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Germain Colladon et la Réforme à Bourges

Germain Colladon eut ainsi à Bourges, à l'instar de son frère Léon 79 ,

3. Germain Colladon et la Réforme à Bourges

Le milieu social auquel Germain Colladon appartenait, et dans lequel il vivait, était un milieu ouvert aux idées religieuses nouvelles, au mouve-ment qui tendait à la réforme de l'Eglise 80 Favorisé par Marguerite d'Angoulême, sœur de François Jer, duchesse de Berry et reine de Navarre, il avait pénétré de bonne heure à Bourges 81 En 1523 et 1524, Michel d'Arande, l'aumônier de Marguerite, avait sur son ordre prêché !'Avent et le Carême à la cathédrale de Saint-Etienne et ses prédications semblent avoir eu un retentissement considérable dans la bourgeoisie, à l'Université et même dans les rangs du clergé 82Il se forma alors un petit groupe de personnes enclin à modifier les choses de l'Eglise qui, fortifié par Calvin 83, reçut sans doute une nouvelle impulsion et augmenta ses rangs dès que le Réformateur eut jeté les bases de sa doctrine et fut devenu le chef reconnu et incontesté de la Réforme française 84Parmi les « fidèles » de ce groupe figuraient alors des personnages importants, de hauts magistrats, des

80 Pour ce qui suit, v. notamment, Raynal, Histoir~ du Berry (1844), III, p. 308 ss.; Fauconnet-Dufresne, La réforme en Berry (1882), IV, p. 165 ss.; Brimont, Le XVJ• siècle et les guerres de la Réforme e11 Berry (1905), 1, p. 185 ss. Voir également Doumergue, Jean Calvin, I (1899), p. 169 ss.

81 Cf. Nathan Weiss, La réforme à Bourges au XVI• siècle, BSPF 53 (1904), p. 307 ss.

82 Cf. Weiss, I.e., p. 308 ss.; Bonnet-Maury, Le protestantisme au XVI• siècle dans les universités d'Orléans, de Bourges et de Toulouse, BSPF (1889), p. 323 ss.; Bourquelot, Notice sur le joumal de Jean Glaumeau, Mémoires de la Société des Antiquaires de France 22 (1855), p. 203 ss.

83 Telle est la tradition qui remonte à Theodore de Bèze, Histoire ecclésiastique des Eglises réformées, ed. Baum et Cunitz (Toulouse 1882), J, p. 20. On sait cependant que l'époque de la «conversation» de Calvin est difficile à situer et que bien des auteurs estiment qu'elle n'a eu lieu qu'après son départ de Bourges et son retour à Paris en 1533.

Voir sur cette question, sur laquelle nous n'avons pas à nous prononcer, en dernier lieu les avis opposés d'André Biéler, La pensée économique et sociale de Calvin (1959), p. 71 ss., et de Jean Cadier, Calvi11 (1958), p. 25 ss., 33 ss.

84 Cf. Chevalier de Saint-Amand, Hommes illustres du Bel'l'y; Nicolas, Théodore et Germain Colladon, Annonces Berruyères n° 25 du 22.6.1837.

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avocats et des notaires comme les Bigot et les Des Fossés, les Arthuys, les Chauveton, les Girard et les Ragueau, et parmi eux se trouvaient éga-lement leurs parents, alliés ou amis, les frères Léon et Germain Colladon.

