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L'orientation profondément romaniste de Colladon lui a naturellement facilité grandement le développement et l'incorporation dans son Edit des

normes genevoises de racine romaine déjà établies auparavant et elle nous fait comprendre sans peine aussi son recours aux Coutumes de Berry que l'on compte, on le sait, parmi les plus romanistes des coutumes françaises de l'époque

553,

recours favorisé, par ailleurs, par la pénétration à Genève du droit savant et son évolution depuis le haut moyen âge m. Colladon n'a pas éprouvé non plus de difficultés pour utiliser dans son Edit de nombreuses autres dispositions de « droict » provenant des usages ou empruntées direc-tement aux sources. On retrouve ainsi la pensée romaine dans presque toutes les parties de nos « Loix » où elle forme, en quelque sorte, la règle de fond

551 Cf. Cramer, I.e., p. 83: « toutes les compilations de nos Edits... ont regardé le droit romain comme étant notre droit commun ... comme la source et la base de nos Loix. » Cf. Gottfried Partsch, Einfluss des romiscl1en Rechts auf das Genfer Recht vom 13. Jahrlumdert bis zum a11sgehe11de11 15. Jahrl11111dert, p. 69.

552 Cf. Cramer, I.e., p. 84.

553 Cf. Cramer, I.e., p. 80 ss, qui n'en donne pourtant que quelques exemples.

554 Cf. Cramer, I.e., p. 84: «notre Edit. .. suppose toujours (le droit romain) comme un point d'après lequel on est parti pour former les Edits. »

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à laquelle l'édit «déroge» 555, comme par exemple en matière de société, de vente, de bail, de louage de services, d'hypothèque ou de 'novi operis nuntiatio', ou encore apporte un élément nouveau qui complète le régime traditionnel d'une in&titution, comme c'est notamment le cas dans le cadre du droit des personnes et des successions. Traitant d'une part de la capacité des personnes, de l'organisation de la famille, de la tutelle et de la curatelle et exposant d'autre part très en détail les règles concernant les successions ab intestat, les testaments, les substitutions et la condition des héritiers sous bénéfice d'inventaire, elles donnent à première vue l'impression de former des précis très résumés des problèmes essentiels de leurs domaines.

Cependant, la réalité est bien différente. Les normes romaines en cause sont, croyons-nous, le plus souvent sous-entendues ou évoquées non pas pour elles-mêmes, mais pour servir de support aux dispositions nouvelles.

Modifiées quant à leur sens et enfermées dans un cadre nettement délimité, elles s'accordent aux règles locales et coutumières, maintenues à Genève malgré les progrès considérables du droit savant depuis la renaissance de son étude. Consacrés par les mœurs et largement répandus, les us et coutumes en question ne pouvaient guère échapper à l'attention de Colladon; leur réunion et leur rédaction s'imposaient même pour créer un « Code de Loix » correspondant aux exigences juridiques et sociales de l'époque, pour faci-liter l'administration de la justice et tout spécialement pour éviter les dis-cussions sans fin dont le Conseil avait fait état dans son arrêt, déjà signalé, de 1560.

La tâche dévolue ainsi à Colladon impliquait, si on tient compte des expériences faites ailleurs, au Berry ou au pays de Vaud 556, de nombreuses, longues et difficiles recherches dont nous ignorons, hélas, tout détail (le débat concernant le taux de l'intérêt mis à part); aucun protocole, aucun rapport ou compte rendu de discussion n'existe pour nous renseigner sur les méthodes employées et la marche de l'entreprise. Nous pouvons tout au plus supposer que les différentes commissions, assez éphémères il est vrai, créées et recréées au cours des enquêtes et des investigations ne se bornaient pas à informer le Conseil de la progression des travaux mais

555 Cf. Partsch, I.e., p. 46, 61 ss., 79. Il convient ici de souligner l'importance de la thèse de M. Gottfried Partsch qui affirme, à juste titre, croyons-nous, la coexistence dès la fin du haut moyen âge, du droit romain, appliqué par les tribunaux de l'évêque, et des « consuetudines Gebennenses » régissant la juridiction de la cité, le tribunal du vidomne. Cf. Partsch, I.e., p. 58.

