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1.7 Conclusion

2.1.1 Neutronique

2.1.1.3 Modèles d’évolution isotopique des poisons

Lors du déroulement de la réaction de fission, les noyaux lourds se scindent en deux frag- ments dissymétriques. La plupart de ces noyaux formés sont eux aussi radioactifs et décroissent par la voie βprincipalement, jusqu’à obtention d’un noyau stable. Elles sont caractérisées par des périodes très variables, allant de la fraction de seconde à quelques centaines, voire millions d’années. Tous ces produits formés restent au sein du combustible, confinés à l’inté- rieur de la gaine. Comme le combustible, ils sont soumis à un flux important de neutrons et sont donc susceptibles d’en capturer. Cela a pour conséquence de dégrader la réactivité : on appelle ce phénomène l’empoisonnement. Cet empoisonnement se caractérise principalement par son effet sur le facteur de reproduction η de la formule des quatre facteurs (Annexe A), en augmentant la section efficace de capture, au détriment de celle de fission. On appelle ces noyaux issus de la fission ainsi que tous ceux composant les chaînes de décroissance les produits de fission. On en recense environ huit cents : c’est donc un problème complexe dont on propose une simplification. On peut calculer l’influence de chacun de ces produits et ainsi les classer par ordre d’importance. Les dix plus importants produits de fission contribuent au trois quarts de l’empoisonnement et les vingt-cinq premiers à 90% du total. En pratique, on traite donc l’évolution des plus importants et les autres sont regroupés en ce qu’on appelle un «pseudo-produit» de fission, construit une fois pour toutes, en lui affectant les propriétés moyennes de tous les produits de fission auxquels il se substitue. Dans le cadre de notre étude, on se concentre sur deux chaînes de décroissance principalement, celle donnant l’évolution du xénon 135 et celle donnant l’évolution du samarium 149, soit au total 8 isotopes. Ce sont ces isotopes qui présentent le plus d’effets sur l’intervalle de temps correspondant au transitoire de suivi de charge considéré. Les équations générales qui gouvernent l’évolution de ces isotopes sont les équations de Bateman. Nous les simplifions dans le cas des deux chaînes identifiées.

La chaîne du xénon. La chaîne d’évolution montrant les réactions produisant et détruisant

le xénon est représentée sur la Fig. 2.1.

On remarque que la durée de vie du Tellure 135 est négligeable devant celles des autres isotopes et on considère donc que la fission donne directement l’iode 135, avec un rendement γI de 6.4%. De plus, on ne parle pas des nucléides situés après le xénon, étant donné qu’ils ont

une durée de vie très supérieure au temps correspondant à l’étude. On note I et X les concen- trations en iode 135 et xénon 135 respectivement et on indice les constantes de décroissance λet les rendements γ de ces deux isotopes par les mêmes lettres. Elles deviennent :

         dI dt = γIΣfφ − λII dX dt = γXΣfφ+ λII −(λX+ σXφ)X (2.6)

Fission 135Te 135I 135Xe 135Cs 135Ba 136Xe γ = 0,1% γ = 6,4% 19,2 s 6,5 h 9,2 h 2,6 Ma stable capture Fission 149Nd 149Pm 149Sm 150Sm γ = 1,1% 1.7 h 53 h capture

Figure 2.1 – Chaîne des réactions produisant et détruisant le xénon 135. Les rendements (γ) sont relatifs à la fission de l’uranium 235 et les durées indiquées correspondent aux périodes radioactives.

où σX représente la section efficace microscopique de capture du xénon 135 et Σf la section

efficace macroscopique de fission. Les constantes de décroissance sont définies comme l’inverse du temps caractéristique du noyau correspondant (en rouge), indiqué sur la figure 2.1. On a enlevé dans ce système la dépendance en ~r pour alléger les notations, mais elle reste bien sûr sous-entendue. Si le flux reste constant, on peut résoudre ces équations analytiquement, pour obtenir l’évolution des concentrations au cours du temps. Si on note I0et X0les concentrations initiales en iode et xénon respectivement, on obtient :

   I(t) = I0e−λIt+ I(1 − e−λIt) X(t) = X0e−δt+ X(1 − e−δt) + λI I0− IλI− δ (e−δt− e−λIt) (2.7)

avec δ = λX+ σXφ. Les concentration Iet X∞ représentent respectivement les concen- trations en iode et xénon à l’équilibre, c’est-à-dire au bout d’un temps infini et elles sont définies par le régime stationnaire du système (2.6) :

I= γIΣ λI

et X= (γX + γI

δ .

Il y a deux facteurs qui font que le xénon est d’une importance primordiale dans le pilotage des réacteurs :

— sa section efficace de capture est très élevée : environ trois millions de barns (contre par exemple 250000 barns pour le gadolinium et 4000 barns pour le bore soluble dans le domaine énergétique thermique). Cela s’explique par le fait qu’il comporte 81 neutrons et que le neutron capturé complète la couche jusqu’à 82 qui se trouve être un nombre magique2.

