• Aucun résultat trouvé

1. Le patrimoine culturel immatériel

4.3 La tradition et l'innovation

4.3.3 Le défi du poteau

Le Courir de Faquetaique se distingue des autres Courirs du Mardi gras, notamment, par le défi du poteau. Propre à Faquetaique, ce défi frappe l'imaginaire tout en évoquant le côté carnavalesque du Mardi Gras.

D'abord, comme souligné par L. Fontenot, le défi du poteau fut inventé suite à la première édition du Courir de Faquetaique, où les participants devaient attraper un cochon graissé. Il déclare que cette épreuve a « quelque peu dégénéré », car la bête s'était enfuie dans un champ. Alors, les organisateurs ont envisagé le défi du poteau, moins compliqué, mais tout indiqué pour mettre à l’épreuve les Mardi gras.

106

Le défi du poteau génère une scène des plus carnavalesques. Le principal intérêt de cette épreuve, comme l’indique L. Fontenot, consiste à s’amuser en regardant les autres essayer de grimper pour attraper le poulet. Pour accéder au butin, les participants doivent former une pyramide humaine, ce qui provoque des moments cocasses. Ainsi, on conserve l’esprit de jeu caractéristique du Mardi gras et du carnaval. De plus, par cette épreuve singulière, on constate la créativité des instigateurs du Courir de Faquetaique, pour qui le défi du poteau est un moyen d’ajouter de l'amusement à leur célébration. Il est possible, cependant, d'établir un parallèle entre le défi du poteau du Courir de Faquetaique et la célèbre tradition du « mât de Cocagne » telle que présentée dans les festivités carnavalesques européennes100. Puisant son origine à l'époque médiévale, cette

dernière consiste en un jeu d'adresse et d'habileté, typique des fêtes populaires, où les gens devaient grimper sur un poteau graissé afin de saisir un objet convoité. Or, L. Fontenot, organisateur de Faquetaique, n'a jamais fait allusion à cette tradition lors de notre entretien. Pour lui, ce n'était qu'une simple idée amusante et non une référence au carnaval.

D'ailleurs, interrogée sur le défi du poteau, DeCuir parle de l’essence de la fête. Elle est consciente de ses propres motivations et révèle une réflexion personnelle approfondie sur le sens du Courir. La raison d’être du Courir du Mardi gras, pour DeCuir, repose sur des gestes de partage entre les Mardi gras et les voisins. Elle affirme : « On est là pour l’amusement des autres ». Pour elle, ce défi inusité représente un moyen, pour les organisateurs du Courir de Faquetaique, d’être certains d'obtenir cet amusement. Prudente, elle avoue ne pas vouloir participer et encore moins être à la base de la pyramide humaine : « Moi, je peux courir après cinquante poulets, mais je ne vais jamais être à la base de cette pyramide. Je vais regarder de loin et rire comme les autres ». Pour elle, la réciprocité typique du Courir du Mardi gras, entre les voisins qui donnent un poulet et les Mardi gras qui offrent du plaisir en retour, est bien représentée dans cette épreuve. Cependant, connaissant ses propres limites, elle choisit d'encourager les participants et de profiter d’un moment divertissant.

En plus d’être distrayant pour ceux qui en sont témoins, le défi du poteau suscite un effort collectif. On peut y voir un rappel de l’époque où les Cadiens se regroupaient afin d’effectuer des

100 « Le mât est un poteau très haut, le plus lisse possible et presque toujours enduit de savon ou de gras, à son sommet

il y a une roue de baril ou de bicyclette, de laquelle pendent des saucissons, des saucisses, des friandises, des jouets et objets variés qu'il faut détacher après avoir grimpé le long du poteau. Qui réussit gagne l'objet attrapé ». Voir Pietro Gorini, Jeux et fêtes traditionnels de France et d'Europe. Rome, Gremese International, 1994, p. 128.

107

travaux dans le voisinage, comme des boucheries et des « coups de main ». C’est aussi un symbole de la communauté qui se rassemble pour atteindre un but commun et qui partage la joie de la réussite. D'après Roe : « You can’t get to the top of the pole by yourself. Eventually, they have to figure out how to work together. So they built a human pyramid that was about three people tall. That’s the only way to get the chicken out : to work as a community ».

Le sens même de la communauté cadienne y est recréé, selon Roe, qui juge que c'est également une bonne occasion de faire la fête. Tout comme DeCuir, il est demeuré spectateur du défi, a encouragé les participants et a pris des photographies, comme références pour ses œuvres futures.

Henry déclare quant à lui que le défi du poteau l'a « vraiment surpris ». N'ayant jamais été témoin d'une telle scène, il a pensé que cette épreuve était dangereuse, car il y avait des enfants qui se mêlaient au groupe de grimpeurs. Il s'est inquiété pour la sécurité des gens, qui auraient pu être piétinés. Il est même intervenu pour « sortir quelques personnes d'en dessous » de la mêlée. Enfin, Henry suggère aux organisateurs de réviser cette pratique qui pourrait « mal tourner », surtout que beaucoup d’alcool est consommé lors du Courir.

En somme, le défi du poteau réunit plusieurs aspects du Courir du Mardi gras et de ses origines carnavalesques. C'est un échange qui prend place entre ceux qui offrent le poulet « pour donner la charité » et ceux qui donnent un amusement pour l'acquérir. De plus, c'est un jeu de rôle consistant à mettre à l'épreuve les Mardi gras, qui s'en donnent à cœur joie pour atteindre leur butin. De surcroit, cette épreuve représente l'esprit communautaire présent à l'image des communautés cadiennes du sud-ouest de la Louisiane.