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1. Le patrimoine culturel immatériel

2.3 Le Mardi gras rural en Louisiane

2.3.4 Le Courir du Mardi gras cadien en évolution

La tradition du Mardi gras touche plusieurs aspects de la culture cadienne en Louisiane. Comme le souligne Ware (1994, 2003b: 60), l'émergence des Courirs comme symbole de la fierté cadienne constitue un phénomène récent.Cette auteure (2003b: 160) rappelle que les Cadiens ont fait face aux tendances envahissantes de l'américanisation du XXe siècle. Dans ce contexte, la

francophonie et ses moyens d'expression culturels, dont les Courirs du Mardi gras cadiens, étaient considérés comme étant de « l'arrière-pays » et désuets. Ware (2003b: 160) indique que la popularité des Courirs a diminué, dans les années 1930 et 1940, entre autres, parce que plusieurs les associaient à des abus d'alcool et à de rudes batailles.

Toutefois, Ware (2003a: 34) observe que, malgré tout, le Courir du Mardi gras rural a subsisté et qu'il est demeuré en constante évolution. Selon cette auteure (2003a: 34-35), ce processus implique une multitude de facteurs, tant intérieurs qu'extérieurs. Elle qualifie les frontières d'une tradition, tel le Courir du Mardi gras, comme étant « élastiques » (Ware 2001: 234, 2003b: 157). Citant Toelken (1996), Ware (2003a: 34-35) établit le parallèle voulant qu'une tradition soit tant une « continuité qu'une discontinuité » et que ce phénomène reste tout aussi « conservateur que dynamique ». Comme exemples, elle propose les cas des Courirs de Tee-Mamou et de Basile. Pour ces Courirs, malgré le contexte de la modernité, des participants ont révélé vouloir « s'accrocher à leur tradition » en se masquant et en courant le Mardi gras comme leurs parents et leurs grands- parents (Ware 2001: 242).

En outre, Lindhal (1996: 130, 2004) tient des propos similaires au sujet du Courir du Mardi gras cadien. Il remarque le caractère évolutif des festivités ainsi que leur adaptation face aux nouvelles réalités contemporaines. Lindhal (1996: 130) présente le Courir comme un phénomène issu du passé, mais vivant et s'intégrant également dans le présent : « As the demonstrably ancient

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form of Mardi Gras absorb the newest cultural developments and changes shape to accommodate the clash between the archaic and the contemporary is visible everywhere within the celebration ».

Pour Lindhal (1996: 68), le long isolement géographique vécu par les Cadiens a contribué au maintien de certains traits plus anciens du Courir du Mardi gras. En citant l'exemple du Courir de Basile (2004), il remarque que ses artisans ont su respecter de nombreuses caractéristiques anciennes de la tradition, sans sombrer dans le côté archaïque de la fête. Malgré un contexte contemporain de plus en plus englobant, y prendre part constitue un moyen, pour les participants, de se souvenir de leurs origines. Cela représente, pour Lindhal (2004), l’essence même du Courir du Mardi gras cadien. Il rappelle également l'importance de la transmission de la tradition d'une génération à l'autre : selon lui, il faut tenir compte de la signification associée aux rôles de chacun. Enfin, Ware (2003a: 35) et Lindhal (2001: 132) constatent tous deux que la tradition du Courir du Mardi gras est d'autant plus significative pour ses principaux acteurs, qui s'impliquent intensément pour la garder vivante.

En ce sens, le Courir du Mardi gras cadien est défini et redéfini par la communauté (Ancelet 2001: 144, 2009: 5. Lindhal 1996, Sawin 2001). Comme le mentionne David (1999), cette tradition est l'affaire d'une communauté cadienne, en milieu rural, qui avait tissé des liens forts d'entraide et de partage au fil du temps. Pour Comeaux (2010: 15), le Courir du Mardi gras réaffirme l'appartenance à une communauté : on y participe « avec les siens ». Selon cet auteur, chaque groupe organise son Courir, basé sur sa propre perception de la tradition. Cette situation apporte, d'après Comeaux (2010: 23), un système « flexible » où chacune des communautés peut dessiner ses règles pour mettre en œuvre le Courir du Mardi gras.

D'ailleurs, Lindhal (1996: 126) affirme que l'évolution de la tradition et la modernité ont amené chaque communauté à réinventer continuellement sa façon de célébrer le Mardi gras. Ces groupes ont dû choisir les éléments qu’ils croient les plus significatifs pour réaliser les Courirs. Selon Lindhal (1996: 126), ceux qui considèrent que la tradition est « en danger » jugent que les menaces ne proviennent pas d'influences extérieures, mais qu’elles sont causées par l'insuffisance de liens intrinsèques avec la mémoire du passé, que Lindhal nomme « remembered past ». Enfin, Ware (2003a: 35) souligne que le Courir du Mardi gras cadien représente la constante négociation d'un

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mode d'affirmation culturelle complexe, dans un contexte où les définitions et les formes de la tradition sont en évolution.

En plus, dans une étude menée sur différents Courirs du Mardi gras émergents, Ancelet (2009) conclut que cette tradition repose sur sa transmission intergénérationnelle, sur la définition de la communauté ainsi que sur les symboles marquants du Mardi gras. Parfois, trouver des lieux pour accueillir les Courirs et adapter la tradition aux contraintes physiques constitue un défi pour les instigateurs. Malgré ces dernières, l’aspect « d’improvisation », caractéristique du Mardi gras traditionnel, permet aux organisateurs de s’adapter sur le vif tout en conservant l’esprit et l’essence des festivités (Ancelet 2009: 21).

Ancelet (1989a: 211-219) souligne également les nouvelles réalités du Courir du Mardi gras, dont la présence des touristes. Il explique qu'à certains endroits, comme au Courir de Tee-Mamou, les organisateurs ont effectué des changements afin d'accommoder les visiteurs. Le parcours original fut, notamment, modifié pour se terminer en plein centre-ville. La fête est, ainsi, plus accessible aux étrangers qui souhaitent y assister. Les Mardi gras partent donc tôt le matin, effectuent le Courir dans leur voisinage, puis reviennent en ville, vers le soir, pour participer à un bal où tous sont conviés. Ancelet (1989a: 211-219) voit dans ces ajustements un moyen ingénieux mis en place par les participants pour vivre, entre eux et plus intimement, leur journée du Mardi gras. Néanmoins, cette situation satisfait ceux, restés en ville, qui veulent participer, eux aussi, aux célébrations.

Un autre exemple d'accommodement du Courir du Mardi gras pour les touristes est le gombo communautaire. Celui-ci, autrefois réservé uniquement aux participants du Courir, est désormais offert à tous. Enfin, Ware (2003b: 168) note que, pour certains Courirs dont celui d'Eunice, les organisateurs ont voulu donner une nouvelle identité au Mardi gras en rendant les célébrations éducatives et divertissantes. Pour ces derniers, toucher un public plus vaste que la communauté locale constitue un moyen de renseigner les étrangers sur l'histoire et sur la signification du Courir. Ces quelques exemples démontrent, entre autres, l'évolution de la tradition du Courir du Mardi gras dans le contexte contemporain.

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