Germain Colladon, en particulier, était un homme profondément reli-gieux. Il avait été gagné, de bonne heure semble-t-il, à la cause de la Réforme, sous l'influence peut-être de Calvin qu'il a dû rencontrer, pour devenir son ami 85, soit sur les bancs de l'Université, dans les cours de leurs maîtres communs, Pierre de !'Estoile à Orléans et André Alciat à Bourges, soit dans les cercles de la société qu'ils fréquentaient ensemble dans l'une ou l'autre de ces villes 86Depuis lors, et jusqu'en 1550, l'histoire de Colladon se confond avec celle de la Réforme à Bourges, dont il était selon toute vraisemblance un des piliers les plus sûrs et un des collaborateurs les plus actifs. Engagé envers Dieu par un vœu solennel de gratitude « per omne aevum » pour avoir été sauvé avec sa famille du danger mortel causé par une foudre incendiaire ayant frappé sa maison au pré Fiscal 87, il ouvrit largement sa demeure de la rue d'Orron à tous ceux qui partageaient ses convictions 88 Son «logis bâti en la paroisse de Fourchault » 89 était le lieu de réunion habituel dés partisans de I' « Eglise des Chrétiens», où les nouveaux adhérents furent reçus et où se faisaient, au moins en 1562 mais très probablement déjà plus tôt, «communément les presches et les exor-tations » des fidèles 90, qui d'ailleurs fraternisaient entre eux - et notam-ment avec les Colladon - dans un esprit de parfaite égalité. A cet égard est très instructive la lettre si touchante d'une humble huguenote de Bourges, Jeanne Breul (ou Breuil) qui, s'adressant à son fils réfugié à Genève, lui

85 Cf. la lettre, aussi cordiale que familière, que Calvin adresse Je 15.5.1550 au neveu de Germain, Nicolas Colladon (v. Opera Calvini, XIII, p. 562 s. n° 1365), en Je chargeant de saluer ses parents, son oncle (Germain) « totasque familias». Elle suppose l'amitié entre Calvin et Germain Colladon.

86 Doumergue, I.e., 1, p. 169, affirme que Calvin a connu Germain Colladon à Bourges et fréquenté la maison de ce dernier en la rue d'Orron. Mais d'une part, rien n'exclut que Calvin et Colladon se soient rencontrés déjà à Orléans, étant tous deux et à la même époque des élèves de Pierre de !'Estoile, et d'autre part, Calvin ne put être reçu dans la maison de la rue d'Orron, puisqu'à l'époque de son séjour à Bourges (en 1529), Col-ladon n'en était pas encore propriétaire (v. supra, p. 31, n. 65).

87 Cf. David Colladon, I.e., p. 63 s. (v. supra, p. 34, n. 81).

88 Cf. Weiss, I.e., p. 341.

89 Sic Jean Glaumeau, Joumal de l'histoire du Berry (éd. Hivert 1867), p. 45. Il s'agit donc de la maison que Colladon possédait «in parocia Fiscalensi », car c'est la seule qu'il fît «bâtir» (v. supra, p. 32), et non pas de la grande maison, fort ancienne, en la rue d'Orron, comme on l'admet très généralement sur la foi d'un passage (imprécis) de )'Histoire ecclésiastique (déjà citée), 1, p. 760, II, p. 484; voir dans ce dernier sens: Weiss, I.e., p. 341, 346; Doumergue, I.e., 1, p. 169; Cadier, I.e., p. 26, n. 1.

90 Cf. Glaumeau, I.e., p. 45.

ERICH-HANS KADEN

présente « Madame des Bergeries et Madame la Colladone » comme étant de ses « amys », bien que celles-ci aient appartenu à des familles bour-geoises des plus importantes 91

La communauté réformée de Bourges, bénéficiant peut-être de la faveur de la duchesse Marguerite, ne fut pas au début sérieusement inquiétée et avait même assez d'influence pour pousser aux hautes charges municipales quelques-uns de ses membres 92, notamment le frère de Germain, Léon Colladon, élu échevin de la ville en 1542 et 1543 93Cependant, la répression et bientôt la persécution de la nouvelle doctrine ne se firent pas attendre.

