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A-2 L'insignifiance de l'homme et la transgression du secret

Toutes ces quêtes et ces recherches pour atteindre la connaissance débouchent sur un résultat nuisible à l’homme. Il découvre qu’il ne représente presque rien dans l’univers et la révélation de cette vérité permet de mieux cerner la portée de l’œuvre lovecraftienne. Lovecraft insiste sur l’insignifiance de l’homme par rapport à l’univers. Pour lui, l’anthropocentrisme doit être écarté pour laisser place à l’idée que l’homme, synonyme de poussière dans l’univers, n’a pas à chercher à promouvoir son individualité tel que les mythes américains peuvent préconiser.

La marginalisation de cette individualité est également validée par Foucrier qui pense que chez Lovecraft « l’individu n’est pas tourmenté par la faute et le rachat, comme c’est le cas chez Hawthorne ou Melville. Il est tout simplement écrasé par la certitude d’être le jouet des puissances maléfiques qui régissent le monde » (Foucrier, 67). Lovecraft semble ainsi se détacher clairement de ses contemporains dans sa vision métaphysique.

Parmi les adorateurs de Cthulhu dans « The Call of Cthulhu », se dresse le personnage nommé Old Castro. Ce dernier mentionne les entités extraterrestres de façon à les mettre en avant pour réduire la place de l’homme dans l’univers.

Old Castro remembered bits of hideous legend that paled the speculations of theosophists and made man and the world seem recent and transient indeed. There had been aeons when other Things ruled on the earth, and They had had great cities. Remains of Them, he said the deathless Chinamen had told him, were still be found as Cyclopean stones on islands in the Pacific. They all died vast epochs of time before men came, but there were arts which could revive Them when the stars had come round again to the right positions in the cycle of

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eternity. They had, indeed, come themselves from the stars, and brought Their images with Them (CC, 140).

Les pronoms employés pour désigner les entités extraterrestres comportent tous des majuscules. Ce procédé met davantage l’accent sur des êtres qui ne sont pas humains. L’homme est relégué à une position beaucoup moins cruciale. Cette vision correspond au cosmicisme de Lovecraft qui rejette l’idée que l’homme puisse détenir un quelconque but élevé. Aucun changement ne peut être envisagé de la part des personnages lovecraftiens, du moins, ils ne peuvent l’effectuer eux-mêmes. L’homme dans ces récits n’a pas pas accès aux luttes et pouvoir cosmiques, son existence équivaut à une insignifiance. Ce statut de l’homme révèle une vision chez Lovecraft. La science a beau mener l’homme vers l’ouverture d’espaces inconnus encore plus infinis et mystérieux, cet inconnu ne le mène pas vers la découverte espérée.

The element of horror in his stories, then was the disclosure to humans of their own insignificance in a cosmos that it not anthropocentric. What had been so disorienting about the discoveries of Copernicus and Darwin was not their conflict with the literal sense of Holy Scripture but rather their inevitable implication that humanity does not hold center stage in the universe and is not really different from the animals. The recognition of our position as flotsam and jetsam in the blind cosmic whirlpool is too much for our feeble, egocentric minds to bear, so we will take refuge in any know-nothing creed or head-in-the-sand superstition to avoid it (Price, 247).

Cette ouverture vers l’espace signifie pour lui que l’humanité est complètement désemparée face à l’immensité de l’univers. La tendance de Lovecraft à marginaliser l’homme révèle aussi une remise en question de l’humanité. Les découvertes scientifiques de son époque peuvent mener à songer au statut de l’homme et à ce qu’il en subsiste. Cet aspect de l’œuvre lovecraftienne pourrait laisser supposer que l’auteur utilise un point de vue très pessimiste. Pourtant la menace qui pèse sur l’homme ne provient pas tellement des entités extraterrestres. Ces dernières ne s’affichent pas comme des vivants malfaisants en quête d’une destruction de l’humanité. Au contraire, l’homme est totalement ignoré parmi les enjeux du cosmos lovecraftien. L’univers ne peut être compris par un être humain dont les capacités sont limitées.

C’est pour cette raison qu’ils interprètent souvent les forces cosmiques et extraterrestres comme des évènements magiques et ésotériques. La curiosité humaine tente malgré tout de transgresser l’interdiction de la connaissance malgré les avertissements récurrents à travers les récits. La connaissance n’est nuisible qu’à l’homme et ne change en

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rien l’état des choses comme le souligne le narrateur dans « The Call of Cthulhu ». « But I do not think my life will be long. As my uncle went, as poor Johansen went, so I shall go. I know too much, and the cult still lives » (CC, 154). La solution réside dans l’acte de mourir.

La connaissance, bien qu’interdite ou secrète laisse ses traces à travers des ouvrages pour la plupart inaccessibles et d’autres indices placés dans les objets ou le décor. Le travail d’enquêteur du personnage ne consiste pas seulement à rassembler de tels éléments, mais également à acquérir une connaissace différente. Ainsi, Menegaldo déclare que ce personnage « doit également assimiler, par l’expérience rituelle ou la lecture de textes appropriés, un type de savoir qui contribue, le plus souvent, à miner ses certitudes et remettre en cause son identité même, en favorisant son accès à d’autres plans de conscience (ou en mettant sa vie en péril) » (Menegaldo 261). Le parcours du persoonnage lovecraftien revient à transgresser un interdit quitte à y laisser sa vie ou sa conscience.