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1.6.1 Choix du réacteur étudié

Certaines des centrales nucléaires françaises sont capables d’ajuster leur production pour s’adapter à la variabilité non seulement des autres sources de production, mais également de la demande, dans le but de stabiliser le réseau électrique. Cependant, dans un contexte de transition énergétique et écologique, où l’objectif affiché des gouvernements européens est de réduire les émissions de gaz à effets de serre, l’augmentation des énergies renouvelables intermittentes dans le mix énergétique français pose la question de l’extension des capacités

de suivi de charge du parc nucléaire. Ces énergies étant appelées avant le nucléaire dans le principe du merit order, leur part croissante a inexorablement pour effet, à partir d’un certain niveau, de modifier la forme du profil de puissance demandé au parc nucléaire et de réduire son facteur de charge annuel. Bien évidemment, le nucléaire ne pourrait pas à lui seul compenser la variabilité des sources intermittentes, et des moyens de back-up comme du stockage, peuvent aider à passer les pics de charges. Certaines de ces questions peuvent être résolues en considérant la diversité des centrales, et leur nombre important sur tout le territoire [16], mais cette étude se concentre sur un seul type de centrale (caractérisée par sa puissance électrique, son type de combustible et son mode de pilotage), et se place donc à l’échelle d’une centrale, de sorte que les effets de parc ne sont pas pris en considération.

Il existe deux modes de pilotage en service dans les réacteurs du parc nucléaire français, dont un est un mode historique qui ne permet que très peu d’ajustement de puissance (le mode A). L’étude s’appuie donc sur le second mode de pilotage (le mode G) qui présente des améliorations du mode A permettant de répondre aux problématiques du suivi de charge. D’après le tableau 1.3, seules les familles CP 1, CP 2 et P 4 implémentent ce mode de pilotage, les deux premières étant constituées de REP900, et la troisième de REP1300. Ces deux types de réacteurs n’ayant pas les mêmes caractéristiques6, l’étude des deux n’est pas envisageable durant le temps imparti à la thèse. Nous nous concentrons donc uniquement sur les REP1300 : d’une part ils bénéficient d’une technologie plus avancée que les REP900, et d’autre part si on replace le problème dans le contexte de compensation de puissance sur le réseau, leur plus grande capacité de production est un avantage certain. Cette étude s’appuie donc sur un réacteur de type REP1300, présenté en Section 1.4.2.

1.6.2 Choix du scénario de suivi de charge

Si certaines des limites liées au pilotage de la centrale en suivi de charge concernent des critères technico-économiques (facteur d’utilisation du combustible par exemple), la plupart sont en lien avec des critères de sûreté. On pense par exemple au phénomène d’interaction entre la pastille et la gaine (Annexe B) qui limite la vitesse de retour en puissance dans certaines conditions, ou encore l’apparition de produits de fission comme le xénon ou le sama- rium qui peuvent provoquer des oscillations instables de la puissance thermique, dont le temps caractéristique d’oscillation est de quelques heures. Cette dernière problématique impose prin- cipalement des contraintes sur la durée des paliers bas. Tous ces éléments sont rappelés dans [48], et sont intégrés lors de l’établissement des spécifications techniques d’exploitations (STE) et des transitoires de suivi de charge admissibles.

Le transitoire de suivi de charge choisi pour cette étude est basé sur les répartitions statistiques des pentes et des paliers (tableaux 1.1 et 1.2), ainsi que sur les pas de temps caractéristiques de chaque signal. Ce transitoire caractéristique et représentatif de la situation actuelle est de type 6/18, et correspond à une compensation de la variation de la consommation entre le jour et la nuit, avec un palier bas de puissance à 30%P N durant 6 heures et un palier à puissance nominale pendant 18 heures. La figure 1.17 illustre l’évolution de la puissance en fonction du temps durant ce transitoire.

Seuls le suivi de charge et le téléréglage sont représentés sur cette figure, puisque l’ampli- tude et la fréquence du réglage primaire de fréquence sont telles qu’aucune action particulière de pilotage n’est rendue nécessaire (l’amplitude est suffisamment faible, et la fréquence éle-

6. à la fois techniques (nombre d’assemblages, nombres de barres de contrôles, dimensions, critères de sûreté) et technologiques (systèmes de protection, systèmes de régulation, etc.)

CHAPITRE 1. CONTEXTE ET SPÉCIFICATION DU CAS D’ÉTUDE

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Position de la thèse

Stratégie (environnement physique)

Transitoire actuel de type suivi de charge (vitesse de 5%PN/min pour chaque rampe)

Intégration du télé-réglage (et réglage primaire ?)

