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Germain Colladon, avocat à Genève, conseiller des Réformateurs, juriste attitré

GERMAIN COLLADON A GENÈVE

1. Germain Colladon, avocat à Genève, conseiller des Réformateurs, juriste attitré

de la Seigneurie.

Le départ de Bourges et l'arrivée à Genève marquent un grand tournant dans la vie de Germain Colladon, car tout en faisant le sacrifice de son pays natal, il trouvera à Genève un refuge sûr et le libre exercice de sa foi, et en même temps un champ d'activité plus vaste qui lui permettra de servir mieux encore qu'auparavant la cause de la Réforme. Germain Colladon sera en effet à Genève l'homme de confiance de tous les milieux du monde réformé et étroitement lié à tout ce que la cité de Calvin renfermait alors d'hommes remarquables par leur distinction et par leur savoir. Il sera surtout le conseiller juridique et un des

«

auxiliaires les plus utiles » de Calvin 1 et Je jurisconsulte attitré de la Seigneurie 2 pour devenir enfin, avec Théodore de Bèze, l'une des colonnes de la cité calviniste quand l'ami et le maître aura disparu 3

Installé au cœur de la cité, dans une belle maison

à

deux corps de logis, située en la rue de la Boulangerie 4, non loin de la demeure de Calvin 5, Germain Colladon a repris - comme son frère Léon - son activité de juriste dès la fin de l'année 1550 6, pour se créer rapidement, grâce à sa profonde connaissance du droit et sa longue habitude du barreau, :une situation de tout premier plan. Il sera l'avocat influent dont on sollicite

1 Cf. Albert Rilliet, Relatio11 du procès criminel i11tenté à Ge11ève e111553 contre Michel Servet. MDG 3 (1844), p. 39 ss.

2 Voir infra.

3 Cf. Henri Naef, L'alchimiste de Michel, comte de Gruyère. MDR, .Je série, t. 2 (1946), p. 98.

4 Aujourd'hui, rue de la Cité. Il s'agit de la maison portant le n° 23 de cette rue.

Colladon a habité cette maison (dès 1550 ?) d'abord comme« tenementier et possesseur», ensuite (dès 1568) libéré de tout cens; cf. AEG, RC. part. 14.6.1554; RC. 18.11.1568;

Fiefs, D., n° 5, fol. 564 v0 («Revendication pour M. Colladon »).

5 Cf. Théophile Heyer, De la demeure de Calvin, MDG 9 (1855), p. 401.

6 Cela résulte du RC. part., 25.11.1550 (affaire Malagnou contre Bienvenue).

l'appui et qu'on charge de la défense de ses intérêts 7, le maître expert et illustrent l'activité aussi variée que considérable de l'avocat Germain Colladon 15 et nous autorisent à penser que son étude était à l'époque p. 99; de même, l'imprimeur Arnoullet, impliqué dans le procès contre Servet, cf. PC 1. 492.

Scrimger a confié à Colladon la défense des intérêts d'Ulrich Fugger devant le Conseil, de la parole de Dieu (de Guillaume Whitinghaven, cf. Min. Jean Ragueau du 31.10.1556;

de Jean François Salluard, cf. ibidem 14.1.1564; de Nicolas Colladon, cf. ibidem, du du 11.5.1570 (promesse de « vendition »faite par Henri Scrimger).

14 Jean Ragueau avait épousé une nièce de Germain Colladon, Anne, fille de son frère Léon.

15 Le dépouillement systématique des minutes du notaire Jehan Ragueau, qui a été le principal collaborateur de Germain Colladon, nous a permis de constater que ce dernier a participé, à des titres différents, à la rédaction d'actes notariés.

16 C'est inexactement que le pamphlétaire du «libelle» de 1558 (v. supra, p. 27, n. 39), présente les frères Léon et Germain Colladon comme voués à une certaine misère et obligés d'embrasser des métiers manuels de correcteur et de tisserand. Voir dans notre sens déjà Cartier, I.e.

mandat d'un richissime Ulrich Fugger, banquier bien connu d'Augsbourg 17,

qu'il conseille une pauvre orpheline qui va se marier 18 ou un humble

« aiguillettier » en vue de son contrat d'apprentissage 19

La réputation et l'autorité de Germain Colladon paraissent avoir été particulièrement grandes auprès des maîtres de la Réforme et des juris-consultes gagnés aux nouvelles idées religieuses. Leur correspondance avec Calvin ou entre eux contient une série de lettres qui mentionnent Colladon et marquent tout l'intérêt que leurs auteurs ont attribué à ses avis et conseils:

