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Germain Colladon au service de Genève

Alliant ainsi aux travaux du barreau la culture des lettres, Colladon a possédé une bibliothèque comprenant des ouvrages fort divers comme

2. Germain Colladon au service de Genève

Le renom d'excellent juriste qui le précédait, la ferveur de ses convictions religieuses et sans doute aussi l'amitié que lui témoignait Calvin ont d'em-blée recommandé Colladon à l'attention de la Seigneurie. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner si elle eut recours à ses services dès 1551 déjà, en l'em-ployant à l'occasion des «marches» 81 avec les Bernois 82 et en demandant ses avis sur les procès criminels qu'elle avait à juger 83Ces services ont obtenu «bonne satisfaction» 84 et reçu une récompense particulière en 1555, lorsque le Conseil, après le succès des calvinistes aux élections de cette même année, désireux de fortifier le parti du Réformateur et d'affaiblir du même coup l'influence de ses adversaires, admit à la bourgeoisie de nom-breux réfugiés français. Germain Colladon fut parmi les tout premiers 86 Ayant « supplié qu'il plaise à Messeigneurs de lui faire tant d'honneur et de bien, le recevoir du nombre des bourgeois, ayant regard à ce qu'il a servi et veut servir à l'avenir et demeurer humble sujet et serviteur de la Seigneurie » 86, il fut admis le 22 avril 1555 et cela «gratuitement en

recon-81 Une «marche» ou «journée» est une conférence entre les représentants de deux ou plusieurs Etats pour prendre en commun une résolution, notamment pour vider à l'amiable un litige entre eux.

82 Le RC 5.1.1553 indique que Colladon «s'est employé en l'affaire des dernières marches», mais ne donne pas d'autres précisions. Il s'agit probablement de la «marche de Genève avec Berne, tenue à Lausanne en 1551; sur elle voir Gautier, I.e., III, p. 428 ss.

83 Cf. RC I, 1551, 469; 1552, 477; 1553, 482 et 486; 1554, 502, 509 et 511; 1555, 517.

84 Cf. RC 5.1.1553, sans autre précision. Voir aussi RC. Part. 14.6.1554: remise par-tielle du « lodz » (droit de mutation) dû à l'occasion de l'achat de sa maison. Dans les deux cas, Colladon avait adressé au Conseil une requête pour obtenir «satisfaction»

en la diminution du « lodz » dû. Peretti della Rocca, I.e., p. 39, se trompe en affirmant le désintéressement absolu de Colladon.

85 Voyez les listes d'admission à la bourgeoisie concernant l'année 1555, données par Covelle dans son édition du Livre des Bourgeois de l'ancienne Genève (1897), p. 240 ss.

86 Cf. RC 22.4.1555.

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naissance <lesdits services» 87 - une faveur que le Conseil n'accordait que très exceptionnellement, même s'il s'agissait de personnes ayant pleinement mérité sa gratitude 88Le même jour encore, Colladon prêta le serment de fidélitê, exigé de tout nouveau reçu, et fut inscrit dans le « Livre des bour-geois de Genève » 89

En conférant la bourgeoisie à Germain Colladon, le Conseil avait admis un juriste qui, consulté désormais sur toutes les matières d'Etat de quelque importance, devait si bien gagner son estime et sa confiance qu'il le présenta en 1559 aux élections du Conseil des Soixante pour l'associer davantage encore à ses intérêts. Elu le 7 février 1559 90, Colladon entra dans ledit Conseil et obtint par là-même aussi un siège au Conseil des Deux-Cents 91 L'honneur qui lui fut fait ainsi était d'autant plus grand que Colladon était non seulement un «nouveau bourgeois», mais avait été au surplus nommé directement au Conseil des Soixante sans avoir passé d'abord, comme le voulait l'usage généralement suivi 92, par le Conseil des Deux-Cents. Cons-tamment réélu dans la suite, pour la dernière fois le 6 janvier 1594, Colladon resta membre <lesdits Conseils jusqu'à sa mort, survenue peu après, c'est à-dire pendant plus de trente-cinq ans 93