556 Voyez les éditions des Coutumes du Berry, qui rapportent les grands efforts pour établir le droit coutumier. Pour le pays de Vaud, consultez J.-F. Poudre!, Enquêtes sur la coutume du pays de Vaud et coutumier vaudois à la fin du moyen àge, Bâle, 1967.

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prêtaient aussi leur concours et leur savoir pour aider Colladon et ses colla-borateurs à réussir l'œuvre dont ils avaient la charge. En revanche, on peut constater, même assez facilement, l'apport du droit coutumier, qui est beau-coup plus grand qu'on ne le pense peut-être au premier moment. Révélé parfois expressis verbis par Colladon lui-même, il se manifeste avec une vigueur très variée, en visant tantôt seulement le détail secondaire tantôt l'essence et la structure tout entière d'une institution. Il se rencontre toute-fois dans presque tous les titres de nos « Loix », qu'elles concernent le droit des personnes ou le droit patrimonial, bien que ce dernier soit au

xvre

siècle,

à Genève, comme ailleurs, l'apanage du droit romain.

L'analyse quelque peu poussée de nos « Loix» fait, en effet, apparaître aussitôt que certaines coutumes sont restées vivantes, dans le droit des contrats: en matière de vente, quand il s'agit de la garantie due par un vendeur en raison des vices rédhibitoires d'un cheval vendu 567; en matière de louage, à propos des sûretés garantissant les créances éventuelles du bailleur 558, ou concernant la dissolution d'un bail avant terme, notamment en cas de vente de l'immeuble loué 669Il en est de même dans le domaine des droits réels: nos dispositions s'inspirent manifestement des coutumes en admettant la division horizontale de la propriété immobilière 560, en réglant minutieusement la servitude de mitoyenneté 561, en exigeant la res-titution du pri~ en cas de revendication d'une chose mobilière « pour droit de propriété » 562 et en confirmant la maxime selon laquelle les « meubles n'ont point de suite par hypothèque contre un tiers détenteur» 563

Les domaines par excellence de nos dispositions sont toutefois le droit des personnes et le droit des successions. Quant au droit des personnes, nous y trouvons tout d'abord les concepts coutumiers de la puissance pater-nelle, temporaire de par sa nature et bien plus une charge imposée au père qu'un pouvoir domestique 564, de l'usufruit paternel portant sur tous les

667 Cf. Edits civils de 1568, titre XVIII, 1.

668 Edits civils de 1568, titre XVII, 8. Cf. en particulier les hypothèques tacites sur

«les meubles estans portez en la maison louée» dont on précise qu'elles sont privilégiées, comme auparavant déjà - un principe que le droit romain ignorait (cf. Dig. 20.2.4); cf. Cramer, I.e., p. 39.

650 Edits civils de 1568, titre XVII, 4.

660 Edits civils de 1568, titre XIX, 13.

561 Edits civils de 1568, titre XIX, 1-11.

662 Edits civils de 1568, titre XXI, 4, 5. Quant à l'évolution du principe dont il s'agit, voyez Planiol, I.e., II, p. 849, n° 2703 s.

563 Cf. Edits civils de 1568, titre XIII, 9.

66' Ibidem.