Baudoin prend Colladon à témoin dans sa controverse avec Douaren au sujet des ministères et bénéfices ecclésiastiques et relève sa compétence en la matière 20; Farel le fait intervenir dans une affaire (inconnue) concernant ses frères 21; Viret s'inquiète de son jugement quant à une injure faite à sa femme 22; Bonville le consulte sur les conditions de validité de son mariage 23 et Spifame, accusé de bigamie et emprisonné, recommande vivement à sa femme de s'adresser à Germain Colladon, afin qu'il intercède auprès du magistrat en sa faveur 24

La science et le talent de Colladon ont été reconnus notamment par Théodore de Bèze et par Calvin. Le premier, habitant encore Lausanne, a chargé Colladon de défendre son honneur dans le conflit qui l'opposa, en 1554, à l'imprimeur Guillaume du Bosc, en exposant au Conseil de Genève les raisons de sa « demande et complainte», et de présenter «telle requeste que de raison» 25 - un mandat que Colladon a su mener à bien et qui sera à l'origine d'une longue et intime collaboration avec Bèze, aussi bien sur le plan juridique que sur le plan politique. Nous voyons en

17 Sur les relations de Colladon avec Fugger, voir Kaden, Ulrich Fugger et so11 projet de créer à Genève une «librairie» publique, dans la revue Genai•a, 1959, p. 127 ss.

18 Cf. Min. Jean Ragueau du 11.1.1570 (mariage de Gillette de Sartières).

19 Cf. Min. Jaques Cusin du 23.8.1580 (contrat d'apprentissage de Pierre Baucheron), vol. 9, fol. 107 vo.

2

°

Cf. Opera Calvini, XVI, p. 118 ss., n° 2438: Lettre de Baudouin à Calvin du 24.4.1556: « ... Colladonium istic habes idoneum in hac quaestione assessorem ... ».

21 Cf. Opera Calvini, XX, p. 585, n° 4270: Lettre de Germain Colladon à Farel, écrite après la mort de Léon Colladon en 1552 et avant celle du médecin de Calvin, Textor, en 1560.

22 Cf Opera Calvini, XVI, p. 228 ss., n° 2499; lettre de Viret à Calvin du 16.7.1556.

23 Cf. Opera Calvini, XVI, p. 278 ss., n° 2530: lettre de Des Gallars à Calvin du 16.9.1556.

24 Cf. R. pén., du 14 et 15 mars 1566. Cf. également Delmas, André, Le procès et la mort de Jacques Spifame. Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, t. 5 (1944), p. 105-137.

26 Cf. AEG, pièces historiques, n° 1564: lettre de Théodore de Bèze au Conseil de Genève du 19.10.1554, v. Correspondance de Théodore de Bèze, t. I, p. 140-141.

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effet Bèze et Colladon collaborer à la rédaction d'un acte de mariage 26, d'un testament 27, d'un acte de partage d'une succession 28 ou d'une consul-tation pénale dont le Conseil de Genève les avait chargés conjointement 29, et très étroit est également leur concours aux délibérations politiques du Conseil, qui, dès la mort de Calvin, prit l'habitude de les consulter ensemble pour avoir leurs avis sur les problèmes posés par l'évolution de la situation internationale et, plus particulièrement, sur les affaires de la Seigneurie avec Berne, la Savoie et la France 30La fréquence de leurs contacts et la constance de leurs rapports ont rapproché tout naturellement Bèze et Colladon et leurs relations, fortifiées encore par la communauté de leurs intérêts humanistes 31, se transformeront en une véritable amitié qui devien-dra avec les années toujours plus intime. Il n'est donc nullement étonnant que Théodore de Bèze ait prié Colladon d'être son témoin lorsqu'il fit son testament 32; mais il est plus significatif encore qu'il l'appelle élogieusement

« doctissimus et amicissimus meus» 33 et qu'il évoque avec plaisir, en 1602, presque dix ans après la mort de Germain Colladon, le bon souvenir qu'il avait gardé de son vieil ami 34

Calvin enfin, très lié, nous l'avons vu, avec les Colladon depuis son séjour dans le Berry et toujours plein d'attention à leur égard - il assumera le parainage de plusieurs de leurs enfants 35 et célébrera personnellement le mariage d'Anne Colladon 36 - a, lui aussi, eu en grande estime notre

26 Cf. Min. Jean Ragueau du 29.9.1565 (mariage de Noble de la Boissière) et du 6.6.1566 (mariage du ministre Charles Parot); v. aussi Borgeaud, Académie de Calvin, p. 78, n. 4 (mariage des Bordes).