Scénario sur l'introduction des EnR : définir la demande future concernant l'adaptabilité des centrales Simulation de l'introduction des EnR (augmentation de la vitesse de variation de puissance,

descente ou remontée en cours de palier, augmentation de la part de téléréglage) Pr 95% temps 30% 6 heures 18 heures

1 heure Suivi de charge seul

Suivi de charge + Téléréglage Bandes ± 5%

Figure 1.17 – Évolution typique de la puissance au cours du temps

vée), et il ne rentre donc pas dans le cadre de cette étude. Les valeurs choisies pour la vitesse et pour l’amplitude de variation de puissance sont constantes tout au long de l’étude, à savoir une vitesse de 5%PN/min et une amplitude de 70%PN (palier bas à 30%PN). Ces valeurs, bien que théoriquement atteignables et indiquées dans le cahier des charges des centrales, ne le sont en pratique que très rarement, et correspondent à priori au scénario actuel le plus sollicitant en termes de manœuvrabilité des centrales (vitesse et amplitude maximales).

1.6.3 Objectifs de la thèse

La question qui se pose est celle de la sûreté de la tranche durant ces transitoires de suivi de charge. En effet, la solution la plus rapide pour faire varier la puissance thermique du réacteur est l’utilisation des grappes de contrôle. Le principal problème réside dans les hété- rogénéités axiales que cela peut induire : perturbations des distributions de flux neutronique, de puissance, et également de température. Il peut alors apparaître des points chauds à cer- tains endroits du cœur et si la température (ou la puissance linéique) en ces points dépasse un certain seuil de sûreté, il n’est plus possible d’assurer la sûreté du réacteur (vis-à-vis de la première barrière de confinement que représente le maintien de l’intégrité de la gaine no- tamment). Le but de ce travail est donc d’améliorer le comportement des centrales au cours d’un transitoire de suivi de charge. Les centrales choisies pour cette étude sont des centrales de type REP1300 et certains paramètres concernant les barres de commande sont ajustés (programmes de vitesse, valeurs de recouvrement entre groupes, ou bande de manœuvre). De cette manière, on montre la capacité de ces centrales à répondre à une demande croissante de flexibilité, en ne proposant que de légères modifications du mode de pilotage. Les performances des modes de pilotage modifiés sont évaluées au regard de deux critères : un premier basé sur le diagramme de pilotage (réduire ce critère permet de réduire les hétérogénéités axiales dues à l’insertion des barres de commande et donc à priori de réduire les points chauds), et un second critère basé sur l’utilisation du bore soluble représenté par le volume d’effluents produits (le retraitement de ces effluents radioactifs coûte cher et leur production est limitante dans la mesure ou lorsque le réservoir est rempli, un arrêt de la tranche est nécessaire).

Nous identifions deux types de limites en ce qui concerne la manœuvrabilité des centrales actuelles :

— La première est en lien avec les caractéristiques des transitoires de suivi de charge. En effet, les études des différents scénarios prospectifs montrent que les limites actuelles concernant les vitesses et les amplitudes de variation de puissance auraient besoin d’être dépassées à partir d’une certaine contribution des énergies intermittentes à la production totale, mais que cela ne suffirait certainement pas puisque la fréquence des demandes de baisse de charge augmenterait également. En plus des variations de charge programmées jour/nuit actuelles, une autre baisse de charge importante viendrait s’in- tercaler pour compenser le pic du soleil. En deçà d’une certaine limite de puissance installée d’éolien et de solaire, il est néanmoins possible d’envisager de séparer le parc nucléaire en deux de telle sorte que ces variations de charges bihebdomadaires soient réparties et que chacune des parties du parc n’en fasse qu’une seule. Cela ne résout cependant pas le problème des arrêts répétés, ou des fonctionnements prolongés à puis- sance réduite. Il apparaît donc qu’au-delà d’une part critique d’énergies intermittentes, les réacteurs nucléaires doivent prouver leur capacité à subir des transitoires de suivi de charge d’un nouveau type, bien que la forme et les caractéristiques de ces nou- veaux types de transitoires soient encore inconnues. Franchir cette première catégorie de limites permettrait d’augmenter la capacité d’ajustement des centrales, et donc de répondre à un nombre plus grand de demandes du réseau.

— La seconde concerne la disponibilité des centrales au cours de leur cycle d’exploitation, mais pour un transitoire de puissance fixé. Le transitoire de puissance tel qu’illustré sur la figure 1.17 correspond en effet à un transitoire réalisable en début de cycle, lorsque le taux de combustion est faible. L’évolution du cœur impose, pour des raisons de sûreté, que la valeur de l’amplitude de la variation de puissance diminue progressivement et linéairement à partir de 65% de l’avancement dans le cycle et ce jusqu’à 90%, comme le montre la Fig. 1.18. À partir de ce moment-là, le suivi de charge n’est plus autorisé (la valeur de 92%PN sur la figure représente un fonctionnement nominal intégrant la possibilité de téléréglage et de réglage primaire de fréquence).

Dépasser cette limite apporterait également un gain en termes de manœuvrabilité du parc puisque le nombre de centrales disposées à ajuster leur puissance à un instant donné serait augmenté.

