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Le rêve se révèle d’une importance majeure en terme d’inspiration pour l’auteur de Providence qui passait plus de temps éveillé la nuit que lors de la journée (Truchaud, 20). En effet, Lovecraft projetait les rêves et surtout les cauchemars dont il se souvenait dans ses œuvres. L’écriture était donc un moyen pour lui de poursuivre ses rêves. Ainsi, le rêve, la réalité et la création se retrouvent mêlés dans un ordre propre à l’univers lovecraftien. Pour beaucoup le génie de Lovecraft demeure dans sa « restitution la plus rigoureuse qui fût jamais tentée des images du rêve » (Béalu, 178).

De plus, les décors plantés par Lovecraft sont révélateurs de la matière onirique des lieux. En effet, l’architecture des cités décrites n’est que le reflet d’un désordre, synonyme d’absence de vie ou de construction. Les cités des Grands Anciens ou encore les bas-reliefs prisonniers de la glace dans « At the Mountains of Madness », peuvent incarner des rêves qui sont eux-mêmes la raison pour laquelle un lecteur peut s’identifier à de tels récits. « Distant mountains floated in the sky as enchanted cities, and often the whole white world would dissolve into a gold, silver, and scarlet land of Dunsanian dreams and adventurous expectancy under the magic of the low midnight sun » (MM, 11). Il y retrouve sans doute une part de ses rêves et de ses cauchemars et Lovecraft réussit à intégrer dans son écriture l’indicible du rêve.

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D’autre part, l’activité onirique devient déterminante dans les créations elles-mêmes puisqu’elles servent d’indices au neveu du professeur Angell dans « The Call of Cthulhu ». Le rêve devient donc le moyen de transport idéal pour Lovecraft dans son exploration d’un univers issu de sa propre imagination. C’est d’ailleurs en rêvant que le narrateur dans « The Shadow Over Innsmouth » parvient à faire connaissance avec le monde auquel il appartient. « I feel queerly drawn toward the unknown sea-deeps instead of fearing them. I hear and do strange things in sleep, and awake with a kind of exaltation intead of terror » (SOI, 367). Les profondeurs marines du royaume des shoggoths qui apparaissent dans l’activité onirique du narrateur vont lui permettre d’apprécier ce monde au lieu de ressentir la crainte habituelle du personnage envers l’univers monstrueux. Cet endroit fait après tout partie de son identité et le rêve fonctionne peut-être comme une métaphore qui désigne une issue de secours. L’homme peut ainsi fuir la réalité d’une société industrialisée et en désaccord avec l’idéal envisagé par Lovecraft. Le narrateur met du temps à apprécier ce nouveau monde fantastique dont il avait ressenti une frayeur innommable au départ.

Tout est agencé dans ses récits pour créer un effet de fantastique. L’horreur provoque une démence incitant à sombrer dans des rêves complexes et étranges. Cette démence entraîne souvent les victimes vers une décision de transcrire leur expérience pour ainsi adopter un comportement thérapeutique et transmettre à l’homme les dangers de l’horreur perçue de façon prémonitoire dans des rêves. C’est ce à quoi le professeur Angell s’est dédié avant de mourir et de laisser les récits oniriques des sculpteurs, victimes de rêves étranges en lien avec Cthulhu dans « The Call of Chtulhu ». Son neveu hérite ainsi des documents. « The manuscript was divided into two sections, the first of which was headed “1925—Dream and Dream Work of H. A. Wilcox, 7 Thomas St., Providence, R.I.’ » (CC, 127-128). L’exploration à travers le rêve de l’activité onirique est similaire aux recherches scientifiques des personnages et dans les deux cas la finalité s’oriente vers la connaissance. Mais le rêve n’est pas une activité réalisée délibéremment et ses paramètres d’exploration ne peuvent être déterminés par l’homme. Mais chez Lovecraft, le rêve est toujours lié aux recherches effectuées par les personnages. C’est le cas pour l’inspecteur Legrasse qui mène son enquête en se basant sur les récits oniriques des artistes ayant rêvé de Cthulhu. Toutefois, il faut nuancer ce lien puisqu’il n’est pas toujours aussi soudé qu’il n’y paraît. D’après Murat, les recherches généalogiques entreprises par Charles Ward dans « The Case of Charles Dexter Ward » ont tout d’un « anti rêve » (Murat, 131). Les recherches rationnelles entreprises par les personnages de Lovecraft démontrent le caractère grotesque et difforme de la realité. Face à cela vient s’ajouter la sublimation provoquée par l’activité

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onirique du monde extraterrestre. Le narrateur de « The Shadow Over Innsmouth » se retrouve ainsi irrémédiablement attiré et fasciné par le monde qui apparaît dans ses songes.

One night I had a frightful dream in which I met my grandmother under the sea. She lived in a phosphorescent palace of many terraces, with gardens of strange leprous corals and grotesque brachiate efflorescences, and welcomed me with a warmth that may have been sardonic. She had changed—as those who take to the water change—and told me she had never died. Instead, she had gone to a spot her dead son had learned about, and had leaped to a realm whose wonders—destined for him as well—he had spurned with a smoking pistol. This was to be my realm, too—I could not escape it. I would never die, but would live with those who had lived since before man ever walked the earth (SOI, 366).

Il souhaite visiblement faire partie de ce monde qu’il juge être le sien lorsqu’il emploie « my realm ». Ce monde lui promet l’immortalité, conception chère à l’homme et révèlant peut-être les tentations du pouvoir pour les hommes à la tête du pouvoir politique à l’époque de Lovecraft.

Les rêves de Nathaniel Wingate Peaslee dans « The Shadow Out of Time » correspondent d’ailleurs à l’expérience vécue par l’entité parasite quil l’a habité. Le rêve permet donc parfois chez Lovecraft d’atteindre la connaissance à travers le point de vue d’une entité plus intelligente. « In the course of some months, however, the element of terror did figure with accumulating force. This was when the dreams began so unfailingly to have the aspect of memories » (SOT, 383). L’idée que ses rêves puissent avoir été réellement vécues instaure le doute et la crainte fantastique recherchée et l’instauration du merveilleux.