• Aucun résultat trouvé

La professionnalisation de la médecine

Annexe 4 : Cas déclarés en Valais du 30 juin 1918 au 29 mai 1920, Bulletin du Service suisse

4. Le monde médical

4.1.1. Les médecins

4.1.1.1. La professionnalisation de la médecine

Canton rural à la topographie escarpée et éloigné des centres universitaires, il n’est pas étonnant que le Valais attire peu de médecins. Longtemps, ces derniers ont dû s’expatrier en France, en Italie ou en Allemagne pour être formés. Le retour au pays n’est souvent pas des plus faciles et la plupart s’installent à proximité des villes, plus commodes et à la clientèle relativement aisée.

Pendant des siècles, la plupart des Valaisans n’ont guère eu recours aux médecins, éloignés des villages de montagne et trop onéreux par rapport aux praticiens «illicites». Pour les remplacer, tout un florilège de soignants se bouscule : mèges, rhabilleurs, matrones puis sages-femmes, guérisseurs, herboristes… Chacun a sa spécificité :

«Le rebouteux, c’est le bon samaritain qui donne les premiers secours en cas de fractures, foulures ou luxations. Le guérisseur, c’est celui qui apporte le soulagement des maux de diverses natures en utilisant les moyens naturels. L’herboriste, lui, recherche et sélectionne les plantes médicinales, pour être utilisées sous forme de tisane. En utilisant leurs connaissances rudimentaires, les plantes et les ingrédients qui étaient à leur disposition, ces « savants » d’autrefois ont apporté le soulagement aux gens de la montagne qui n’avaient pas les moyens de payer une consultation chez les médecins de la ville.»147

Il faut également compter sur la connaissance des plantes et autres composés naturels qui se transmettent de génération en génération et qui servent à soigner les petits maux quotidiens. En témoigne Marie Métrailler, native d’Evolène du début du XXe siècle :

146 Ce chapitre a été écrit en se basant sur l’ouvrage de Marie-France Vouilloz Burnier et Vincent Barras, De l’hospice au réseau santé. Santé publique et systèmes hospitaliers valaisans XIXe-XXe siècles, voir bibliographie 147

Dayer 1984, p. 125.

« Cette médecine traditionnelle existait dans toutes les vallées, pas seulement dans la nôtre [val d’Hérens]. Les médecins résidaient à Sion, c’était loin…Maintenant qu’il y a un docteur à Evolène, on dirait que les habitants sont plus souvent malades. L’occasion de se soigner ne créerait-elle pas aussi la maladie ? Autrefois, ici, les gens mouraient debout.»148

Les Valaisans semblent pourtant s’accommoder de cette situation :

« Il y a relativement peu de temps, une cinquantaine d’années peut-être, le Valais ne comptait encore que peu de médecins. Ils se trouvaient dans la capitale seulement et quelques importants chefs-lieux de districts. Dans les vallées reculées, comme dans les autres lieux de la plaine, alors que les moyens de transport étaient rares et les chemins d’accès difficiles, des mèges remplaçaient les disciples d’Esculape, et les herbages, les produits chimiques et alcaloïdes soumis à la pharmacopée et à la dosimétrie. Et cependant, nos pères, en général, s’en portaient assez bien, en dehors des épidémies, ne fournissaient guère une plus forte mortalité que celle de nos jours.»149

Jusqu’au XXe siècle, les mèges et autres guérisseurs sont considérés par la population comme de vrais médecins, au détriment parfois des médecins diplômés, ainsi :

« Il n’était guère de jours que de vraies caravanes ne prissent la direction du haut plateau d’Hérémence. Les uns venant du Bas-Valais, des Ormonts, de Salvan, de l’Entremont ou de Martigny… Un spectacle inoubliable… dans cette chambre enfumée, l’illustre mège distribuait ses herbes bienfaisantes ou ses ordonnances selon la couleur du liquide apporté dans un flacon par chacun de ses clients, qui demandaient une consultation pour tous les membres de la famille et celle de ses voisins.»150

Peu à peu, dès la fin du XIXe siècle, va s’affirmer une réelle volonté politique, déterminée à supprimer cette forme de «médecine» non officielle. Outre les soignants « non officiels », dans un canton fermement catholique, la religion constitue un refuge face à la maladie :

« Avant, les gens avaient une vie dure. Prenons : pas de médecin. L’hiver : pas de communication avec la plaine. (…) Alors, ils n’avaient pas d’autres ressources que de s’adresser en haut, à des saints et à leurs âmes du purgatoire. Quand on avait des vêlées, qu’est-ce qu’on faisait pendant qu’elles gémissaient, les vaches ? Que prier ! « Les âmes de

148 Métrailler, 1980, p. 27.

149 Almanach du Valais 1913, p. 63. 150

Dayer, 1984, p. 125.

purgatoire, aidez-nous ! » Continuel ! Mais on ne cessait pas d’invoquer les âmes du purgatoire, qu’elles vous aident à ce moment-là. Parce qu’on disait : « Vous, vous avez passé. Vous savez ce que c’est ! Aidez-nous ! » Pour la maladie : la même chose ! »151

Le clergé, gardien de traditions séculaires, dispense également bien souvent des soins. Dépositaire d’une longue expérience dans les préparations magistrales à base de plantes, il se fait défenseur de la vaccination anti-variolique et, au début du XXe siècle, il participe à la diffusion des mesures d’hygiène, en concurrençant le corps médical, devenu jaloux de ses prérogatives et prônant une médecine de qualité pratiquée par des professionnels.

Le XXe siècle constitue un tournant dans la professionnalisation du métier de médecin. Jusqu’en 1844, le Valais possède son propre examen cantonal, validé par le Conseil de santé, qu’il suffit de réussir pour pouvoir pratiquer dans le canton. Pour certains médecins, revenus au pays avec le diplôme des diverses grandes facultés de médecine européennes en poche, la situation est inadmissible. Le Dr Hyacinthe Grillet en fait partie. Médecin ayant vécu au milieu du XIXe siècle et fervent défenseur d’une réglementation stricte de la profession, il estime que l’examen cantonal est «une véritable dérision, un jeu que le plus ignorant pouvait affronter sans crainte de jamais éprouver un échec.»152 Ce n’est qu’à partir de 1878 que les examens de médecine seront régis par une loi fédérale promulguée un an plus tôt et imposant les mêmes conditions sur tout le territoire helvétique. Une fois de plus cependant, le Valais supporte difficilement cette incursion du pouvoir central et l’examen cantonal va persister jusqu’en 1896.