27 Cf. Min. Jean Ragueau du 11.10.1563 (testament de Geneviève de la Botier).

28 Cf. Min. Jean Ragueau du 28.1.1570 (partage de la succession du ministre Michel Cop).

29 Cf. R. pén. 17.5.1566; 18.3.1567; 14.11.1567; 17.8.1568; 13.6.1569; 30.3.1570;

2.1.1571; 30.1.1.1571.

30 Voir infra.

31 Voyez infra.

32 Cf. Min. Jean Ragueau du 1.10.1566, t. 8, fol. 502.

38 Cf. Théodore de Bèze dans son Epitre aux Seigneurs de Pologne (p. IV verso), qui sert de préface à son édition des «Dia/agi Athanasii » et du «Liber contra Arianos » de Saint-Phébade, imprimé à Genève en 1570 par Henri Estienne.

34 Cf. Esaïe Colladon, Journal (v. plus haut p. 30, n. 58), p. 34.

36 Calvin était le parrain d'un fils (David) de Germain Colladon, d'un fils (Abdias) et d'une fille (Marthe), de Nicolas Colladon; v. le Registre des baptêmes de Saint-Pierre, à la date du 19.2.1556, du 30.10.1558 et du 22.6.1560.

36 Anne épousa Laurent de Normendie; v. le Registre des mariages de Saint-Pierre à la date du 14.9.1550. Voir également H. L. Schlaepfer, Laurent de Normendie, dans Aspects de la propagande religieuse, Genève 1957, p. 178.

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jurisconsulte, dont il signale la parfaite loyauté 37, éprouvée pendant les années difficiles précédant le triomphe de SOU' parti en 1555 - années au cours desquelles Germain Colladon, homme sensible et même « chatouil-leux», injurié à plus d'une reprise, a dû sans doute bien souffrir, comme tant d'autres réfugiés français, des railleries haineuses du nouveau régime contre les Réformés d'observance rigide 38Mais Colladon n'était pas seule-ment un ami dévoué et un fidèle partisan de Calvin; il était égaleseule-ment son qu'il l'a secondé comme exécuteur d'un testament 44, qu'il l'a conseillé pour régler des affaires délicates 45, pour abitrer des conflits 46, pour liquider des héritages 47 ou pour élaborer des consultations en matière criminelle 48, ou encore qu'il l'a appuyé dans les réunions du Conseil auxquelles le Réfor-mateur avait été convoqué par la Seigneurie pour entendre son avis, comme

37 Calvin relève dans une lettre à Bullinger la «nota probitas » des nouveaux bour-geois - dont Germain Colladon - admis par le Petit Conseil le 22.4.1555; cf. Opera Calvi11i, XX, p. 678, n° 2243.

38 Cf. RC part. du 2.5.1555, t. 9, fol. 46 ss.: Germain Colladon se plaint d'avoir été injurié par un nommé Pothier et comme il est très chatouilleux, les Seigneurs font des remonstrances audit Pothier et donnent satisfaction audit Colladon. Voyez également le Registre du Consistoire du 26.11.1551 et du 21.3.1555 ainsi que le «Libelle» déjà

44 Cf. Min. Jean Ragueau du 17.8.1560 (testament de Guyonne de Cuchermoys, veuve de Jean Girard).

45 Cf. la lettre de Germain Colladon à Farel, déjà citée (plus haut, p. 45, n. 21); Opera Calvi11i, XX, p. 585, n° 4270.

46 Cf. RC part. 21.6.1560, relatif au procès intenté à Mathieu de Bologne et à François Vital.

47 Cf. Min. Jean Ragueau du 29.10.1559, relatif à l'hoirie de Robert (1) Estienne.

48 Cf. PC 1, 502, Opera Calvi11i, XV, p. 69, n° 1922, relatif à l'affaire Lambert le Blanc.

ce fut le cas lors du renouvellement de la combourgeoisie de Genève avec Berne 49Il convient cependant de relever surtout que Colladon a suivi avec un ardent intérêt la lutte de Calvin contre le parti des « Libertins » en sou-tenant sa cause devant les tribunaux 50 et qu'il s'est toujours efforcé de défendre en justice la doctrine du maître et de faire respecter la stricte observation de la «discipline» morale et religieuse de Calvin 51Il parta-geait notamment sa conviction que toute offense à la gloire de Dieu était une offense faite à la société, que l'erreur, même sincère, était en religion un sacrilège et que les magistrats civils avaient pour premier devoir de maintenir l'orthodoxie en punissant sévèrement les hérétiques, même par le feu et par le glaive 52A cet égard son attention dans les procès relatifs aux doctrines fondamentales de la Réforme est particulièrement instruc-tive 53 Notamment son attitude dans le procès de Servet, dans lequel il intervint 5\ fort probablement sur les instances de Calvin 55 qui voulait opposer au prévenu - et qui trouvait en Colladon - «un homme assez habile pour déjouer ses réticences, forcer ses aveux et mettre en lumière ses hérésies et sa culpabilité» 56

