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Organisations féministes, recours à la force et sort des femmes (afghanes)

CHAPITRE 2. Perspectives féministes sur l’usage de la force en droit international

2.1. Des féminismes pour l’usage de la force

2.1.1 Des années 1990 au 11/09/01, du paysage post guerre du Kosovo au régime des talibans : les positions féministes en matière d’intervention

2.1.1.1. Organisations féministes, recours à la force et sort des femmes (afghanes)

Les organisations féministes en matière de défense des droits des femmes sont trop nombreuses pour être énumérées ici. Cependant, il convient de rappeler leur place centrale sur la scène politique nationale et internationale.265 Les organisations de femmes ont été des intervenants clefs dans l’élaboration des résolutions Femmes Paix et Sécurité par exemple.266 La cause des femmes et la lutte contre les violences qu’elles subissent sont évidemment au centre de beaucoup de ces organisations.267 Les deux dernières décennies ont particulièrement

264 Karen ENGLE, « Calling in the Troops: The Uneasy Relationship Among Women's Rights, Human Rights, and Humanitarian Intervention », (2007) 20 Harvard Human Rights 181, 189.

265 Janet HELLEY, Split Decisions : How and Why Taking a Break from Feminism ?, Princeton University press, Paperback, 2006 ; Rebecca J. COOK (dir.), Human Rights of Women: National and

International Perspectives, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1994 ; Afra AFSHARIPOUR, «Empowering Ourselves: The Role of Women's NGOs in the Enforcement of the Women's

Convention», (1999) 99-1 Columbia Law Review 129, 131, 155, 170, 171.

266 Felicity HILL, Mikele ABOITIZ et Sara POEHLMAN-DOUMBOUYA, « Non Governmental

Organisations' Role in the Build-Up and Implementation of 1325 », (2003) 28-4 Signs 1255, 1255 ; Jacqui TRUE et Antje WIENER, « Everyone Wants (a) Peace: the Dynamics of Rhetoric and Practice on

‘Women, Peace and Security’ », (2019) 95-3 International Affairs 553, 554, 557, 574.

267 Mireille NIYONZIMA, « Le rôle des ONG de femmes en matière de promotion de l’égalité des genres et des droits des femmes », (2009) Unesco, en ligne :

<www.unesco.org/new/fileadmin/MULTIMEDIA/HQ/SHS/pdf/Role-ONG> (consulté le 19 mars 2019).

mis en lumière le sort des femmes afghanes sous le régime des talibans.268 Mais ce n’est pas le seul cas d’espèce à interpeler les militantes féministes. Les mutilations génitales des femmes en Afrique269, et celui des mariages forcés de femmes en Inde270 sont aussi populaires auprès des féministes occidentales. Cependant, pour les besoins de ce travail prétendant à s’intéresser au lien entre féminisme et intervention militaire, le cas des femmes afghanes est particulièrement intéressant puisqu’une intervention militaire humanitaire a eu lieu.

À la découverte dans les médias, des horreurs commises envers les femmes par le régime des talibans, le support des féministes à la cause fut intensifié.271 Karen Engle souligne que les organisations de droits des femmes ne se sont que peu opposés à l’intervention en Afghanistan, où à l’usage d’un argumentaire féministe pour la justifier.272 En fait, la plupart des organisations ont soutenu cette intervention.273 Les raisons du soutien à l’intervention en Afghanistan peuvent s’expliquer en raison de ce long militantisme en faveur des droits des femmes et contre les violences subies par ces dernières.274 Ainsi, une intervention semblait une possibilité pour venir en aide aux femmes afghanes, et fut également justifiée comme telle.275 Certaines organisations semblent donc avoir cru en la possibilité pour une telle intervention de libérer les femmes afghanes.276 Compromettant leur position antimilitaire,

268 S. KOUVO, préc., note 263, pp. 13-57-88.

269 Isabelle R. GUNNING, « Arrogant Perception, World Travelling and Multicutlral Feminism: the Case of Female Genital Surgeries », (1992) 23-2 Columbia Human Rights Law Review 189, 190 et s.

270 Ratna KAPUR, « The Tragedy of Victimization Rhetoric, Resurecting the Native Subject in

International/Post-colonial Feminist Legal Politics », (2004) 1-37 Harvard Human Rigths Journal, 757 et s.

