• Aucun résultat trouvé

Le paradigme artisanal : approche centrée sur la pratique

CHAPITRE 8 : INTERPRÉTATION DES DONNÉES

8.1 L’admission aux programmes et le contexte social

8.2.1 Le paradigme artisanal : approche centrée sur la pratique

Le premier paradigme discuté est le paradigme artisanal, dont Paquay (1994) s’est inspiré pour formuler l’approche centrée sur la pratique. Ce paradigme conçoit l’enseignant comme un artisan, où la formation est entendue comme un processus d’apprentissage, souvent guidé par l’essai-erreur, et l’étudiant apprend par la sagesse de l’expérience (Zeichner, 1983). De manière générale, nous avons remarqué que cette conception de la formation est moins dominante en FEEP dans les deux universités-cas. Cela peut être perçu notamment par la plus faible proportion d’objectifs pratiques et du petit nombre d’heures dédiées à la pratique sur les 5 années de formation, mais également par l’accompagnement par des enseignants-chercheurs dans les écoles de formation des enseignants.

Rappelons que la formation centrée sur la pratique à l’Université Jyväskylä englobe les cours où les étudiants doivent faire de l’enseignement aux pairs ou à des élèves, mais également les 4 stages pratiques. Nous observons une progression dans les objectifs des stages pratiques. Les objectifs du premier stage sont principalement centrés sur le développement de la personne enseignante, sur la réflexion et sur le développement en tant qu’acteur social. L’objectif de ce premier stage est d’abord et avant tout d’enclencher le processus de transition entre le rôle de l’élève vers le rôle de l’enseignant (Mäkelä et Huhtiniemi, 2011). Ce premier stage nous est apparu centré sur le développement de la personne, mais d’une manière pratique.

Le deuxième stage est plutôt centré sur les schémas d’action de l’enseignant, soit une approche plutôt centrée sur la technique, notamment sur la planification, la mise en œuvre et l’évaluation d’activités pédagogiques. Le troisième stage est le plus « multiapproche », avec un accent sur les

schémas techniciens de l’enseignant, mais tout en répondant à des objectifs qui sont liés à toutes les approches de formation, sauf à celle de l’approche centrée sur la psychologie positive. C’est d’ailleurs le stage auquel l’Université Jyväskylä accorde le plus de crédits. Selon Darling- Hammond (2001), une formation initiale de bonne qualité doit pouvoir combiner les savoirs enseignés en FI, qu’ils soient théoriques, de croissance personnelle ou autres, avec la pratique. C’est ce que ce troisième stage semble faire, en ayant une visée intégratrice des différents savoirs développés en FEEP et une adéquation avec la réalité de la pratique.

C’est toutefois le quatrième et dernier stage qui nous est semblé plus innovateur dans sa manière de concevoir la pratique et la FEEP. Ce dernier stage de seulement 3 ECTS vise à faire en sorte que les étudiants puissent réfléchir à leur pratique, au rôle d’enseignant et d’acteur communautaire dans une perspective sociétale plus large, et surtout à leur développement personnel et professionnel (Mäkelä et Huhtiniemi, 2011). Morales (2012) a soulevé que dans les programmes de formation à l’enseignement primaire au Québec, le dernier stage est souvent le plus long et celui qui est intégrateur de toute la formation, bien qu’il existe certaines différences selon les universités. Il est permis de croire que la situation est semblable pour les programmes en enseignement de l’ÉPS dans ces mêmes universités québécoises. En Finlande, l’idée derrière ce dernier stage est qu’il s’agit du dernier moment privilégié de la formation initiale pour réfléchir à la profession, à cheminer personnellement dans ses responsabilités et son savoir-être enseignant et de percevoir son rôle en tant qu’acteur social. Les schémas routiniers d’action - notamment la gestion de classe, la planification, la mise en œuvre, l’adaptation de tâches ou l’évaluation d’activités pédagogiques – ont soit été développés au cours de la FI, ou seront développés au cours de la carrière, mais ne sont plus la visée intégratrice comme cela semble être le cas du 3e stage. Il est intéressant d’observer que les objectifs de formation du dernier stage sont centrés sur des paradigmes critiques ou personnalistes (Zeichner, 1983) et non sur des objectifs ancrés dans des paradigmes comportementaux ou artisanaux. À ce propos, il est fort intéressant d’observer que l’ensemble de la pratique, normalement associée au paradigme artisanal, fait toujours référence aux approches des paradigmes comportementaux, critiques et/ou personnalistes. L’approche centrée sur la pratique serait donc une approche parapluie, puisqu’à elle seule, elle ne remplit aucune fonction pédagogique outre développer la sagesse de l’expérience. Pour prendre du sens, l’approche centrée

sur la pratique doit développer d’autres fonctions de la profession, notamment des conceptions comportementales, critiques et personnalistes.

