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Comparaisons intercantonales

La mortalité a été très diverses dans différentes villes suisses.

Ville Mortalité (total) Pour 1000 hab Ville Mortalité (total) Pour 1000 hab Zürich 920 4.3 Herisau 67 4.2 Bâle 677 5.0 Coire 77 4.9 Genève 834 6.0 Vevey 130 10.1 Berne 676 6.2 Lugano 43 3.2 St-Gall 351 5.1 Le Locle 77 5.9 Lausanne 436 6.2 Rorschach 40 3.5 Lucerne 218 4.9 Soleure 102 7.5 La-Chaux-de- Fonds 302 7.7 Bellinzone 60 5.7 Winterthur 163 6.0 Arbon 42 4.0 Neuchâtel 171 7.4 Olten 87 7.8 Bienne 311 9.7 Montreux 104 5.8 Fribourg 138 6.3 Schaffhouse 139 6.4 Total 6’165

Tableau 17 : Décès dus à la grippe dans diverses villes de Suisse en 1918, source : Annuaire

statistique de la Suisse 1919, p. 23.

A l’aide de ce tableau récapitulatif, on peut remarquer que les villes les plus touchées sont celles de Vevey, Bienne, Olten et La-Chaux-de-Fonds, plutôt à l’ouest du pays. A l’inverse, à l’est on retrouve Lugano, Arbon, Zurich et Coire, plus épargnées. Les données d’archives n’ont pas permis de déterminer s’il y a une différence concernant l’application des mesures sanitaires entre l’est et l’ouest, qu’elle soit culturelle ou politique.

Des travaux portant sur certaines villes de Suisse nous permettent de comparer quelques éléments des données cantonales de Genève, Zurich et Bâle par exemple. Dans la plupart des cas toutefois, il n’y a pas de données épidémiologiques précises, si ce n’est des thèses qui concernent des observations cliniques particulières survenues durant l’épidémie.

3.3.1. Genève107

Dans sa thèse, Catherine Ammon, anthropologue genevoise contemporaine, a principalement exploité les informations provenant des journaux de l’époque pour décrire l’épidémie à Genève. Elle débute officiellement le 8 mai 1918, lorsque le premier grippé est admis à l’hôpital cantonal. 65 autres cas vont se succéder jusqu’à la fin du mois de juin, mais l’épidémie prend toute son ampleur dès le mois de juillet avec les recrues d’infanterie qui sont touchées. On dénombre 20 admissions pour cause de grippe le 7 juillet, puis elles augmentent progressivement pour atteindre 27 le lendemain, 40 le surlendemain. La morbidité va suivre une courbe exponentielle, s’élevant à 9 cas/1000 à la mi-juillet et va rapidement passer à 2% 10 jours plus tard.

En ce qui concerne le déroulement de l’épidémie, il suit celui que l’on a pu constater ailleurs en Suisse et dans le monde avec trois vagues successives. Bien que les premiers cas aient déjà été recensés en mai 1918, soit plus tôt qu’en Valais, l’épidémie débute réellement en juillet 1918 avec plus de 250 cas déclarés au sein de la population le 17 du mois et environ 20 admissions à l’hôpital cantonal. S’ensuit une accalmie au mois d’août, puis une reprise dès septembre avec la deuxième vague qui bat son plein dès octobre, encore plus violente avec plus de 500 cas au 2e jour de l’épidémie. A nouveau, le calme se rétablit, mais en décembre 1918 et janvier 1919, les derniers soubresauts de la maladie se font sentir avec une décroissance dès le printemps 1919. Finalement, à la fin de l’année 1919, une quatrième vague peut être décelée, certes bien plus faible que les précédentes. Si on regarde les données genevoises, 24'392 cas ont été signalés à Genève du 1er juillet 1918 au 30 juin 1919. Quatorze Genevois sur mille ont eu la grippe contre 187/1000 pour l’ensemble de la Suisse.