Admis à la bourgeoisie et entré dans les Conseils, Colladon s'est occupé plus que jamais des affaires de la République, auxquelles il devait consacrer pendant de longues années le meilleur de son temps 94La Seigneurie prend en effet, et toujours davantage, l'habitude de recourir à ses conseils. Elle requiert, dans des centaines de cas, son avis sur des procès civils et surtout sur des procès criminels 95Elle le charge de la révision des édits politiques

87 Cf. RC cit.; v. également le «Livre des Bourgeois» à la même date (Covelle, I.e., p. 241). Henri Fazy, affirmant que Colladon ne fût admis que moyennant le paiement d'une taxe assez élevée (v. son étude sur le «Procès de Valentin Gentilis », MDG, XIV, p. 21, n. 1, avec renvoi à Galiffe, Notices gé11éalogiques, Il, p. 568), confond le juriste Germain Colladon avec son neveu homonyme, le marchand.

88 Cf. Covelle, I.e., p. 241. Relevons que sur les 119 personnes reçues bourgeoises en 1555 seulement, quatre (dont Colladon) ont été exemptées des taxes dues.

89 Cf. RC et le «Livre des Bourgeois», I.e.

90 Cf. RC 7.2.1559.

91 Cf. Théophile Dufour. AEG Ms. Dufour, XVI, fol 313.

92 Cf. Dufour, I.e.

93 Cf. les RC à partir du 7.2.1559, au début de chaque année jusqu'au 6.1.1594.

94 Mais non pas « tout son temps », comme l'affirme Peretti della Rocca, I.e., p. 44, car Colladon n'a jamais cessé de pratiquer le barreau, comme cela découle de l'ensemble de nos sources.

95 Conformément à une ancienne coutume de Genève; cf. Galiffe, Genève historique et archéologique. Supplément 1872, p. 182; Micheli, Institutio11s municipales de Ge11ève au XV• siècle, MDG 32 (1912), p. 131 ss.

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et lui confie, en 1560, la tâche difficile et de longue haleine de la rédaction des Edits civils. Elle le consulte, notamment depuis la mort de Calvin en 1564, sur les relations de Genève avec les Etats voisins et l'envoie, à plusieurs reprises, comme délégué aux marches et journées avec Berne ou avec la Savoie. Occasionnellement enfin, elle prend aussi son avis sur des problèmes constitutionnels

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ou sur le mérite d'un futur professeur de l'Académie, en le choisissant avec « d'autres savants » comme rapporteur sur les qualités scientifiques du maître et sur le montant du gage qu'il convenait de lui bailler

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Les « vaéations, écritures, avis et conseils » pour la Seigneurie ont chargé lourdement notre juriste. Ses «peines et labeurs », particulièrement absorbants pendant les années 1555 à 1570, l'ont même obligé à délaisser parfois ses affaires personnelles, comme l'indique le procès-verbal du Conseil du 3 janvier de cette dernière année

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En 1571 cependant ses travaux pour la République ont subi brusquement un arrêt presque complet, pour des raisons qui nous échappent

99;

le Conseil le témoigne en constatant

« que cette année on ne l'a guère employé »

100,

et relève de même le peu de services qu'il avait eu à rendre en 1572

101

Toutefois, cet arrêt n'était que passager, car dès 1573 Colladon aura de nouveau «beaucoup de peine à la consultation des procès de la Seigneurie et principalement de l'hôpi-tal»

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et dès 1578 il sera de nouveau, à maintes occasions, appelé à donner son avis sur les affaires politiques de Genève. Cette double activité de juriste et de conseiller politique, Colladon l'a exercée jusqu'aux dernières années de sa vie; en 1593 encore, très peu de temps avant sa mort, il fut appelé par le Conseil pour examiner avec lui un mémoire de la République de Berne

103

96 Cf. RC 10.1 et 20.1.1578 sur les revendications de Jaques Boutillier tendant à la révision de l'élection des Seigneurs du Petit Conseil et à augmenter les attributions du Conseil des Deux Cents (dont il faisait partie). Voyez à ce sujet Roget, Les propositions de Jaques Boutillier ou discussion constitutio1111elle à Genève, MDG XVII (1872), p. 58 ss.;

Gautier, I.e., V, p. 168 ss.; Courvoisier, Théodore de Bèze et l'état chrétien, Histoire de Genève, 3• partie, chapitre III, p. 274 ss.