Notre séjour en Finlande nous a permis de nous demander si le peu de pratique ne serait pas dû à une difficulté d’ajouter des périodes de stage puisque chaque université a seulement une ou deux écoles de formation des enseignants. La logistique pour s’assurer que tous les étudiants réalisent au minimum un stage dans une telle école de formation est complexe. L’idée derrière l’approche de formation pratique serait peut-être de miser d’abord sur la qualité de la pratique plutôt que sur la quantité d’heures en présence-élève. Les facultés d’éducation connaissent l’environnement dans lequel les étudiants font leur stage et les enseignants associés dans ces écoles sont formés pour accueillir au meilleur de leurs compétences des stagiaires. Selon Paquay (1994), le point critique d’une formation d’enseignants réflexifs à travers la pratique repose sur l’accompagnement par des maitres de stage émérites qui sont eux-mêmes habitués à réfléchir à leurs pratiques. Pour illustrer cette qualité de la formation pratique, la Linnanmaa normaalikoulu norssi associée à l’Université

Oulu a été reconnue au patrimoine de l’UNESCO pour sa contribution majeure à former les enseignants de qualité en Finlande. Cette reconnaissance est en quelque sorte un symbole de la qualité du modèle de formation pratique en Finlande. Il y a peut-être dans ce désir de qualité au- delà de la quantité de stages le reflet d’une société qui cherche à faire les choses autrement, à se distinguer par l’éducation, où l’innovation dans l’enseignement prime sur le désir de former rapidement des enseignants, et possiblement à plus faible coût. Une étude ultérieure pourrait d’ailleurs s’intéresser à l’impact de la présence d’écoles associées de formation des enseignants sur la qualité du caractère pratique de la FI.

Malgré les quatre stages obligatoires à l’Université Jyväskylä, la pratique semble être une approche de formation moins privilégiée en Finlande que dans d’autres contextes, notamment au Québec. À titre d’exemple, seuls 45 objectifs de formation ont été codés selon l’approche pratique dans les deux universités-cas. Mäkelä et Huhtiniemi (2011) ne sont pas de la même opinion et considèrent que la dimension pratique de la formation à l’Université Jyväskylä est un élément fort important de la FEEP, surtout au cours des deux années de maitrise. La raison de cette différente opinion repose possiblement sur le référentiel de comparaison entre les auteurs et notre posture de chercheur québécois. Dans le référentiel finlandais, les autres programmes de FI à l’enseignement

ont plus de peine à trouver des milieux de stage et à offrir une formation pratique à leurs étudiants dans les écoles de formation des enseignants. Donc le programme de FEEP de l’Université Jyväskylä aurait des activités de formation plus pratiques que les autres programmes de FI finlandais. Dans le référentiel québécois, cependant, la pratique constitue une partie importante de la FEEP. En effet, le ministère de l’Éducation requiert que les programmes de FEEP prévoient un minimum de 700 heures de pratique en présence d’élèves pour certifier un enseignant (MEQ, 2001). Dans la réalité, les universités québécoises exigent jusqu’à 1200 heures de stages et de cours d’intégration dans la formation initiale (Morales, 2016). Darling-Hammond (2006b) suggère plutôt que, pour être efficace, la pratique supervisée doit être d’au moins 30 semaines au total dans un programme de formation initiale. Malgré les quatre stages et les cours où les étudiants doivent enseigner auprès d’élèves, la formation pratique dans les FI en Finlande ne totalise pas 30 semaines de stage. En réalité, c’est environ le tiers de cette recommandation que les programmes de FI exigent aux étudiants en Finlande pour obtenir leur diplôme.

8.2.2 Le paradigme comportemental : approches centrées sur la théorie et la