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Données générales

3.2. L’influenza en Suisse

3.2.1 Données générales

Les premiers cas d’influenza sont apparus parmi la population helvétique au mois de mai 1918 déjà, parmi les soldats contaminés aux frontières, dont les divisions 3 et 5 stationnées au nord du Jura90. Les internés étrangers, allemands ou français, sont également considérés comme vecteurs de la grippe. Le rapport du Dr Rodolphe de Riedmatten met en exergue le rôle des internés : « Le Dr Stephani de Montana écrit : les cas de grippe observés ici ont frappé il y a un mois tous les médecins de l’internement et une quarantaine d’internés. Elle nous a paru apportée par les internés venant d’Allemagne. »91 Ceux-ci, provenant de pays où la maladie frappait déjà depuis quelques mois, deviennent, dans l’esprit de la population, les porteurs obligatoires du fléau.

L’internement prévu par la convention de Genève découle d’un accord signé en décembre 1915 entre la Suisse, l’Allemagne et la France qui garantit la prise en charge des blessés ou malades des différents camps de belligérants par la Suisse. Comme le mentionne l’article 2 de la Convention de Genève :

« Les belligérants auront la faculté de renvoyer dans leur pays, après les avoir mis en état d’être transportés ou après guérison, les blessés ou malades qu’ils ne voudront pas garder prisonniers, de remettre à un Etat neutre, du consentement de celui-ci, des blessés ou malades de la partie adverse, à la charge de l’Etat neutre de les interner jusqu’à la fin des hostilités. » 92

89 Phillips & Killingray 2003, p. 29. 90 Nussbaum 1982, p. 259.

91 ACS, HP 3/9, Rapport Dr de Riedmatten, 16 juillet 1918. 92

Bulletin international de la Croix-Rouge, 1919, p. 159.

La Suisse, en tant que gardienne de la neutralité, s’est vu confier de nombreux internés ; de mars 1915 à novembre 1916 par exemple, 2343 Allemands et 8668 Français blessés ont été rapatrié passant d’abord par la Suisse93. En Valais, on dénombre plusieurs camps d’internés, comme par exemple celui de Chippis, qui a vraisemblablement eu une influence sur l’épidémie sévissant parmi les employés d’Alusuisse.

Ce n’est que vers la fin du mois de juin que l’épidémie prend une grande ampleur. Le zénith de la première vague se situe à la 2e moitié de juillet, les cas vont ensuite diminuer jusqu’en septembre. Arrive alors la deuxième vague avec une apogée la 3e semaine d’octobre, qui se tarit à nouveau début novembre. Finalement lui succède un troisième pic fin novembre, qui va s’amender en quelques semaines. La propagation du virus va d’ouest en est, le pic de morbidité ayant été atteint d’abord en Suisse occidentale, puis en Suisse orientale. Mais quel a été l’impact de l’épidémie en Suisse et en Valais ? C’est ce que nous allons maintenant aborder.

Illustration 14 : Décès en Valais et en Suisse de 1870 à 1970, J.-H. Papilloud, La population valaisanne à l’époque contemporaine in Développement et mutations du Valais, Sion, 1976.

93

Bulletin international de la Croix-Rouge, 1919, p. 159.

Les chiffres de mortalité et morbidité cités dans ce chapitre sont basés sur les données fournies par les bulletins du Service suisse de l’hygiène publique (dorénavant abrégé SSHP). Il faut toutefois nuancer ces chiffres, car, tout comme les données mondiales, les données helvétiques souffrent d’imprécisions et de lacunes. Selon le rapport influenza 1918-1919 du SSHP :

« Les chiffres de nos tableaux sont loin de répondre à la réalité (…), le chiffre total des cas d’influenza a dû s’élever au triple environ des cas signalés, soit à 2.5 millions dont 2 millions en chiffres ronds pour l’année 1918. La morbidité grippale serait ainsi de 58% environ pour l’ensemble de l’épidémie et de 50% pour la seule année 1918 (…). Si l’on admet (ce qui n’est pas démontré) que la morbidité grippale des différentes classes d’âge est plus ou moins parallèle à leur létalité, on trouve que sur 100 cas d’influenza, 30 concernent des individus âgés de moins de 15 ans, 65 des individus âgés de 15 à 49 ans et 5 seulement des individus âgés de 50 ans et plus. Dans ces conditions, la morbidité grippale serait de 50% pour les classes d’âge au-dessous de 15 ans, de 70% pour celles qui vont de 15 à 49 ans et de 20% pour celles qui dépassent 50 ans.»94

Rapportée à la population suisse actuelle, la pandémie toucherait de nos jours entre 4 et 4.5 millions d’habitants et il faudrait déplorer entre 380'000 et 390'000 décès. Voici deux tableaux qui extrapolent la morbidité de l’épidémie pour 1918 et 1919 :

1918

Mai et juin 125'000 cas

Juillet 275'000 cas Août 175'000 cas Septembre 125'000 cas Octobre 350'000 cas Novembre 400'000 cas Décembre 250'000 cas Total 2'000'000 cas

1919

Janvier 100'000 cas Février 70'000 cas Mars 50'000 cas Avril 20'000 cas Mai 8'000 cas Juin 2'000 cas 94

Bulletin du Service suisse de l’hygiène publique, n°31, 09.08.1919, p. 334.

Total 250'000 cas

Tableaux 9 et 10 : Morbidité en Suisse de l’épidémie de grippe en 1918 et 1919, source : Bulletin du

Service suisse de l’hygiène publique, n°31, 09.08.1919, p. 335.

D’après ces chiffres, près de la moitié de la population helvétique est atteinte par la grippe en 1918, et la morbidité s’élève à 58% pour toute l’épidémie (1918-1920). Il faut néanmoins signaler qu’il n’est pas précisé comment ces extrapolations ont été effectuées par le Service suisse de l’hygiène publique. Le texte laisse sous-entendre qu’elles se basent sur le nombre d’attestations médicales leur parvenant, mais sans aucun détail supplémentaire. Par ailleurs, 300'000 cas manquent en 1918 pour arriver au décompte de 2'000'000 de cas.

En regardant le nombre de cas d’influenza durant la décennie 1914-1924, on remarque une nette recrudescence des cas en 1918. Il faut tout de même préciser que les données antérieures à 1918 sont relativement peu significatives, étant donné qu’il ne s’agit pas encore d’une maladie à déclaration obligatoire. D’autre part, comme nous venons de le voir, la morbidité, et par conséquent la mortalité, a été sous-estimée et le nombre de décès est sûrement plus important que celui annoncé par l’Office fédéral de la statistique. Après 1918, des accroissements ponctuels sont notés, mais ils n’ont rien à voir avec ce qui a été constaté en 1918.

Illustration 15 : Graphique montrant le nombre de cas d’influenza en Suisse entre 1914 et 1924, source : graphique élaboré à l’aide des données de différents bulletins du Service suisse de l’hygiène publique 1915-1925.