Comparativement à la situation valaisanne, les données concernant Genève sont plus étoffées et plus précises. Il va sans dire qu’une densité médicale plus importante, la présence d’un hôpital cantonal universitaire, de l’Office international de l’hygiène publique, sont des facteurs qui peuvent expliquer une plus grande rigueur dans le recensement des cas. La mortalité est plus faible qu’en Valais, tout en restant dans la moyenne suisse. Toutefois, les répercussions au niveau de la vie quotidienne des Genevois sont similaires, les mesures prises par les autorités politiques étant comparables à ce qui a été fait en Valais. Par exemple, les médecins, harassés par le nombre de patients, ont dû imposer des horaires de réception des

107

Basé sur la thèse de C. Ammon, Genève, 2000.

appels108. Concernant le problème du transport des grippés vers l’hôpital, une seule compagnie de taxi accepte ce type de transport et doit veiller à bien désinfecter les véhicules à la fin de la course109.

3.3.2. Zurich110

Les données de Zurich confirment ce qui a été constaté lors de la pandémie de 1918, à savoir une morbidité et mortalité essentiellement masculines. Notons toutefois que la létalité est similaire chez les deux sexes.

Total ♂ % ♀ %

Malades 2867 1842 1025 64% 36%

Décès 384 258 126 67% 33%

Létalité 13% 14% 12%

Sur le graphique suivant on voit que la surmortalité parmi les jeunes adultes est une spécificité de la pandémie de 1918, elle ne se retrouve en effet pas en 1916 et 1919.

Illustration 22 : Répartition de l’âge des personnes décédées en 1916, 1918 et 1919 (abscisse : âge, ordonnée : nombre de décès), source : Koren 2003, p. 31.

Le tableau ci-dessous répertorie l’âge et le sexe des personnes décédées dans les cliniques de Zürich en 1916, 1918 et 1919 (selon le rapport annuel des hôpitaux de Zurich).

108 La Tribune de Genève, 26 octobre 1918. 109

La Suisse, 25 octobre 1918.

110Basé sur la thèse de N.M. Koren, Zürich, 2003.

Age (années) 1916 1918 1919 1-10 18 5 10 9 8 7 10-20 18 14 50 27 20 9 20-30 23 26 148 89 33 25 30-40 28 28 103 43 28 16 40-50 48 34 79 22 46 29 50-60 59 29 64 20 48 27 60-70 40 29 45 30 35 24 70-80 17 18 12 17 15 14 80-90 4 2 0 1 2 2 >90 0 0 0 0 0 1 Total 255 185 511 258 235 153 en % 58% 42% 66% 34% 61% 39%

Tableau 18: Age et sexe des personnes décédées dans les cliniques de Zurich en 1916, 1918 et 1919 (selon le rapport annuel des hôpitaux de Zurich), source : Koren 2003, p. 31.

A Zurich, comme dans le reste de la Suisse, le nombre majeur de victimes est à déplorer parmi les jeunes hommes, comme nous l’avons déjà vu.

La thèse de Nina Koren se base sur les autopsies réalisées en 1918-1919. Les éléments originaux y figurant nous permettent de mieux comprendre l’épidémiologie de la grippe, à travers, par exemple, l’état de nutrition des patients de l’époque.

Non interprétable

Normal Cachectique Adipeux

Toutes autopsies 23% 32% 36% 9%

Décès de la grippe 19% 42% 26% 13%

Tous les décès 20-35 ans 18% 44% 26% 12%

Décès grippe 20-35 ans 17% 47% 21% 14%

Tableau 19 : Etat de nutrition de 970 patients ayant subi une autopsie à l’institut de pathologie de Zurich de mai 1918 à avril 1919, Koren 2003, p. 42111.

Non interprétable

Normal Cachectique Adipeux

0-16 ans 33% 22% 39% 6%

16-50 ans 22% 39% 29% 10%

> 50 ans 20% 21% 51% 8%

Tableau 20 : Etat de nutrition de 970 patients ayant subi une autopsie à l’institut de pathologie de Zurich de mai 1918 à avril 1919, Koren 2003, p. 43.

