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Des paradoxes

Dans le document Du littéraire (Page 184-188)

quels usages, quels enjeux ? 1.1 Les textes en présence et leur classement

2.2 Des paradoxes

2.2.1 Paradoxe 1 : la non-relation entre recherche didactique et présence de textes littéraires

Gruca (2001) a noté le contraste entre la richesse de la ré exion

didac-tique sur la littérature en FLE et la pauvreté de son utilisation dans les manuels et méthodes. Ce serait plutôt l'inverse en F.L.S. : la ré exion didactique sur la question a démarré assez tard et n'est pas très abon-dante alors que les textes littéraires sont plutôt nombreux dans les manuels. Un élément d'explication se trouve peut-être dans la relation de la didactique du F.L.S. avec celle du français langue maternelle, un héritage partiel sinon une liation. Et il faut distinguer en outre présence de textes littéraires et pensée méthodologique organisée.

2.2.2 Paradoxe 2 : le facile et le difficile

Si l'on compare encore FLE et F.L.S., on note que les textes littéraires sont plus abondants en F.L.S. qu'en FLE, dans les débuts de l'apprentis-sage. Or en FLE, les élèves sont rarement aussi débutants qu'en F.L.S.. Les manuels de FLE pour enfants s'adressent pour la plupart à des enfants

de 7 ou8 ans, c'est-à-dire à des enfants qui ont déjà appris à lire et à

écrire dans une autre langue, notamment maternelle. Au contraire, les manuels de F.L.S. s'adressent à des enfants qui découvrent le français en même temps qu'ils découvrent les apprentissages scolaires initiaux.

Si la présence de textes littéraires est possible en F.L.S., elle devrait

donc l'être en FLE. Un manuel avait suivi cette piste, c'étaitLa petite

gre-nouille, en1986, destiné à des enfants de6à8ans, apprenant à parler, lire et écrire en français, à partir de contes. Peu d'autres méthodes ont suivi dans cette voie, préférant se tourner vers le concret, le quotidien.

Pour l'enseignement de la langue seconde-langue de scolarisation, faut-il juger di cile la présence de textes littéraires dès le début et donc les évacuer comme le fait le FLE ? C'est peut-être mal apprécier le facile et le di cile. Les jeunes enfants de maternelle en France apprennent au moins deux comptines par semaine en petite section (ils ont trois ans) et les répètent plus ou moins maladroitement, mais avec quel plaisir ! Il n'est peut-être pas plus di cile d'apprendre un petit texte s'il est amu-sant, sonore, évocateur et accompagné d'activités ludiques que d'intégrer des énoncés d'actes de langage. Quant aux niveaux ultérieurs, l'observa-tion des classes montre que les élèves peinent dans tout ce qui est abstrait et formel, et moins dans ce qui a du sens.

MICHÈLE VERDELHAN-BOURGADE

2.2.3 Paradoxe 3 : littérature et scolarisation

Ceci nous conduit au problème-clé de ce chapitre, celui du rôle de la lit-térature dans les apprentissages. Rappelons que l'apprentissage en fran-çais langue seconde sur le terrain africain ou DOM-TOM relève de celui d'une langue de scolarisation, comme l'est le F.L.M. en France. Or on

insiste très fortement en France depuis les programmes o ciels de2002

sur le rôle majeur de la littérature à l'école pour le langage et la lecture. Il s'agit à la fois de familiariser avec la langue de l'écrit, son vocabulaire, sa syntaxe, s'imprégner de la culture littéraire de jeunesse, d'explorer des thèmes, de comprendre la relation texte-images, de « constituer une base

solide pour les lectures autonomes ultérieures » (IO,2002, p.21). Cette

familiarisation avec l'écrit, menée d'une part à travers la lecture orale par le maître, d'autre part avec la manipulation d'ouvrages ou d`albums, développe les bases langagières favorables à l'apprentissage de la lecture et de la production écrite. Elle forme en même temps une culture com-mune et permet à l'élève de réagir sur des personnages, des événements, des lieux, qui, n'étant pas de son quotidien, excitent ses facultés de rai-sonnement et d'imagination.

