004, une concentration est de dimension européenne si le chiffre d’affaires mondial hors taxe de toutes les entreprises concernées est d’au moins 5 milliards d’euros et si le chiffre d’affaires réalisé au sein de l’Union par deux entités concernées est supérieur, pour chacune d’entre elles, à 250 millions d’euros.

252

Règlement n°139/2004 du 20 janvier 2004, sur les contrôles des concentrations entre entreprises, JOUE, n° L 24 du 29 janvier 2004.

253

Règlement n° 4064/89 du 21 décembre 1989 relatif au contrôle de concentration entre entreprises, JOCE, n° L-395/1 du 30 décembre 1989.

254

Lignes directrices sur l’appréciation des concentrations horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, JOCE, n° C031, 5 février 2004.

255

Lignes directrices sur l’appréciation des concentrations non horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, JOCE, n° C 265/6, 18 octobre 2008.

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En effet, il n’existe à ce jour aucun cas dans lequel la Commission, ayant jugé à la suite de son bilan concurrentiel qu’une concentration d’entreprises entravait significativement la concurrence, a, au regard d’un gain d’efficacité « environnemental », autorisé cette opération. Cela s’explique essentiellement par le fait que la Commission se livre à un contrôle ex ante257 dans lequel les effets sur la concurrence priment sur les gains d’efficacité potentiels pouvant résulter d’une concentration d’entreprise.

Dès lors, l’argument environnemental tiré de la protection de l’environnement ne peut jouer qu’un rôle secondaire dans le cadre de ce contrôle, comme ce fût le cas, par exemple, dans l’affaire T-mobile Deutschland et O2 Germany258 où la Commission européenne a considéré

que la mutualisation des antennes de téléphonie mobile, en plus de découler sur des économies d’échelle favorable aux consommateurs, pouvait également, mais de manière accessoire, entraîner des avantages en matière de préservation de l’environnement.

Ainsi, si en théorie la Commission n’écarte pas totalement l’argument environnemental259, il paraît clair qu’en pratique ce dernier ne peut faire disparaître des problèmes de concurrence s’ils existent. Le même constat peut être dressé pour le Droit interne des concentrations, même si, jusqu’en 2008, ce dernier s’avérait plus accueillant.

II/ Le rôle secondaire de l’argument environnemental dans le contrôle interne des concentrations

153. Le contrôle interne des concentrations est exercé, depuis la loi du 4 août 2008260, par l’Autorité de la concurrence. Ainsi, toutes les opérations de concentrations ne dépassant pas les seuils européens doivent lui être notifiées. Il en est de même lorsque chacune des entreprises concernées par l’opération réalise plus des deux tiers de son chiffre d’affaires en France261.

Dans la pratique, le contrôle exercé par l’Autorité de la concurrence n’est pas très différent de celui exercé par la Commission. Elle s’attache dans un premier temps à délimiter un marché

257

Pour plus de détails sur le contrôle des concentrations exercé par la Commission, je vous renvoie à l’ouvrage de M. MALAURIE-VIGNAL, Droit de la concurrence interne et européen, 6e éd., Sirey, 2014.

258

Décision COMP/38.369 de la Commission du 16 juillet 2003, T-mobile Deutschland et O2 Germany, JOUE, n° L 75, 12 mars 2004, p.32.

259

Règlement n°139/2004 du 20 janvier 2004, sur les contrôles des concentrations entre entreprises, op. cit., point 29.

260

Loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie.

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pertinent au regard du secteur d’activité concerné, pour dans un second temps se livrer à un bilan concurrentiel visant à identifier les risques potentiels d’atteinte à la concurrence de l’opération analysée.

Cependant, à la différence du Règlement n° 139/2004 qui ne prévoit pas spécifiquement d'examiner les gains d’efficacité résultant de l'opération dans le cadre d'un bilan économique, le Droit français des concentrations, lui, prévoit cette possibilité.

Ainsi, l’Autorité de la concurrence peut se livrer à un examen approfondi des bienfaits d’ordre économique de l’opération, lorsqu’à la suite du bilan concurrentiel subsiste un doute sérieux d’atteinte à la concurrence262, et donc faire échapper les « bonnes concentrations » d’une probable interdiction263.

Rappelons cependant que l’examen de ces gains d’efficacité n’est possible que lorsque les gains allégués sont quantifiables et vérifiables, spécifiques à la concentration et bénéfiques pour l’ensemble de la collectivité et plus particulièrement aux consommateurs.

Ainsi, dans sa pratique décisionnelle, l'ancien Conseil de la concurrence a souvent admis que des gains d’efficacité pouvaient compenser des atteintes à la concurrence. Ce fût le cas, par exemple, dans l’affaire Metaleurop/Heubach & Lindgens264 où le Conseil a retenu un

argument tiré de la protection de l’environnement pour autoriser une concentration en estimant que « le développement du progrès économique pouvait s'entendre également d'une

contribution à la lutte contre la pollution de l'environnement265 ».

Cependant, depuis la réforme opérée par la loi du 4 août 2008 et la suppression par celle-ci de la possibilité d’invoquer des gains d’efficacité extra-économiques, il semble aujourd’hui difficile de pouvoir tenir compte d’arguments environnementaux au soutien d’une concentration jugée anticoncurrentielle.

Ainsi, en matière de concentration, l’argument environnemental ne peut se voir attribuer qu’un rôle tout à fait accessoire, bien loin derrière des considérations purement économiques restant primordiales dans le cadre d’un contrôle des structures.

262

Article L 430-5 III du Code de commerce.

263

Article L 430-6 du Code de commerce.

264

Avis n° 94-A-18 du Conseil de la concurrence du 17 mai 1994, BOCC, 14 juillet 1994.

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