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1. Le patrimoine culturel immatériel

1.1 Les origines du carnaval

Les origines du carnaval suscitent l'intérêt des chercheurs qui ont, d'ailleurs, des points de vue variés sur la question. Pour certains, plusieurs éléments du carnaval étaient déjà ancrés dans les traditions européennes depuis des siècles, et ce, bien avant la venue du christianisme (Krol 2002). Quelques aspects de ces festivités, comme l'inversion des rôles sociaux, remonteraient à la période de la Mésopotamie antique (lorsqu'un quidam était choisi pour imiter le prince, mais sacrifié par la suite) ou, encore, à celle de la Rome antique (où maîtres et esclaves s'échangeaient leurs positions pour une journée) (Krol 2002). Selon l'ethnologue Chappaz, cité par Krol (2002), « les rites d’inversion étaient, en effet, très forts lors de ces fêtes calendaires de l’Europe pré-chrétienne ».

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Kochtchouk (2001: 24), quant à lui, rappelle que les racines du carnaval sont très anciennes, païennes et, pour l'Europe, principalement issues de communautés rurales qui n'ont pas laissé de traces écrites de l'origine de ces festivités. Cependant, d'autres, tel Kinser (1990: 5) et Mauldin (2004:17), soutiennent que c'est plutôt à la période médiévale, dans les pratiques festives de la fin du cycle de l'hiver et du début du printemps, ainsi que dans les pratiques sociales et agraires de l'époque que s'implantèrent les célébrations du carnaval dans certains milieux ruraux européens (comme, par exemple, en Italie)72.

Martin (2001: 7) souligne que les festivités associées au carnaval commencent à la fin de l'hiver, après les fêtes de Noël, et servent de pont jusqu'à l'été. Il conclut qu'il faut comprendre le carnaval comme un cycle où les « jours gras », jours fastes et d'excès, ne représentent que le point culminant de ces célébrations printanières carnavalesques.

Kinser (1990: 6) et Mauldin (2004: 3) s'entendent donc pour situer l'origine du carnaval au temps de l’Europe médiévale. À cette époque, pour les chrétiens, la période précédant le carême était désignée par le terme latin « carnem-levare », signifiant « to remove [oneself] (levare) from flesh or meat (carnem) » (Mauldin 2004: 3). Les Italiens l'ont renommé « carnevale », ou « flesh farewell » qui deviendra, par la suite, « carnaval » (Mauldin 2004: 3). Ce terme fait référence au temps de l'année, débutant à l'Épiphanie (Gill 2007: 27), où l'on retire la chair de son alimentation et « où l'on consomme, une dernière fois, des aliments gras avant d'entrer en carême »73. Pendant

quarante jours, les chrétiens doivent ensuite « faire maigre » jusqu'à Pâques.

Or, le point culminant du carnaval est le Mardi gras, jour de grandes réjouissances rempli d'excès de toutes sortes: nourriture, alcool, etc. Cette journée précède le mercredi des Cendres ainsi que le début d’une période d’austérité et de jeûne pour lesquels les chrétiens devaient observer des règles strictes de privation (Riggio 2004: 13). Le carnaval, et, surtout, le Mardi gras, correspondait à un dernier moment de fête pour les fidèles avant le carême. Ainsi, la période du

72 « Long the way, a variety of social and agricultural festive practices that had originally been celebrated at different

points in late winter and early spring were incorporated into the Carnival activities Many of the practices were very old, reflecting pre-Christian forms of play and ritual that had gone through adaptation and transformation for at least a thousand years by the time they were associated with the pre-Lenten festival ». Voir Barbara Mauldin, ed., ¡Carnaval! , Seattle, University of Washington Press, 2004, p. 17.

73 Voir Annie Sidro, « Carnaval », Encyclopaedia Universalis, http://www.universalis.fr/encyclopedie/carnaval/, consulté le

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carnaval leur accordait une dernière chance de festoyer, de manger et de boire tout ce qu'ils voulaient en grande quantité, avant la période de restriction imposée par le carême.

De plus, c'est avec le temps et, surtout, l'influence de l'Empire romain et du christianisme, que les pratiques associées au carême, et par le fait même celles du carnaval, se sont répandues. Chappaz, cité par Krol (2002) avance que, lorsque « le christianisme devient religion d’empire [en référence à l'Empire romain], l’austère quarantaine de carême s’inscrit dans le calendrier liturgique, le carnaval y prend sa place ». En conséquence, au fil du temps, plus l'Empire romain grandissait et influençait les pratiques des fidèles chrétiens, plus les célébrations du carnaval s'implantèrent dans les habitudes festives et calendaires de ces derniers.