Les adhérents, gravements menacés déjà sous François 1er depuis l'affaire des placards en 1534, allaient être exposés au pire dès l'avènement du roi Henri II, décidé à mettre fin au mouvement et à la propagande des nova-teurs. En 1547 la fameuse «Chambre ardente», présidée par Pierre Lizet, fut installée et donna lieu, un peu partout en France, à d'innombrables procès intentés aux réformés qui, poursuivis pour « crime de religion»

et accusés de tendances anarchistes visant au bouleversement de la société, vont endurer les plus dures épreuves, si ce n'est la mort 94A Bourges même, les événements se précipitent 95. En 1548, on brûle en effigie un évangéliste courageux; en 1549, un jeune homme accusé d'hérésie est exécuté et de nombreux procès poursuivent les «hérétiques »; en 1550, un pauvre col-porteur est mené au supplice; à Pâques de la même année, un «registre des communiants » est ouvert pour dépister les personnes refusant de rece-voir la communion au temps pascal et pour constituer ainsi une première liste de suspects; enfin, au mois de juin 1550, !' « Edit des inquisiteurs de la Foy» est promulgué en vue de pourchasser les Réformés.

L'intransigeance et la violence toujours accrue de la répression créèrent pour Colladon, fervent partisan de la Réforme, le danger d'une catastrophe imminente. On comprend donc, même sans admettre des persécutions per-sonnelles préalables 96, qu'il prit la décision, sans doute très douloureuse

91 Cf. H.-V. Aubert, Lettre d'une Huguenote à son fils, réfugié à Genève (1557), BSPF 48 (1899), p. 299 SS.

92 Cf. Weiss, I.e., p. 341; Brimont, I.e., I, p. 186.

93 Voir supra, p. 25, n. 20.

9t Cf. Walker, Jean Calvin (1909), p. 139; Paul-E. Geisendorf, Le livre des habitants de Genève (1957), p. XIII; Biéler, I.e., p. 74.

95 Cf. Weiss, I.e., p. 326 SS.; 333 SS.

96 Cf. cependant Haag, La France protestante, 2° éd., IV, p. 511, qui estime que la retraite des Colladon «avait sans doute été précédée de graves péripéties»; mais cette affirmation ne trouve aucun appui valable dans nos sources.

COLLADON A LA CHÂTRE ET A BOURGES

pour lui 97, de quitter son «pays naturel», la France, et cela d'autant plus rapidement que Calvin, soucieux d'éviter un sacrifice inutile, venait d'en-voyer aux Colladon une lettre, prudente et pressante à la fois, les solli-citant de ne point tarder mais de partir incessament pour Genève 98Ce départ eut lieu le 12 août 1550 99: Germain Colladon, son frère Léon et le gendre de ce dernier, le notaire Jehan Ragueau, leurs femmes et leurs enfants 100 quittent Bourges, probablement en grand secret 101, et se rendent à Genève «pour y faire profession de la religion réformée

»

102 Arrivés qu'adressée au neveu de Germain, Nicolas Colladon, elle avise tous les Colladon du péril en la demeure.

99 Cette date est attestée par un témoin contemporain, Jean Glaumeau, I.e. p. 45.

Cf. cependant Haag, I.e., qui indique le 19 août 1550 comme jour du départ. Il a été suivi, dans un premier temps, par Roman et Weiss (BSPF, 52 (1903), p. 127), mais corrigé ensuite par Weiss (BSPF 53 (1904), p. 340, n. 1). De toute évidence erronée est l'affirma-tion de Thaumas de la Thaumassière, Histoire du Berry, p. 195, suivi par plusieurs auteurs (en dernier lieu par Maransange, I.e. 1, p. 177 s.), qui place le refuge des Colladon en 28 août 1550: Léon et Germain Colladon et Jehan Ragueau du pays de Berry.»

105 Cf. RC Part. 28.8.1550, «après disné ».

106 Formule usuelle; cf. le livre des habitants de Genève, première page.

107 Cf. pour Germain Colladon déjà plus haut, p. 9, et pour Léon, cf. Archives du Cher, Min. Gilbert Arboux du 11.5, 30.5 et du 15.6.1548 et Min. Jehan Girardeau du 10.1.1549 (a. st.), 10.1.1550 (n. st.).