— il est produit assez abondamment dans le cœur et dépend du flux neutronique (donc de la puissance), son évolution n’est pas monotone. En particulier, en partant d’une concentration non nulle, une augmentation du flux a pour premier effet de diminuer la concentration (et inversement) avant qu’elle ne se stabilise à la valeur X∞ propor- tionnelle au flux.

2. Au même titre qu’il existe des configurations stables pour le remplissage des couches électroniques (règle de l’octet par exemple), il existe des nombres magiques particulièrement stables pour le remplissage des couches de neutrons ou de protons dans le noyau.

CHAPITRE 2. ÉTAT DE L’ART - CHOIX DES MODÈLES

Ce dernier point est illustré sur la Fig. 2.2, où on a simulé plusieurs niveaux de baisse de puissance en partant de la puissance nominale (avec une concentration en xénon à l’équilibre) sur un cœur en début de cycle.

1 1.5 2 2.5 0 10 20 30 40 50 60 1 1.5 2 2.5 3 3.5 4 4.5 5 5.5 0 10 20 30 40 50 60 Concen tration Xénon (10 15 no yau x.c m − 3 ) Temps (h) 100 − 30%P N 100 − 50%P N 100 − 70%P N 100 − 90%P N Concen tration Io de (10 15 no yaux.c m − 3 ) Temps (h)

Figure 2.2 – Évolution des concentrations xénon et iode, pour des baisses de puissance de différentes amplitudes.

On peut interpréter ces résultats par analogie avec un système hydraulique : on considère un système composé de deux réservoirs : il y a le réservoir iode et le réservoir xénon. Les réser- voirs iode et xénon sont alimentés par une source que l’opérateur contrôle (le taux de fission, proportionnel au flux neutronique) et le réservoir xénon se vide soit naturellement (par la voie désintégration) soit par une vanne dont l’ouverture est aussi régulée par l’opérateur (capture neutronique). Finalement, le réservoir iode se déverse dans le réservoir xénon (par désintégra- tion). Lors d’une baisse de puissance, le flux décroît, donc la voie capture du réservoir xénon se ferme alors que le réservoir iode se vide toujours à la même vitesse dans le réservoir xénon : le niveau monte, jusqu’à ce que le réservoir iode se soit vidé (le temps caractéristique de l’iode est plus petit que celui du xénon), le niveau xénon baisse alors à son tour. On comprend ici le caractère instable de la contre-réaction due au xénon : une diminution de flux entraîne une augmentation du xénon, qui tend à faire diminuer encore le flux, etc. L’effet xénon doit donc absolument être surveillé. En effet, considérons une petite perturbation (introduction d’une grappe de contrôle par exemple) qui fasse diminuer la puissance dans le haut du cœur, mais augmenter la puissance dans le bas. La concentration xénon en haut du cœur augmente (il s’accumule, car il disparaît plus lentement alors que l’iode se désintègre) et diminue dans le bas. La puissance dans le haut continue alors de décroître et la puissance dans le bas du cœur continue d’augmenter. Au bout de 7 à 8 heures le déséquilibre atteint un maximum lorsque la concentration en iode est faible dans le haut du cœur et élevée dans le bas. À ce moment, dans le haut du cœur, le xénon est en déficit de production et sa concentration commence

donc à décroître, provoquant une hausse de la réactivité. Le processus s’inverse alors et la puissance devient maximale dans le haut du cœur. La période d’oscillation est de l’ordre de 35 heures, c’est ce type d’instabilité que l’on appelle oscillation xénon.

Du fait de cette contre-réaction instable, on peut arriver au cas limite ou toute la puissance est produite par le bas du cœur : les températures et les puissances linéiques seraient alors très supérieures aux limites de sûreté relatives à la tenue des gaines. On comprend donc mieux l’intérêt de l’axial offset, qui caractérise la différence de production de puissance entre le haut et le bas du cœur. Un autre effet, antagoniste à celui décrit précédemment, est la diffusion des neutrons dans le cœur du bas vers le haut et du haut vers le bas. Ainsi, si les puissances dans les parties hautes et basses sont différentes, la diffusion tend à ramener l’équilibre. Il y a donc compétition entre ces deux phénomènes. Le facteur qui caractérise la stabilité vis-à-vis des oscillations xénon est le rapport de la taille du réacteur et de l’aire de diffusion : plus ce rapport est grand et plus les effets dus au xénon dominent et inversement, plus il est petit, plus la diffusion est efficace et c’est elle qui domine.

Le réacteur considéré dans cette étude mesure environ 4m de hauteur active et des oscilla- tions instables peuvent donc s’installer. On peut résumer qualitativement les effets stabilisants / déstabilisants qui entrent en jeu dans ce phénomène :

— Une valeur élevée du flux neutronique est déstabilisante : si le rôle de la capture neutronique est faible dès le départ, l’effet est moindre.

— Un facteur de forme faible, c’est-à-dire un aplatissement du flux dans le cœur, est défavorisant : il donne une plus grande importance aux bords (qui sont découplés d’un point de vue neutronique) et la diffusion a donc moins d’effet.

— Une grande taille de réacteur est un effet déstabilisant puisque les parties hautes et basses sont moins couplées.