À partir de ces deux limitations, trois degrés possibles d’optimisation de la manœuvra- bilité des centrales avec les critères considérés se dégagent. Le premier concerne simplement une optimisation du pilotage des réacteurs soumis au transitoire défini plus haut, et en début de cycle. La réduction du critère en lien avec le diagramme de pilotage devrait permettre de gagner des marges vis-à-vis des limites de sûreté imposées dans le diagramme, mais cela ne constitue pas réellement une amélioration si on se replace dans le contexte de l’intro- duction des énergies renouvelables, puisque n’apportant pas directement de manœuvrabilité supplémentaire. En revanche, réduire le volume d’effluents permettrait de réduire le coût du retraitement pour un nombre de suivis de charge donné, ou d’augmenter le nombre de suivis de charge pour un même coût de retraitement. De plus, cela autoriserait une augmentation de la fréquence de suivi de charge durant la période de disponibilité des centrales (en s’as- surant que les autres contraintes soient respectées) en raison d’un remplissage moins rapide du réservoir de stockage. Le deuxième degré concerne l’amélioration du comportement de la centrale sur un transitoire modifié pour prendre en compte les besoins de stabilité du réseau. Les transformations nécessaires n’étant pas encore identifiées clairement, nous n’abordons pas cette problématique, mais il semblerait que les gains obtenus vis-à-vis des limites de sûreté dans le diagramme de pilotage permettent un passage plus facile vers ces nouveaux

CHAPITRE 1. CONTEXTE ET SPÉCIFICATION DU CAS D’ÉTUDE Gain possible Stretch Capacité de suivi de charge actuelle Avancement dans le cycle (%) Amplitude maximale de variation de puissance (%PN) 0 65 90 100 30 100 92

Figure 1.18 – Capacité de suivi de charge des centrales les plus manœuvrantes actuelles, et gain envisageable. La courbe en rouge représente l’évolution au cours de l’avancement dans le cycle de la valeur minimale admissible de palier bas.

transitoires, tandis que la réduction du volume d’effluent ne présente à priori pas d’intérêt supplémentaire dans ce cas. Finalement, le troisième volet de l’optimisation concerne l’aug- mentation de la disponibilité des centrales durant leur cycle d’exploitation, et l’amélioration des deux critères joue un rôle important dans ce cas. Si augmenter les marges de sûreté dans le diagramme de pilotage doit permettre de pouvoir considérer des situations plus pénali- santes tout en respectant les contraintes, c’est réellement la réduction du volume d’effluents qui permet de repousser les limites actuelles imposées par le vieillissement du combustible. En effet, lors de l’avancement dans le cycle, la concentration en bore soluble diminue (c’est également un poison consommable) et donc la vitesse de réduction de sa concentration lors d’une dilution également. Or c’est cette vitesse de dilution qui limite la capacité de suivi de charge des centrales : moins un mode de pilotage a besoin de bore soluble, plus le temps de disponibilité de la centrale pour le suivi de charge s’allonge.

Les objectifs de la thèse se résument donc ainsi :

Objectif 1 : développer un modèle de la centrale pour pouvoir évaluer les deux critères

définis ci-dessus. Ce modèle doit prendre en compte les aspects 3D et multi physique du cœur, intégrer les couplages entre le circuit primaire et le circuit secondaire de telle sorte que la centrale puisse être pilotée avec la turbine comme c’est le cas en pratique, et modéliser également un opérateur fictif dont le but est de réguler la température du fluide primaire et l’axial offset en utilisant les barres de contrôle et le bore soluble. Ce modèle prend comme variables d’entrée les paramètres de barres, qui sont les variables ajustables du problème. Ceci constitue l’objectif de la première partie.

Objectif 2 : réaliser une optimisation de la manœuvrabilité de la centrale suivant le pre-

mier et le troisième degré d’optimisation. Ces optimisations s’appuient sur des tran- sitoires de suivi de charge identiques, et présentés en Fig. 1.17. Une optimisation du

pilotage de la centrale est tout d’abord réalisée en début de cycle, pour observer les gains possibles suivant les deux critères, et une seconde optimisation est ensuite réa- lisée en considérant différents niveaux d’épuisement, pour montrer que les limites de la Fig. 1.18 peuvent effectivement être repoussées, et que les gains présentés sur cette figure sont envisageables. C’est l’objectif de la seconde partie.

Objectif 3 : proposer une méthodologie de résolution de ce problème d’optimisation qui

peut servir à d’éventuelles études futures. Notons en effet qu’il n’existe pas, à notre connaissance, d’étude d’optimisation similaire, et ce travail se pose donc en pionnier de ce type d’étude. Plus spécifiquement, l’optimisation est découpée en trois étapes : une première étape d’optimisation mono-objectif pour prendre en main les algorithmes développés, enter d’en ajuster les paramètres, et se faire une première idée de la forme des différentes fonctions objectif sur l’espace de recherche. La seconde étape consiste à réaliser l’optimisation bi-objective pour un épuisement de début de cycle, et la dernière étape étend l’optimisation bi-objective à d’autres taux de combustion. La comparaison des ensembles de solutions obtenus lors des différentes étapes de l’étude, et correspon- dantes aux différents niveaux d’épuisement permet de conclure quand à l’extension de la capacité de suivi de charge, en identifiant des solutions qui sont performantes tout au long du cycle d’exploitation.