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L'importance centrale qui revient ainsi à l'aveu de l'accusé explique l'acharnement dont Colladon fait preuve pour obtenir, voire même arracher

au prévenu la confession du délit et permet de comprendre le rôle consi-dérable que le 'medium eruendae veritatis' par excellence, la torture judi-ciaire, la question, joue dans les avis de notre jurisconsulte. Cette mesure, si injuste et inhumaine à nos yeux

322,

mais parfaitement légale - les Edits de Genève la prévoient expressément

322 -

et fort répandue au

XVIe

siècle et bien plus tard encore, Colladon la considère avec Calvin

324

et l'opinion dominante de l'époque

325

comme «un remède à bon droit introduit de tout temps et par toutes bonnes lois et polices contre ceux qui sont de mauvaise conscience et chargés d'indices urgents et violents »

326

Il convient cependant de relever aussitôt que la question est pour lui un mode extra-ordinaire et subsidiaire d'arriver à la découverte de la vérité, un moyen extrême d'une gravité toute particulière

327

Colladon se rend parfaitement compte que les conséquences de son application peuvent être aussi lourdes que celles d'une peine

328

et estime « qu'il ne faille légèrement procéder à

.

la torture et question à cause qu'elle est de grand préjudice»

329

Il s'attache visiblement à restreindre son administration et à l'entourer d'un certain nombre de garanties et de précautions. Ses avis dans ce domaine se dis-tinguent en effet par une relative modération et laissent parfois même percer le sentiment de pitié qu'il semble éprouver pour les malheureux voués à la torture. Cette attitude - d'autant plus remarquable qu'elle est loin d'être partagée par la doctrine contemporaine la plus répandue

330 -

se manifeste déjà par le fait que Colladon, avant de venir à la question, admet, le cas échéant

331,

l'accusé à bailler ses défenses

332

et cherche au préalable à

pro-322 Voir à ce propos notamment Beccaria, Dei delitti e delle pene, §XII. Cf. Graven, Beccaria et l'avènement du droit pénal moderne, 1738-1794. Mémoires de la Faculté de Droit de Genève (1948), 142.

323 Voir les Edits politiques de Genève de 1568, au titre «des matières criminelles».

324 Voir son mémoire de 1546, adressé à la Seigneurie de Genève. Cf. Galiffe, Quelques pages d'histoire (1862), p. 74, et voir à ce propos aussi Geisendorf, dans Pfister, Das Christentum und die Angst (1944), p. 264, n. 275.

325 Cf. Allard, I.e., p. 290 ss.; Laurent Chevailler, Droit romain et droit pénal dans la doctrine du XVJe siècle. Studi in memoria di Paolo Koschaker, II (1954), p. 103 ss.

326 Cf. PC, 1, 1275.

327 L'affirmation de Galiffe, Notices généalogiques (1831), Il, p. 566, que Colladon

«opinait habituellement pour la torture», nous paraît inexacte et tendancieuse.

328 PC, I, 689bis.

329 Cf. PC, 1, 482 (avis du 16 février-30 mars 1553).

33

°

Cf. Chevailler, I.e., p. 103 ss.

331 C'est-à-dire si les règles de la procédure inquisitoriale le permettent. Voir à ce propos l' « Instruction de la procedure en cas de crime », de Colladon lui-même.

332 Cf. PC, 1, 1053, 1125. .

COLLADON A GENÈVE 89

voquer l'aveu du prévenu sans recourir aux violences physiques, en le présentant simplement aux instruments de la torture ou en le « comminant par les fers» 333Elle se révèle également par son souci d'adapter les modalités et la mesure des tourments à la grandeur du crime 334, à la qualité des accusés 335 et à la condition des personnes en cause, en modérant le supplice des jeunes 336 et en l'épargnant entièrement aux femmes enceintes 337, aux personnes fort avancées en âge338 et aux malades qui ne peuvent l'endurer339 Il importe cependant de relever surtout que Colladon requiert la question seulement dans les cas d'un « crime attroce » 340 ou d'un autre crime « qui étant prouvé mérite peine corporelle ou capitale » 341, et qu'il exige, enfin, au moins, sinon la preuve précise préalable du délit, des témoignages et des indices suffisants, urgents et violents chargeant lourdement un accusé 342 qui, étant « pertinax », s'obstine contre toute évidence à ne rien avouer et à renier sa faute 343Colladon, qui rappelle fréquemment ces éléments conditionnant la torture, rejette par conséquent la question toutes les fois que les informations reçues, les témoignages, indices ou conjectures laissent planer un doute ou paraissent impropres à convaincre le prévenu 34\ car autrement dit-il, «n'y aurait homme honnête qui ne fût en danger» 345

Les tempéraments et les restrictions apportées par Colladon à l'admi-nistration de la torture impliquent qu'il ne la conçoit pas comme une anti-cipation ni comme une « tranche » de la peine qui sera prononcée à l'égard

333 Les avis de Colladon dans ce sens sont assez nombreux. Voir à titre d'exemple le PC, 1, 1139 (avis du 19.8.1563).

334 Cf. PC, 1, 469. «La question et torture doit être donnée ... fort et ferme à cause de la gravité et atrocité du crime» (de sodomie).