La littérature joue ainsi un rôle-clé dans la scolarisation en français. Or force est de constater que la scolarisation en français langue seconde ne lui réserve pas du tout la même place. La littérature est-elle donc l'apanage de l'enseignement du français aux enfants de français langue maternelle ? N'est-ce pas plutôt que le français langue seconde, tel qu'il se manifeste dans les programmes des pays et tel qu'il se traduit ensuite dans les manuels, place autrement ses priorités ? On pourrait résumer ainsi : en F.L.M., la littérature est l'arrière-plan et le facteur favorisant indispensable aux apprentissages langagiers oraux et écrits ; en F.L.S., la priorité des programmes est donnée à la langue et à la lecture du code, sans arrière-plan langagier su sant.

3 Pistes méthodologiques

L'auteur de ces lignes plaide depuis de nombreuses années1pour que

les apprentissages de la lecture et de l'écriture, dans les pays de français langue seconde, soient précédés d'un temps su sant d'apprentissages langagiers en français. Ce temps devrait être mis aussi à pro t pour une familiarisation avec les formes et le rôle de l'écrit en français, quel que soit le contexte. Bien que ces propositions fassent l'unanimité didac-tique, force est de constater qu'elles sont peu suivies d'e ets sur le terrain.

Le Cameroun par exemple exige pour ses nouveaux manuels de2006

1. Verdelhan-Bourgade,1995.

LA LITTÉRATURE ET LES MANUELS D’ENSEIGNEMENT...

que l'apprentissage de la lecture-code commence après seulement sept

semaines de langage chez des enfants de5à 6ans ne parlant jusque là

pas un mot de français.

Dans un contexte de ce type, faut-il enseigner la littérature en français langue seconde ? Cela mérite une vraie ré exion didactique. Car il ne s'agit pas de transposer de façon systématique les orientations pédago-giques du français langue maternelle, et il faut tenir compte de la réalité des situations scolaires, des besoins des élèves ou des enseignants. La « construction du sujet », très à la mode en France à propos des

appren-tissages, n'est peut-être pas prioritaire partout.

Les questions à se poser sont nombreuses. Il faut se demander où com-mence cet enseignement littéraire avec les jeunes enfants : peut-être dès que l'on fait faire la di érence entre ction et récit d'un fait réel, ou lors-qu'on apprend à reformuler, à préciser, ou encore à jouer avec les mots, à créer du langage... Et que doit-on faire avec la littérature, s'agissant d'en-fants de l'école primaire ? La donner à entendre, à apprendre, à dire (à « mâcher » selon les termes de Flaubert), à lire, à analyser, à commenter ?

Et quelle littérature présenter, selon quelle progression ?

N'étant pas spécialiste de littérature, je laisserai à d'autres la charge de propositions plus précises. L. Collès et M. Miled en font notamment de très intéressantes. Quelques précautions me semblent importantes cependant. La première est la nécessité de sortir du « tout formalisme » linguistique, qui a encore trop de place dans les préoccupations institu-tionnelles. Et ce n'est pas pour le remplacer par un « tout formalisme » textuel. L'approche du texte littéraire en F.L.S. devrait impérativement être débarrassée jusqu'au collège et même au-delà des actants, éléments déclencheurs et autres opposants, utiles sans doute quand on a une fami-liarité très grande avec les textes et leurs arrière-plans culturels, pour décrypter un récit à un niveau avancé, mais totalement inopérants pour faire comprendre de quoi le texte parle et surtout, pour le faire aimer.

Autre précaution : ne jamais présenter un texte de façon isolée. Le texte, littéraire ou non d'ailleurs, s'insère dans une relation au langage oral, à un thème illustré par des documents, donnant lieu à des activi-tés créatrices. Le texte littéraire est une musique que l'enseignant donne à entendre autant qu'à voir, dans les tout débuts de l'apprentissage. Et le dessin, la danse, le chant peuvent le précéder, l'accompagner, le prolonger.