97 Cf. RC 12 et 15.8.1566 concernant la nomination à l'Académie de Pierre Char-pentier (CarChar-pentieri), professeur de droit. Voyez à ce propos, Borgeaud, I.e., p. 93.

98 Cf. RC, 3.1.1570.

99 Relevons toutefois que l'année 1571 a été pour Germain Colladon une année de grand deuil. Il perdit alors, par suite de la peste, sa femme Claude (tl8.6.1571), son neveu Germain le marchand (t29.9.1571) et sa petite-nièce Jeanne (une fille de ce dernier Germain) Ctl3.6.1571). Cf. AEG, Registre des décès, XI, p. 4, 21 et 24.

100 Cf. RC 15.1.1572.

101 Cf. RC 2.1.1573.

102 Cf. RC 7.1.1574.

103 Cf. RC 15.10.1593.

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Colladon a collaboré ainsi assidûment aux affaires publiques de Genève.

Les registres du Conseil rappellent constamment son concours et révèlent par là même le rôle considérable qu'il a joué dans la Cité - un rôle qui dépassait de loin celui d'un simple conseiller des Soixante ou des Deux-Cents.

Considéré comme un des «savants» de la République 104, il a, en effet, appartenu à ce « petit groupe de personnages influents, doctes et pieux, que l'on consultait dans les grandes occasions bien qu'ils ne fussent pas magistrats » 105 et eut très fréquemment l'honneur d'être entendu par la Seigneurie conjointement avec Calvin et, après la mort du Réformateur, avec Théodore de Bèze. Il est, en outre, hautement significatif qu'il ait été maintes fois appelé à siéger avec Messeigneurs non seulement dans des conseils ordinaires mais aussi en conseils secrets 106, que son opinion l'ait emporté parfois même sur celle de Théodore de Bèze 107 et que le Conseil, en certaines circonstances, non content d'avoir ouï ce dernier, ait voulu connaître également l'avis de Colladon et se soit ajourné, celui-ci ayant été empêché de participer à ses délibérations 108 • A cela s'ajoute qu'à plu-sieurs reprises le Conseil arrêta d'adjoindre Colladon comme expert ou conseiller aux ambassadeurs d'une marche, « pour ce que les choses dont est question sont importantes» 100Aussi n'est-il pas étonnant que le Conseil, pour marquer son estime, ait modifié, en faveur de Colladon, l'ordre des entrées aux assemblées des Deux-Cents 110 et qu'il l'ait convié aux « disners de grand poelle » offerts à l'occasion aux premiers personnages de la Cité, à Calvin, à Théodore de Bèze, au lieutenant de la justice, au trésorier de la République, aux ministres de la parole de Dieu et aux professeurs de l'Académie 111 •

104 Cf. RC, 8.11.1555 et 12.8.1566 qui placent ainsi Colladon à côté de Calvin et de Théodore de Bèze. Voyez aussi RC, 2.4.1589 qui, parlant des «sages» de la Cité, vise également Colladon.

105 Cf. Dufour, La !?lierre de 1589, p. 91 ss.

106 Ce fut notamment le cas au cours des tractations avec l'amiral de Coligny concernant la mutuelle conservation des églises de France et de Genève, cf. Gautier, I.e., IV, p. 588 ss., et RC, 20.3, 2.4, 6.4 et 18.5.1567. Mais voir aussi RC, 16.10.1564 et 8.5.1583 (concernant les «Journées» de Lausanne et de Baden) et RC, 7.3.1567 (concernant un mémoire du duc de Nemours).

107 Il s'agissait de la procédure à suivre après l'acceptation du «départ» de Lausanne du 22.10.1564, cf. RC, 30.11.1564.

108 Il s'agissait de savoir si on devait autoriser un capitaine français « d'enroller (à Genève des) soldats ... pour le sujet et secours des églises françaises », cf. RC, 11.9.1568 ..

109 Cf. RC, 20.1.1569.

110 RC, 9.1.1579: «parce qu'on faict assoir ledit sgr. Colladon après le marquis (Carraciolo) estans néanmoins le cinquième, arresté qu'on l'appelle le second suyvant l'assiette. »

111 Cf. AEG, P.VII (comptes, mandats et quittances), 28.4 et 17.6.1558; RC, 30.12.1575.

Vue générale.

3. Avis et consultations politiques