335 Colladon distingue et traite différemment les «hommes de bien et les individus de mauvaise vie et conversation». Voir notamment: PC, 1, 1079, 1125, 1173, 1323.

336 Cf. PC, I, 1470, 1562.

331 Cf. PC, I, 811, 1127, 1267, 1518.

338 Cf. PC, I, 1609.

339 Cf. PC, I, 1039, 1410, 1510.

340 Cf. 1' «Instruction», de Colladon, I.e. De même son avis au PC, II, 1060.

341 Cf. l'« Instruction» de Colladon, I.e. Voir aussi PC, I, 660. Le crime par excellence

« pour lequel sur tous autres le droit a ordonné ledit moyen de torture » est la sorcellerie.

Cf. PC, 1, 1028 (avis _du 7-15 avril 1562).

342 Cf. l'« Instruction» de Colladon, I.e., et dans le même sens, PC, I, 477 (avis de décembre 1552, publié par Naef, I.e., p. 81) et PC, II, 1060. Les présomptions urgentes et violentes serviront de «preuves pour venir jusques à tortures» (PC, I, 1419). Voir égale-ment les Edits politiques de Genève, I.e.

343 Cf. notamment: PC, I, 1392; II, 1060, 1224. De même les Edits politiques, I.e.

344 Cf. notamment, parmi beaucoup d'autres, PC, I, 592, 1059, 1214, 1255, 1421, 1560, 1577.

346 Cf. PC, 1, 1560.

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du criminel coupable. Elle ne remplace pas davantage dans sa pensée les moyen& ordinaires de preuve. Pour Colladon la question n'est, en termes positifs, qu'une ressource de procédure pour confirmer et pour compléter les preuves et indices déjà apportés, en contraignant le prévenu à de son acte 349Colladon, qui insiste maintes fois sur ces fonctions essentielles de la question, 350 estime de toute évidence qu'elle est une mesure appropriée pour faire jaillir la «pure vérité», la «vérité entière» sur le crime, et apte à établir la culpabilité de « l'inquis » ayant avoué ou, au contraire, à purger entièrement les précédents indices r,'il n'a rien confessé malgré les violences par lui subies 351 Toutefois, Colladon est un homme trop clairvoyant et trop critique pour ignorer la nature éminemment précaire et aléatoire de la question. Il sait fort bien qu'elle est un moyen souvent fallacieux et qu'elle comporte le double risque que les vrais coupables, «fermes et endurcis à ne vouloir rien confesser» ou insensibles aux douleurs des supplices 352, demeurent impunis tandis que les innocents, incapables de résister aux simples menaces ou aux affres réelles des tourments, seront les victimes de leurs faux aveux. « Les confessions par tortures, écrit-il, sont suspectes de crainte » 353 et il est loin d'accréditer sans autre preuve les propos faits « par

346 Cf. PC, I, 1139 (avis du 19.8.1563); voyez également PC, I, 988 et 1469. n'ont aux yeux de Colladon qu'un caractère accidentel et secondaire. Il ne les mentionne que tout à fait occasionnellement.

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crainte de la corde » ou les « indices et conjectures qui ont bien pu venir à la torture »

m.

Il tient par conséquent à contrôler les confessions, les négociations et les variations des « inquis » à la lumière des faits connus et des informations antérieures et leur dénie toute vertu s'il y a contradiction ou incompatibilité

365,

pour

aboutir

ainsi, en dernière analyse, à des con-clusions qui engageront les juges à libérer un « inquis » de toute poursuite si, succombant aux souffrances de la question, il s'était fam,sement accusé lui-même

356,

ou bien à le considérer comme coupable malgré ses déné-gations, s'il avait été pleinement convaincu déjà auparavant

357

L'importance juridique et morale

attribuée par Colladon à l'aveu et à

la question destinée à le provoquer montre clairement qu'il partage dans ce domaine les conceptions fondamentales des criminalistes de son temps.

Il en est de même en ce qui concerne la peine, qu'il s'agisse de ses formes