111

Cachectique : tissu adipeux < 1cm, normal : tissu adipeux de 1 à 3 cm, adipeux : tissu adipeux > 3 cm

Rappelons-nous que nous sommes au terme de quatre années de guerre où rationnement et privation sont le lot quotidien de la plupart des Suisses. Ces données de l’institut de pathologie de Zurich reflètent l’état de malnutrition global de la population zurichoise décédée toutes causes confondues, avec près d’un tiers des habitants cachectiques. Il n’y a toutefois pas plus de malnutris parmi les grippés que parmi la population générale, la grippe frappait donc des jeunes dans la force de l’âge et pas forcément maladifs.

3.3.3. Bâle112

A Bâle, après l’épidémie de grippe, Hunziker et Jenny ont utilisé les données des registres officiels pour dresser un portrait de l’épidémie. Ils ont retrouvé dans les registres les décès dus à la grippe déclarés depuis 1889. Mis sous forme de graphique ils donnent le résultat suivant :

Illustration 23 : Décès dus à la grippe à Bâle de 1889 à 1919, source : Hunziker & Jenny 1920, p. 6.

Alors qu’annuellement la moyenne des décès dus à la grippe se situe entre 18 et 19 personnes, en 1918, 702 victimes sont dénombrées. A Bâle, les premiers cas sont constatés mi-juin 1918 chez des soldats de la Bahnhofswache113, avec une forme non compliquée. Il faudra attendre

112 Basé sur la thèse de H.Hunziker & O-H Jenny, Basel, 1920. 113

Troupe de la Wehrmacht assignée à la surveillance des gares en Allemagne et dans les pays occupés

quelques semaines, soit jusqu’en juillet, pour que les premiers cas compliqués fassent leur apparition.

De ce fait, l’ouverture des écoles est retardée et il est demandé aux médecins d’adresser un rapport bihebdomadaire sur la situation sanitaire dans le canton et non pas hebdomadaire comme dans la plupart des autres cantons. Sur une période de 53 semaines, il y a eu 36'691 cas déclarés (17'104 hommes et 19'587 femmes), ce qui est une donnée insolite pour une épidémie ayant globalement touché plus d’hommes que de femmes. Cette proportion particulière est vraisemblablement expliquée par le fait que Bâle est une ville avec une population à majorité féminine en période de guerre, les hommes étant mobilisés. Il est toutefois étonnant de ne pas retrouver le même phénomène dans les autres grandes villes suisses comme Zürich ou Genève. Sur ces 36'691 cas, il y eut 772 décès (411 hommes et 361 femmes) pour 139'700 habitants dans le canton, soit une morbidité de 26 %, une mortalité de 0.55% et une létalité de 2.1%. Ces valeurs sont inférieures à la moyenne suisse pour la morbidité mais comparables pour la mortalité et létalité. La plus grande mortalité et morbidité sont constatées lors de la deuxième vague, les semaines des 13 octobre au 2 novembre 1918.

3.3.4. Argovie114

Friederich Frey, médecin argovien, a utilisé les documents administratifs officiels de 1918 ainsi que les rapports médicaux pour analyser l’épidémie en Argovie, tant du point de vue épidémiologique que médical.

Dans sa thèse, il rapporte que 59'000 habitants sont tombés malades sur une population globale de 243'000 âmes, soit une morbidité de 24 pour cent habitants, ce qui est la moitié environ de la morbidité recensée dans le Haut-Valais comme nous le verrons plus loin. Cette différence est explicable par les conditions de vie fort différentes des deux cantons. En effet, alors que le Valais reste essentiellement rural en 1918, Argovie s’est urbanisée. Bien plus tôt qu’en Valais, le 11 juillet 1918 déjà, il est demandé aux médecins de déclarer les cas de grippe une fois par semaine.

En ce qui concerne les mesures visant à limiter les rassemblements, elles sont entrées en vigueur dès le 22 juillet 1918. Toutefois, elles n’ont apparemment pas été pleinement respectées. Frey souligne la morbidité importante parmi les populations où la promiscuité est plus grande, comme les soldats, les ouvriers…

114

Basé sur la thèse de F.E.Frey, Aarau, 1920.