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La pénurie de médecins et le cumul des fonctions

Annexe 4 : Cas déclarés en Valais du 30 juin 1918 au 29 mai 1920, Bulletin du Service suisse

4. Le monde médical

4.2 Le monde médical face à la grippe

4.2.2. La pratique médicale

4.2.2.1 La pénurie de médecins et le cumul des fonctions

Nous avons décrit la structure du système de santé valaisan et les habitudes de la population concernant la santé et les médecins. L’habitude de consulter les mèges, rhabilleurs et autres guérisseurs est encore ancrée, si bien qu’au début de l’épidémie d’influenza , malgré le manque de médecins, il est nécessaire de rappeler à la population de recourir à ces derniers afin de pouvoir bénéficier des soins les plus appropriés, comme le rappelle le Nouvelliste

valaisan du 13 juillet 1918 : « Dès le début de la maladie, le plus sûr est de garder le lit et de

consulter un médecin (et non pas une sage-femme ou le mège, ce qui n’est pas superflu de préciser).»195

Pour rappel, le Valais compte 40 médecins en 1918, avec une densité médicale de 1 médecin pour 2676 habitants, soit une des plus faibles de Suisse. Le tiers d’entre eux, soit 13 au total, occupent la fonction de médecin de district. De nombreuses vallées et villages n’ont pas de médecin attitré et utilisent des moyens plus ou moins traditionnels pour se soigner. Dans ce contexte, il n’est pas difficile d’imaginer à quel point les quelques médecins présents sur le terrain ont été submergés par les vagues successives de l’épidémie.

Les témoignages abondent des horizons les plus divers pour corroborer cette idée, du constat du Nouvelliste valaisan : « La grippe se maintient malheureusement dans les localités sans médecins ni pharmacies »196, aux protocoles des séances de la CSP qui nous rappellent que « les médecins ne faisaient déjà plus autre chose que de circuler d’un grippé à l’autre. »197 La situation du Valais fait écho à celle que l’on trouve en Suisse, en Europe et sur la majeure partie du globe : « Les pharmaciens sont débordés, jour et nuit les acheteurs se pressent dans leurs officines, attendant leur tour pour être servis. Les docteurs sont harassés de travail et ils circulent de jour et de nuit à travers la ville à pied, en bicyclette et en auto. »198 ; « La grippe continue ses ravages dans toute l’Europe en faisant un grand nombre de victimes. Un peu 195

Nouvelliste valaisan, 13 juillet 1918. 196 Nouvelliste valaisan, 24 août 1918.

197 ACS CO 6.4 : protocole CSP, séance du 17 janvier 1919. 198

Le Confédéré, 24 juillet 1918.

partout les services publics sont désorganisés ; les médecins ne peuvent suffire à la tâche et souvent les médicaments font défaut. Il est presque impossible de se procurer à Paris de la quinine, de l’antipyrine, du formol, du benzonaphtol, de l’huile de ricin… »199 La situation est tellement critique dans le courant de l’été 1918 qu’il est même rapporté qu’« on se trouve en présence d’une épidémie très étendue et qu’en réalité la Ville de Sion à un moment donné n’était qu’un vaste hôpital dont les malades absorbaient l’activité de tous les médecins sur place »200 et qu’« il en résulte que tous les médecins sur place étaient accablés de travail et que l’Hôpital de Sion se trouvait transformé en Infirmerie communale. »201

Non seulement l’activité déployée est harassante, mais la plupart des médecins ne peuvent simplement pas faire face à la dispersion de Valaisans grippés qu’il faut soigner, ainsi certains citoyens sont heurtés par la situation et l’expriment dans la presse :

« Qu’il soit permis de rendre hommage au dévouement de M. le Dr Broccard qui, tous les jours sur la brèche, n’a pu malheureusement se rendre partout où on le réclamait. Au point de vue médical, nous sommes très mal logés. De Sion à Martigny, il n’y a pas de docteur. Ces messieurs préfèrent s’installer dans les centres où les conditions d’existence sont pourtant plus difficiles. N’y aura-t-il pas un médecin de cœur pour se dévouer aux soins de notre population agricole des communes du centre, en s’installant, avec une pharmacie, à St-Pierre, Riddes, Ardon ? » 202 Sans compter que le corps médical n’est pas épargné par la maladie, comme en témoigne ce médecin : « Ayant été atteint moi-même de grippe, j’ai dû interrompre pendant deux mois mon activité. Lors de la reprise de ma clientèle, la grippe sévissait aux Brenets avec toute la rigueur possible. Une première tâche, à mon retour, fut de constater le décès de deux mères de famille ayant succombé le même jour, l’une d’une pneumonie massive, l’autre d’une méningite foudroyante. »203