De son côté, Mauldin (2004: 5-13) traite des multiples facettes du carnaval, en mettant l'accent sur l'aspect festif qui s'est installé en Europe, aux XVᵉ et XVIᵉ siècles. Selon cette auteure, c'est à ce moment que se sont enracinées, au cœur des traditions populaires, les caractéristiques fondamentales du carnaval. Ce dernier représentait, alors, une occasion pour l'élite sociale d'organiser des bals masqués, des performances théâtrales et des compétitions de toutes sortes. Pour le reste de la population, cette période de carnaval correspondait à la tenue de fêtes rurales, plus ou moins structurées, où prenaient place des mascarades, des parades et des célébrations exubérantes. Émergent, également, des « charivaris », c’est-à-dire des parades de groupes à l'allure joyeuse et délurée qui déambulaient dans les rues. Ces gens chantaient, en s'accompagnant de musique ou en frappant sur des casseroles. Dans certaines communautés, les paysans pratiquaient le « mummering »74, des processions de personnages costumés passant de maison en maison, afin de quêter de la nourriture ou d'autres objets. Selon Mauldin, on constate aussi l'apparition de costumes multicolores, parfois aux allures animales, ou la présence de cloches pour signifier l'arrivée des participants du carnaval. Elle souligne, également, les quantités gargantuesques de nourriture et d'alcool consommées lors de ces célébrations, « comme s'il n'y avait pas de lendemain ». Enfin, Mauldin rappelle comment l'implantation du catholicisme en dehors de l’Europe, en des lieux comme l'Amérique, a contribué à la diffusion du carnaval au sein de différents peuples.

74 Comme le souligne LeBlanc, dans son étude sur des traditions similaires (celle de la Mi-carême dans la région du

Cap-Breton en Nouvelle-Écosse), les célébrations du « mummering » se déroulent encore de nos jours dans de nombreuses régions de Terre-Neuve-et-Labrador. Voir Barbara LeBlanc, « Se masquer à la Mi-carême : perspectives de renouveaux communautaires », Port Acadie: revue interdisciplinaire en études acadiennes / Port Acadie: An

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Dans une autre perspective, pour Riggio (2004: 13), une période de célébration, mais aussi de contradiction, commence à l'aube du carême. Selon ce chercheur, les festivités carnavalesques s’inscrivent au carrefour de l'hiver et du printemps, de l'indulgence et de l'abstinence, de la mort et de la naissance, de l'ordre et du chaos, du travail et du loisir. Le carnaval, d'après Riggio (2004: 13), a toujours été situé aux croisements de plusieurs frontières : entre les classes sociales, les genres, les races, les ethnicités et les territoires géographiques. Il conçoit ainsi le carnaval comme étant caractérisé par le paradoxe et la contradiction. Comme l'affirme Krol (2002), la plupart des carnavals ont été édifiés sur ces bases, mais ils ont, également, évolué au fil des siècles.

Par ailleurs, selon Mauldin (2004: 4), les nombreuses fêtes, mascarades et performances observées lors des carnavals illustrent bien l'histoire des communautés et l'évolution de leurs traditions. Cette auteure (2004: 1) explique le caractère universel des festivités carnavalesques qui se sont propagées, au fil du temps, dans divers pays comme le Brésil, les États-Unis, l'Espagne, Haïti, l'Italie, le Mexique ou la Suisse, bien que chacun de ces carnavals ait des spécificités qui lui sont propres, selon l'endroit et les saisons où il se déroule. Ceux-ci peuvent être regroupés selon trois grandes régions : « les carnavals des pays nordiques (surtout germaniques), ceux d'Europe du Sud et enfin les carnavals des Amériques »75. Ndagano (2010: 9) résume : « Le carnaval est alors à

saisir comme un espace de rencontre entre les cultures et identités, leurs heurts, leurs ruptures et leurs convergences ». Bref, cette évolution et cette propagation du carnaval a contribué au développement d'une multitude de célébrations partout dans le monde, possédant chacune ses propres caractéristiques. De même, il existe une littérature riche et diversifiée sur le sujet.