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C-2 Le panthéisme issu de divers mythes

Le panthéon lovecraftien repose sur une approche matérialiste et rationnelle même s’il est pourvu de dieux informes tels que Nyarlathotep ou Azathoth. Les dieux primordiaux de ce panthéon sont Cthulhu et Nyarlathotep. Cthulhu est un dieu de la mer tandis que Nyarlathotep mène une vie souterraine. La nouvelle « The Shadow Over Innsmouth » reprend bien l’idée que ces créatures, parfois mentionnées comme la Grande Race ou les Grands Anciens, laissent derrière eux des vestiges de leur vies passées dans des cités.

Selon Elsa Grasso cette cosmogonie est gérée par un panthéon largement inspiré de la mythologie grecque, dont Lovecraft a fait la connaissance lors de son enfance à travers le mythe de Pan (Grasso, 195). La monstruosité réside dans ce panthéon même. Les divinités qui s’y trouvent sont également des extra-terrestres et des monstres. Ces créatures proposées par Lovecraft engendrent une pratique de cultes qui contribue à l’aspect religieux de cette cosmogonie.

Contrairement au panthéon gréco-romain, celui de Lovecraft ne se base pas sur la croyance. Il s’agit avant tout d’un univers qui repose sur une métaphysique bien matérialiste. Toutefois, malgré ce matérialisme qui s’éloigne des croyances irrationnelles et qui prône la science, l’ésotérisme chez Lovecraft est bien présente dans ses œuvres. Il bâtit

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un univers en l’accompagnant d’une mythologie nouvelle qui provient de son imagination tout en conservant un point de vue rationnel, propre à son environnement scientifique.

Ces divinités sont les membres d’une hiérarchie bien précise où Azathoth, dans « The Call of Cthulhu », est en quelque sorte ce que Zeus est par rapport aux autres dieux dans la mythologie classique gréco-romaine. Il en est le maître. Il existe depuis l’origine du temps selon Lovecraft et il n’est autre qu’un chaos nucléaire et terrifiant. A lui seul il représente l’origine de toute existence. Il a dirigé une rebéllion tenue par les « Elder Ones ». Puni, il se retrouve banni sur terre. Siégeant au sommet du destin de l’homme, il en est le maître. Peut-être Lovecraft a-t-il cherché justement à faire d’Azathoth l’incarnation du « matérialisme mécaniste » (Levy, 120) auquel il n’adhère pas. Le nom même de cet être est représentatif du message qu’il semble véhiculer. Il s’agit d’un nom composé de plusieurs références, tout comme le serait une œuvre entière de Lovecraft où les clins d’oeils sont mutliples. En effet, le nom, composé de « ‘Thoth’ le Dieu égyptien des morts, ‘Azazel’, référence à la démonologie chrétienne et peut-être aussi ‘Azoth’, référence au gaz élémentaire), est un bon exemple de l’identité fluctuante des dieux » (Menegaldo, 272).

La référence au mythe de l’Atlantide est signifiante dans le panthéon lovecraftien. En effet, lorsque le professeur Dyer découvre la cité des Anciens, il établit un lien avec la fameuse cité d’Atlantide.

Here sprawled a palaeogean megalopolis compared with which the fabled Atlantis and Lemuria, Commoriom and Uzuldaroum, and Olathoë in the land of Lomar are recent things of today – not even of yesterday ; a megalopolis ranking with such whispered pre-human blasphemies as Valusia, R’lyeh, Ib in the land of Mnar, and the Nameless City of Arabia Deserta (MM, 47).

Afin de mieux comprendre le lien entre les cités lovecraftiennes et celle d’Atlantide, il convient de résumer le mythe dont il est issu. La première évocation à ce mythe remonte à Platon qui écrit Timée et qui mentionne la disparition d’Athéniens sous la mer, entourés d’une fange trop dense pour pouvoir sortir. Bien qu’il n’existe aucun vestige d’une telle île, son existence a toujours été une source de débats. La cité est supposée avoir été un lieu puissant riche et très civilisé, ce qui rappelle les cités des êtres interstellaires imaginés par Lovecraft. La civilisation de l’Atlantide a été frappée par un cataclysme qui l’a menée à sa disparition. Cette haute civilisation connaît le même sort que les divinités lovecraftiennes dont les cités se retrouvent englouties par la terre ou la mer. Ils sont venus sur terre en tant

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qu’exilés et leur maître suprême est une divinité de la mer : Cthulhu dont l’aspect est marin à cause de sa tête de pieuvre. Il est accompagné d’un serviteur répondant au nom de Dagon, qui se trouve être un monstre pourvu d’écailles et à qui tout un ordre ésotérique est dédié dans « The Shadow Over Innsmouth ». Lovecraft introduit également des cataclysmes dans son œuvre tels que les naufrages. Pour Foucrier, il existe un « mythème » qui lie le mythe platonicien et le mythe lovecraftien. Il s’agit en fait du « drame primitif selon lequel la mer aurait jadis englouti des surhommes » (Foucrier, 63). Dans les deux cas, des civilisations dépassant celles des hommes finissent par sombrer. Lovecraft a gardé du mythe platonicien ce qu’il en interpréta. Ce qui revient à dire que Lovecraft retient de l’Atlantide sa splendeur et sa chute qui n’en est que plus grande. De plus, le titre même de la nouvelle « The Call of Cthulhu », renvoie à l’idée d’un appel incitant à rejoindre le cercle du culte. Tout comme l’appel de Cthulhu attire, « l’Atlantide attire le naufragé, ou plutôt, tel un monstre marin, elle l’avale » (Foucrier, 65). Une fois confrontés, d’autres similitudes peuvent surgir entre les deux mythes. « On note le même artifice narratif (des mémoires d’outre-tombe), les mêmes circonstances dramatiques (un naufrage) » (Foucrier, 66).

Au final, ce que nous pouvons déduire du panthéisme lovecraftien réside dans le caractère toujours aussi mystérieux qu’il revêt. C’est derrière tout un système de sous- entendus et un procédé d’adjectivation implicite que Lovecraft désigne ses personnages les plus déroutants. Il ne nomme pas mais décrit. Ce système est assez proche de la notion de sacré qui a tendance à être dissimulée. A la fois exilés monstrueux et divinités vénérées, les Anciens et leur culte est toute aussi réelle qu’une quelconque religion. C’est en tout cas ce qu’affirme Price lorsqu’il dit :

Despite the fact that the cult of the Old Ones is as false as any other religion, the Old Ones being simply superior extraterrestrials, Lovecraft devoted considerable imaginative energy to constructing a convincing body of mythical lore concerning them. This was made necessary by Lovecraft’s wise choice of allusion and implication. Rather than introducing his horrors directly, he allowed the reader to piece together scattered intimations and to discern the terrible scientific truth through the distorting medium of legend (Price, 251).

Peut-être Lovecraft a-t-il tout simplement cherché à refléter sa vision sur la religion qui selon lui, s’intérpète de manière subjective, et peut donner lieu à des modes de pensée divergents. La littérature lovecraftienne n’aurait en effet pas eu le même impact si l’auteur s’était contenté d’établir la vérité de manière trop rationnelle. L’implication de l’ésotérisme et d’éléments mythologiques permet un mélange fluctuant entre raison et folie.

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