Outre la pénurie, ceux qui restent cumulent également d’autres charges, comme celle de médecin de district pour le tiers d’entre eux, ou encore de médecin militaire ou de médecin à l’hôpital bourgeoisial. Lors de l’épidémie, ces mandats sont passés au deuxième plan. Il en est ainsi, par exemple, pour le Dr François Ducrey qui doit assumer quatre fonctions diverses et très exigeantes. Il est tout d’abord médecin à Sion, puis médecin du district de Sion, médecin de la place d’arme de Sion et finalement médecin à l’hôpital bourgeoisial de Sion (en interim 199

Nouvelliste valaisan, 19 octobre 1918.

200 ACS, CO 6.4 : protocole CSP, séance du 10 janvier 1919. 201 ACS, CO 6.4 : protocole CSP, séance du 17 janvier 1919. 202 Nouvelliste valaisan, 27 août 1918.

203

Dr L. Probst dans la Revue médicale de la Suisse romande, n°3, mars 1920.

depuis le mois de septembre 1918, après le décès du Dr Jules Dénériaz). Il est aisé de comprendre que, vu l’afflux de malades, il lui est difficile d’assurer ses quatre mandats de façon satisfaisante. Au mois de décembre 1918, il lui est reproché de ne pas avoir évacué les militaires malades qui occupaient la moitié des lits de l’hôpital bourgeoisial :

« L’Hôpital de Sion a reçu ordre de ne plus accepter aucun militaire jusqu’à nouvel avis. La manière de procéder en cette circonstance de M. le Dr Ducrey surprend quelque peu. Il est évident que ses fonctions de médecin de la Place lui imposaient l’obligation d’évacuer les soldats malades. Mais l’occupation complète de l’Hôpital de Sion est en ce moment-ci chose dangereuse. Comme médecin de district et médecin de l’Hôpital il aurait peut-être dû s’y opposer ou du moins en informer au préalable l’autorité communale de Sion. »204

Son titre de médecin de la place militaire de Sion va d’ailleurs être remis en cause par les autorités fédérales. En tant que médecin du district de Sion, les rapports du Dr Ducrey sont très attendus à la Commission de Salubrité publique de la municipalité qui, rappelons-le, constitue l’autorité sanitaire communale. Malheureusement, l’absence de ces derniers se fait cruellement sentir pendant l’épidémie d’influenza, comme on peut le lire dans les protocoles de la CSP. Selon ces documents, le Dr Ducrey est porté manquant le 12 juillet 1918205 et le 11 septembre 1918 pour ce qui est des faits répertoriés206. Il finit par déclarer :

« Je prie la Commission de ne pas attribuer mes fréquentes absences aux séances à un sentiment d’indifférence de ma part, mais bien à des causes réelles : le travail et les fatigues extraordinaires que cette épidémie vaut au corps médical. »207

Le travail et les fatigues finiront par avoir raison de la santé du médecin du district de Sion : « Le service médical de l’Infirmerie fut assumé par le Dr Ducrey. Le zèle déployé par ce dernier à cette occasion mérite également d’être mis en relief. Bien qu’accablé par la besogne professionnelle, il visite avec beaucoup de ponctualité les malades de l’Infirmerie, jusqu’à ce qu’il fut atteint, lui aussi, par l’épidémie qui l’obligea à s’aliter pendant quelques jours. M. P. Dénériaz qui malgré sa jeunesse avait su acquérir en peu de temps l’appréciation générale, se chargea en attendant du service médical de notre institution. »208

204

ACS, HP 3/9 : lettre au Président de la CSP, 6 décembre 1918. 205 ACS, HP 3/9 : rapport CSP, 12 juillet 1918.

206 ACS, HP 3/9 : rapport CSP 11 septembre 1918.

207 ACS, CO 6.4 : protocole CSP séance du 10 septembre 1918. 208

ACS HP 3/9 : Rapport de la CSP à la ville de Sion, 11 septembre 1918, p. 51.