271 Voir par exemple la campagne de « Feminist Majority Foundation  : stop gender apartheid in Afghanistan », en ligne : < www.helpafghanwomen.com> (consulté le 22 mars 2019)

272 K. ENGLE, préc., note 264 181. 273 Id.

274 Id. 183.

275« The US led military intervention in Afghanistan was justified as an act of self-defence and dominated by a will to oust the Taliban regime, hunt down Osama Bin Laden and bring an end to Al Qaeda. However, additional public legitimacy for the intervention was sought by reproducing the international women’s movements arguments about ‘bringing democracy to the Afghan people’ and ‘saving Afghan women’. The United Nations (UN) and the wider international community were brought in to support the state-building efforts, including its softer components focusing on women’s and human rights. » Sari KOUVO, Feminist Perspectives on Contemporary International Law: Between

Resistance and Compliance?, Bloomsbury, Publishing PLC, 2014, p. 131.

276 Beth VANSCHLAAK, « The Crime of Aggression and Humanitarian Intervention on Behalf of Women », (2011) 11 International Criminal Law Review 477 et s.

l’association féministe Women International League For Peace (« WILFP ») a par exemple été présente lors de l’invasion et de la reconstruction en Afghanistan et en Irak, espérant apporter un soutient aux femmes afghanes, tout en maintenant une ferme opposition à l’intervention militaire.277 Puisque l’intervention était décidée, il s’agissait alors d’y participer et d’en tirer le meilleur parti pour la situation des femmes afghanes.278

De manière générale c’est particulièrement dans le cadre du stade-building (la reconstruction d’un État après un conflit armée) que les féministes tentent de participer en veillant à implanter un certain gender-mainstreaming279 (soit la prise en compte de l’égalité de genre dans les nouvelles normes législatives dans la période de reconstruction de l’État). C’est

en tous cas les dynamiques qui ont pu être observées lors des interventions d’Irak et d’Afghanistan.280 Le soutien à cette intervention fut également justifié comme stratégie afin de maintenir les progrès passés. Par exemple, un certain lobbying féministe a New York influença le Conseil de Sécurité à adopter la première résolution sur les femmes la paix et la sécurité (S/RES/1325), afin de reconnaitre publiquement le rôle des femmes dans cette entreprise ainsi que la violence subie pendant les conflits armés.281 Ce lobbying permit un rappel et un encrage jurisprudentiel de la nécessité du rôle des femmes en droit international,

277 Id.; Sari KOUVO, « A “Quick and Dirty” Approach to Women’s Rights— A Case Study of Afghanistan », (2007) 16 Feminist Legal Studies 363, 364 et s.

278 Id. 364 et s.

279 Selon le Groupe de spécialistes pour une approche intégrée de l’égalité (EG-S-MS) du Conseil de l’Europe, le gender mainstreaming est : « la (ré) organisation, l’amélioration, l’évolution et

l’évaluation des processus de prise de décision, aux fins d’incorporer la perspective de l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines et à tous les niveaux, par les acteurs généralement impliqués dans la mise en place des politiques ». Le gender mainstreaming, ou approche intégrée de la dimension de genre, est donc une stratégie qui a pour ambition de renforcer l’égalité des femmes et des hommes dans la société, en intégrant la dimension de genre dans le contenu des politiques publiques. Pour aller plus loin sur le state-building et l’implication féministe par le gender-mainstreaming voir Sari KOUVO, « Making Just Rights ? Mainstreaming Women’s Human Rights and a Gender

Perspective”, (2004) Iustus Publications 15, 20 et s. ; Sari KOUVO, « The United Nations and Gender

Mainstreaming: Limits and Possibilities » dans Doris BUSS et Ambreen MANJI (dir.), International

Law: Modern Feminist Approaches, Portland, Hart Publishing, 2005, p. 55. ; Voir aussi Sheri

GIBBLINGS, « Governing Women Governing Security Governementlity Gender Mainstreaming and

Women's Activism at the UN », (2004) unpublished thesis, Graduate programme in social

anthropology, Toronto, York University. 280 Sari KOUVO, préc., note 264, p. 80.

281 Conseil de sécurité, résolution 1325, « WomenPeace and Security », UN Doc, S/RES/1325 (31 octobre 2000).

notamment sur les questions de paix et de sécurité, mais il permit également de légitimer l’intervention à l’aide d’argumentaires féministes.282

Les féministes, pour continuer d’être entendues dans le paysage politique national et international, ont donc parfois choisi d’intégrer cette mentalité de crise et ce qu’elle engendre, intervention humanitaire y comprise. Une autre rencontre des féministes avec la mentalité de crise fut l’usage du vocabulaire de crise pour apporter un nouveau regard et mettre en avant le programme politique des enjeux féministes, nationaux et internationaux, comme les violences sexuelles, la culture du viol. C’est notamment le cas de Catharine McKinnon.