— Plus les coefficients de contre-réaction température modérateur et combustible sont négatifs, plus leur effet est stabilisant : ils ont un effet quasi immédiat sur la réactivité et s’opposent aux variations de flux, stabilisant le cœur.

— La présence d’assemblages MOX est stabilisant, car le nombre de neutrons dans le domaine thermique est moindre, réduisant l’efficacité des captures par le xénon.

La chaîne du samarium. De même que le xénon est le principal poison présentant un

pic après arrêt du réacteur, le samarium est le principal poison présentant un surcroît après arrêt. La Fig. 2.3 présente la chaîne d’évolution produisant et détruisant le samarium. Cette chaîne est qualitativement identique à celle du xénon, à la différence près que le samarium 149 est un noyau stable (le xénon 135 est radioactif). Il n’y a donc qu’une seule voie possible de désintégration de ce noyau : la capture neutronique, qui dépend du flux. En outre, il n’y a pas de formation directe par fission, donc une seule voie de formation également.

On note S et P les concentrations en samarium et prométhéum respectivement et on indice les constantes de décroissance λ et les rendements γ de ces deux isotopes par les mêmes lettres. Si on néglige l’étape du néodyme, on obtient comme équations d’évolution simplifiées :

         dP dt = γPΣfφ − λPP dS dt = λPP − σSφS (2.8)

où σS représente la section efficace microscopique de capture du samarium et Σf la sec-

CHAPITRE 2. ÉTAT DE L’ART - CHOIX DES MODÈLES Fission 135Te 135I 135Xe 135Cs 135Ba 136Xe γ = 0,1% γ = 6,4% 19,2 s 6,5 h 9,2 h 2,6 Ma stable capture Fission 149Nd 149Pm 149Sm 150Sm γ = 1,1% 1.7 h 53 h capture

Figure 2.3 – Chaîne des réactions produisant et détruisant le samarium 149. Le rendement (γ) est relatif à la fission de l’uranium 235 et les durées indiquées correspondent aux périodes radioactives.

l’inverse du temps caractéristique du noyau correspondant (en rouge), indiqué sur la figure 2.3. De même que pour le xénon, on peut résoudre analytiquement ces équations si le flux reste constant. En notant P0 et S0 les concentrations initiales en prométhéum et samarium respectivement, on obtient :    P(t) = P0e−λPt+ P(1 − e−λPt) S(t) = S0e−σSφt+ S(1 − e−σSφt) + λP P0− PλP − σSφ (e−σSφt− e−λPt) (2.9)

On définit les concentrations à l’équilibre en prométhéum (P) et en samarium (S) par l’état stationnaire dans le système (2.8) :

P= γPΣ

λP et S∞=

γPΣf

σS

.

Tout d’abord, on remarque une différence importante avec le xénon : la concentration en samarium à l’équilibre de dépend pas du niveau de flux. Cela s’explique par le fait que les uniques voies possibles de formation et de disparition dépendent du flux (fission et capture). On en déduit que l’empoisonnement est le même, peu importe la puissance à l’équilibre. Le principal danger venant du samarium réside dans le fait qu’il ne disparaît donc jamais. En cas de redémarrage du réacteur, il faut tenir compte du samarium à l’équilibre déjà présent (environ 700pcm) et ajouter le surcroît (entre 300 et 400pcm). Il en est de même pour les baisses de puissance, ou la concentration augmente avant de revenir à l’équilibre.

La Fig. 2.4, présente la même simulation que précédemment (une baisse de puissance partant de 100% de la puissance nominale, avec différentes amplitudes).

On observe ici l’augmentation de la concentration, avec une valeur maximale plus impor- tante pour les fortes variations, puis une redescente vers l’état d’équilibre, identique pour les quatre courbes. Le réservoir prométhéum se déverse continuellement dans le réservoir sama- rium, mais lorsque la puissance diminue, ce dernier se vide moins bien (moins de captures) et il y a donc accumulation. Une fois que le prométhéum disparaît, la concentration en samarium commence à diminuer à son tour par capture neutronique, car la puissance et donc le flux sont non nuls dans les exemples considérés. La raison pour laquelle il est important d’étudier l’évolution de la concentration en samarium est justement que si le réacteur est à l’arrêt, la voie de capture se ferme et le samarium s’accumule dans le cœur, ce qui peut être pénalisant lors du redémarrage suivant.

32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 0 100 200 300 400 500 600 700 Concen tration Samarium (10 15 no yau x.c m − 3 ) Temps (h) 100 − 30%P N 100 − 50%P N 100 − 70%P N 100 − 90%P N

Figure 2.4 – Évolution de la concentration samarium, pour des baisses de puissance de différentes amplitudes.

Une autre différence est observable par rapport au xénon : les temps caractéristiques. Celui du samarium est beaucoup plus important, de l’ordre de la dizaine de jours alors que celui du xénon est plutôt autour de quelques heures.

Finalement, seules les instabilités liées au xénon sont prises en considération. On peut montrer que bien que le samarium (ou d’autres produits de fissions) puisse provoquer des oscillations axiales, les cœurs de réacteurs sont beaucoup trop petits pour que celles-ci puissent se développer et devenir instables.