La longue et fructueuse collaboration de Colladon à l'œuvre de Calvin a été incessante et s'est maintenue jusqu'au jour où Calvin, terrassé par la maladie, dut renoncer à ses travaux; au mois de janvier 1564 encore, Calvin et Colladon étaient réunis au mariage du citoyen et conseiller Amblard Corne 57Il se peut donc que Colladçm se soit trouvé dans l'assis-tance profondément affligée qui entourait le Réformateur mourant et qu'il ait partagé cet honneur avec les autres amis et disciples du maître, les Bèze, Jonviller, Budé, le marquis de Vico ou de Normendie qui tous ont vénéré Calvin comme un père 58

49 Cf. RC 17.8, 17.11, 8.11, 28.11, 1.12 et 20.12.1555. Voir aussi Gautier, I.e., t. III, p. 655 et 660 note.

50 Voir infra.

51 Voir infra.

52 Voir dans ce sens: Choisy, La théocratie à Genève au temps de Calvi11 (1897), p. 93, 138; Chenevière, La pe11sée politique de Calvin (1937), p. 234 ss.; Cadier, I.e., p. 135, 150;

Courvoisier, Eugène Choisy, historien de la réforme calvinie1me, Genava, VII (1959), p. 89-90.

53 Voir infra.

54 Il assuma la défense de l'accusateur Nicolas de la Fontaine; cf. PC I, 492, audience du 17.8.1553.

55 Cf. Rilliet, I.e., p. 39, suivi notamment par Peretti della Rocca, I.e., p. 35.

56 Cf. Rilliet, I.e.

57 Cf. Min. Jean Ragueau du 14.1.1564.

58 Voir dans ce sens Jules Bonnet, Laurent de Nor111e11die, BSPF 32 (1883), p. 153.

L'ardeur de sa foi, son savoir et son expérience de grand juriste sont ainsi, comme cela résulte de ce qui précède, à la base de la grande estime et de l'autorité dont Colladon a joui auprès des maîtres d'autres disciplines établis à l'époque à Genève. Nos sources, en effet, nous laissent entrevoir ses rapports souvent très suivis et très cordiaux avec les professeurs de l'Académie, fondée par Calvin en 1559, les Scrimger 59, des Bordes, Bertrand, Nicolas Colladon (son neveu) 60 et Denis Godefroy 61, avec le bibliophile Pierre Pithou, le «Varron de la France» et ami de Théodore de Bèze 62, ou encore avec les savants imprimeurs et libraires, les Estienne, Badius, de Normendie et Nicolas de Sartières 63 Colladon n'est donc nullement un légiste étroitement cantonné dans son domaine et n'ayant que le souci de sa profession; il est au contraire, comme tant de juristes du

xvre

siècle 64, autant homme de lettres que de droit. Elevé dans les principes de

59 Colladon a été pendant de longues années l'homme de confiance d'Henri Scrimger qui l'avait choisi comme avocat et conseiller pour lui et pour son propre mandataire, Ulrich Fugger; cf. Min. Jean Ragueau du 13.7.1559, 16.2.1562, 19.5.1562, 11.5.1570;

v. aussi notre étude déjà signalée supra (p. 45, n. 17).

60 Les rapports de Colladon avec les professeurs susmentionnés découlent des minutes des notaires, notamment de celles de Jean Ragueau, déjà signalées supra.

61 Godefroy et Colladon ont collaboré à l'occasion d'une importante affaire criminelle, cf. PC 1, n° 1727, v. RC 77 (1582), fol. 233 v0

62 Il s'agit de Pierre Pithou (1539-1596), sieur de Savoie et illustre jurisconsulte qui fréquentait la maison de Colladon, explora sa bibliothèque et y fît même des découvertes;

v. infra.

63 Colladon fût à plusieurs reprises appelé à s'occuper des intérêts des imprimeurs ou libraires susmentionnés; v. les minutes des notaires déjà citées. Les minutes de Jean Ragueau du 11.1.1570 précisent expressis verbis son amitié avec de Sartières. Voir à ce sujet Bremme, Buchdmcker und Buchhiind/er zur Zeit der Gla11be11skiimpfe, Genève 1969, p. 140 et 227. Petrone et plus tard en 1615, 1621 et 1629 par plusieurs autres éditeurs du même ouvrage.

On ignore totalement les circonstances de leur publication si tardive.

jours

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attestent son

art

de pénétrer le sens exact des mots et ont le