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biens de l'enfant, quelle que soit la nature de leur provenance 565, et de l'émancipation, qui peut être expresse ou tacite, en cas de mariage par exemple ou de commerce séparé 566 Il en est de même de la puissance maritale 567, de la capacité de la femme mariée 568, des donations entre époux 569 et de leur régime matrimonial réservant à la femme les gains de survie usuels des coutumes, l'aumont de la «<lotte», les «robes, les bagues et les joyaux qu'elle aura porté avec son mary » 570Il en est encore de même de nombreuses dispositions du droit successoral, notamment des dispo-sitions réglant les conditions de forme et de fond pour faire un testament valable. Nos Edits, en particulier, ne demandent pas qu'on y fasse institution d'héritier 571; ils affranchissent les testaments renfermant des legs pieux, les testaments « pour cause pitoyable », des formalités ordinaires des actes de dernière volonté 572; admettant les substitutions graduelles, tout en les limitant «jusques au deuxième degré après la première institution » 573 et établissant la fusion de la réserve coutumière et de la légitime romaine 574 Il en est encore de même de certaines dispositions relatives aux successions ab intestat - il s'agit surtout du rang successoral des parents du défunt 575, de la condition successorale des conjoints survivants 576, des bâtards et des enfants illégitimes 577 - et nous retrouvons enfin nos coutumes dans nos

« Loix » qui appliquent la règle 'paterna paternis, materna maternis' 578 et qui prévoient le droit de retour des biens que le défunt tenait de ses ascendants 579

L'alliance intime des éléments de nos Edits et les raisons de leur choix.

Les Edits de Genève forment ainsi un corps de règles caractérisé par le fait que plusieurs ordres juridiques, essentiellement le droit romain et Je

565 Edits civils de 1568, titre XIII, 2, 6.

566 Edits civils de 1568, titre XIII, 4.

567 Edits civils de 1568, titre XIII, 5.

568 Edits civils de 1568, titre XIV, 9 ss.

569 Edits civils de 1568, titre XIV, 5, 13.

570 Edits civils de 1568, titre XXVII, 1.

571 Edits civils de 1568, titre XXVII, 5 ss.

572 Edits civils de 1568, titre XXVII, 5 in fine.

573 Edits civils de 1568, titre XXVIII, 3.

574 Edits civils de 1568, titre XXVII, 12 ss.

575 Edits civils de 1568, titre XXIX, 7 ss.

576 Edits civils de 1568, ibidem.

577 Edits civils de 1568, titre XXIX, 4, 5, 6.

578 Edits civils de 1568, titre XXIX, 7, 10, 11.

679 Edits civils de 1568, titre XXIX, 9.

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droit coutumier, d'origine et de conception différentes, se côtoient et sont si intimément alliés et mélangés qu'il est parfois difficile d'attribuer leur juste place aux articles de notre Code. Il nous suffira pourtant de rappeler ici que bien souvent le droit romain et la coutume offraient pour un même problème des solutions diverses. Nous mentionnons brièvement, pour donner quelques exemples, la puissance paternelle, viagère en principe en droit romain, mais essentiellement temporaire selon la coutume 580, la garantie prévue par la coutume à l'encontre du « droict » des vices rédhi-bitoires 581, l'usufruit, l'usage et l'habitation reconnus comme institutions autonomes par le droit écrit mais non pas par la coutume 582 ou encore la responsabilité des héritiers pour les dettes du de cujus: la coutume la limi-tait ipso iure, tandis que le droit romain, suivi par nos Edits, exigeait un procédé particulier: la rédaction d'un inventaire 583

Dans ces cas, et dans bien d'autres, on aimerait connaître les raisons qui ont amené Colladon à préférer l'une ou l'autre des solutions proposées par ses sources. Le défaut regrettable de tout acte ou protocole (si jamais il en avait existé) qui nous renseignerait sur les motifs de son choix, ne permet aucune réponse précise. Il nous semble pourtant possible, en faisant valoir certains principes caractérisant l'ensemble de l'ouvrage, d'indiquer un «leitmotiv»: la recherche du «bien général» 584, comme l'entendait l'économie de la Cité et comme le postulait l'Eglise calviniste de l'époque.

Nous pensons, en effet, que la réunion de nombreux éléments des droits locaux genevois, du droit romain et du droit coutumier, en un seul code n'était pas pour Colladon une simple opération de technique juridique, facilitant l'administration de la justice; il n'oublie pas que cette facilité n'est, malgré son importance indéniable, qu'une des conditions du bien-être de la société tout entière comme des individus qui la composent, et nous estimons qu'il s'est efforcé de concourir à son essor.