Remettre le sens dans le texte c'est aussi y remettre le plaisir. Les enfants de classes que nous avons vus dans di érentes situations de fran-çais langue seconde avaient tous un point commun, malgré la variété géographique et linguistique : ils aimaient jouer et ils aimaient les

MICHÈLE VERDELHAN-BOURGADE

histoires, toutes les histoires, celles de leurs pays et celles d'ailleurs, même d'ailleurs fort lointains. La littérature donne à imaginer, à rêver, à connaître aussi, des ailleurs que la vie quotidienne ne permet pas d'abor-der. Informer et faire jouer l'imaginaire, ce sont deux orientations que leRéférentieldéjà cité donne à la lecture en F.L.S.1. Les mettre en œuvre dans les manuels passe par un déverrouillage des textes o ciels, encore peu visible à l'horizon.

Il serait donc tout à fait intéressant et pertinent de mener dès mainte-nant une ré exion didactique approfondie sur la littérature dans l'ensei-gnement du français langue seconde, sa place, son rôle, ses limites aussi. Les di cultés ne sont pas minces, car il faudrait toucher non seulement à des questions didactiques, mais aussi culturelles, identitaires, politiques.

Il ne s'agit pas de singer la didactique du français langue maternelle, ni de faire de l`applicationnisme aigu de théories encore peu assurées dans certains pays, encore moins de revenir au Mauger bleu. Mais l'intérêt récent pour les approches interculturelles, l'évolution de la francophonie, et les modestes avancées didactiques en F.L.S. peuvent plaider pour une pédagogie du français qui fasse une part plus belle au langage oral et écrit, dans ses dimensions esthétiques, ludiques et culturelles.

4 Bibliographie

Albert, M.-C., Souchon, M.,2000,Les textes littéraires en classe de langue, Paris : Hachette, coll. F.

A.U.F. (dir.).,2001,L'enseignement du français langue seconde, Un référentiel

général d'orientations et de contenus, Paris : EDICEF/AUF.

Collès, L., 1994a, Littérature comparée et reconnaissance interculturelle, Bruxelles, De Boeck-Duculot.

Collès, L.,1994b, « Pour une lecture pragmatique du texte littéraire en

classe de FLE », inEnjeux, no31, p.119-133.

Cuq, J.-P., Gruca, I.,2002,Cours de didactique du français langue étrangère

et seconde, Grenoble : PUG.

Demougin, F.,2004. « Littérature et FLE/F.L.S. : du linguistique à

l'an-thropologique. Le cas de la littérature de jeunesse » dansFrançais

et insertion, inLes Cahiers de l'ASDIFLEno15.

Gruca, I.,1993,Les textes littéraires dans l'enseignement du FLE — Étude de

didactique comparée. Thèse de doctorat, Grenoble : université Sten-dhal.

1. Référentiel, p.12.

LA LITTÉRATURE ET LES MANUELS D’ENSEIGNEMENT...

Gruca, I.,1994, « Place et fonctions du texte littéraire dans la

méthodolo-gie traditionnelle du FLE : histoire d'un couronnement »,Travaux

de didactique du FLEno32, Montpellier, université Paul-Valéry.

Miled, M., 1998. La didactique de la production écrite en français langue

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Verdelhan-Bourgade, M., 2002, Le français de scolarisation, Pour une didactique réaliste, Paris, PUF.

Verdelhan-Bourgade, M., 2005, « L'interculturalité en français langue seconde : une prise en compte malaisée », Colloque Quelle didactique de l'interculturel dans les nouveaux contextes d'enseignement-apprentissage du FLE/S ? Louvain.

Verdelhan-Bourgade, M., (éd.),2006,Le français langue seconde. État des lieux scienti que, universitaire et professionnel. Une perspective

compa-rée. Bruxelles : de Boeck.

4.1 Programmes

Horaires et programmes d'enseignement de l'école primaire, B.O.E.N., nohors

série,14/02/2002, Paris ministère de l'Éducation nationale.

Programmes o ciels de l'enseignement primaire. niveaux 1 à3 (1999-2001). Ministère de l'Éducation nationale. Cameroun.

Programmes de formation de l'école québécoise. Éducation préscolaire — ensei-gnement primaire. (2001). Gouvernement du Québec, ministère de l'Éducation. Version approuvée. Québec.

Français langue seconde, programmes de base et enrichi, in Québec Education

Program. p.129-179.

4.2 Manuels et méthodes

Dans le document Du littéraire (Page 184-188)