Cet effort se manifeste clairement dans de nombreux domaines traités par nos Edits. On le constate aisément, si l'on observe le souci de Colladon d'éviter toutes discussions et litiges concernant la propriété immobilière.

C'est bien dans ce but, croyons-nous, qu'il a repris, en les améliorant, les règles des Coutumes de Berry relatives aux rapports de voisinage et qu'il

580 Edits civils de 1568, titre XIII.

681 Cf. Edits civils de 1568, titre XVIII.

682 Cf. Edits civils de 1568, titre XX.

683 Cf. Edits civils de 1568, titre XXX.

584 Cf. Cramer, I.e., p. 81. Le RC du 2.1.1561 (56, fol. 125 r0) emploie dans le même sens l'expression «bien public».

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s'est occupé longuement de la «servitude de mitoyenneté» présentant un intérêt très particulier pour la cité de Genève dont les habitations et les bâtiments étaient étroitement enserrés et s'enchevêtraient les uns dans les autres 585; c'est encore dans le même but, pensons-nous, qu'il a soigneu-sement revu et inséré dans son code le fameux édit du Conseil de 1558 586 ,

«procurant aux possesseurs d'immeubles une entière sûreté ... quelque faveur paroissent mériter des prétendants, Absens, Pupilles, Veuves, même le « Fisc » 587

Le même effort se retrouve également dans le domaine des affaires, que Colladon, à l'instar de la Réforme, favorise à maints égards 588Il élargit le cadre des personnes capables de s'engager, en admettant l'émancipation tacite des fils de famille 589, et tend à offrir aux intéressés les meilleures garanties pour les opérations commerciales ou autres qu'ils pourraient envisager. Il prévoit la solidarité des « Marchands et autres faisans mar-chandises et trafic ayans société ensemble» 590, crée, par l'incorporation dans son code de l'édit déjà mentionné de 1558, l'une des bases fonda-mentales de tout crédit, hypothécaire ou non 591, et ordonne, toujours dans le même esprit, l'organisation du régime matrimonial, des substitutions 592 et de la responsabilité des héritiers pour les dettes du défunt 593 Il exige naturellement l'exécution loyale et fidèle des engagements assumés, en s'opposant résolument à toute rupture arbitraire d'un contrat, qu'il s'agisse d'un louage de maison, par exemple, ou d'une entreprise dont les ouvriers maçons voudraient se mettre en grève pour améliorer leur situation sociale, délicate, et devenant «chaque jour plus difficile» m. Il appuie avec force et en plein accord avec la Réforme 695, par une série de dispositions

détail-585 Ce fut notamment le cas de la maison Colladon, située à Genève, rue de la Bou-langerie, aujourd'hui rue de la Cité, n°s 29 et 31.

586 Voyez déjà supra.

587 Cf. Cramer, I.e., p. 81.

588 Cf. Cramer, I.e., p. 80 et notamment Bieler, I.e., p. 170 ss.

589 Edits civils de 1568, titre XIII, 6.

590 Edits civils de 1568, titre XV, 3.

591 Voir aussi Edits civils de 1568, titre XXV, 5: Obligation des notaires «de faire déclarer aux parties (dont ils rédigent le contrat)" s'ils n'ont point fait d'autres contrats ...

ou hypothèques notables pour raison de la même chose ... ». Quant aux exigences de crédit de l'économie de l'époque, voir Bieler, I.e., p. 142, 145, 166 et passim.

592 Edits civils de 1568, titre XXVIII, 1.

593 Edits civils de 1568, titre XXX. Elle est en principe entière, sauf si l'héritier a obtenu le bénéfice d'inventaire.

594 Cf. Bieler, I.e., p. 142, 146, 150, 161.

595 Cf. Bieler, I.e., p. 169 s.

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lées de son code, la lutte incessante de l'Eglise calviniste et des autorités