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CHAPITRE 2. Perspectives féministes sur l’usage de la force en droit international

2.2. Des féminismes contre l’usage de la force armée

2.2.3. Le poids de l’image, les vices de la représentation : le vilain, la victime et le sauveur.

2.2.4.2 L’essentialisme de culture

ne perçoit les réalités des femmes qu’au travers de leurs similarités, l’essentialisme de culture a l’effet l’inverse. Il perçoit les différences en les ancrant dans la culture de l’Autre.

2.2.4.2 L’essentialisme de culture

Aussi appelé culturalisme, cet essentialisme est dépeint comme une approche de la réalité des cultures non occidentales comme très simplifiées, et ancre la violence comme faisant partie de la culture de l’autre sans prendre en compte les différentes causes de la violence.521 En effet, l’approche culturaliste porte une emphase exclusive sur la violence comme étant de source culturelle, omettant ainsi complètement de prendre en compte les autres sources majeures génératrices de violence.522

Essentialiser les cultures conduit, entre autres, à présenter les femmes non occidentales comme victimes de leur culture.523 Cette représentation vient renforcer les stéréotypes racistes, privilégie l’adoption de normes culturelles occidentales comme supérieures, pousse à adopter des stratégies qui rappellent celles d’actions impériales.524 Razack argumente également que le culturalisme sert la création d’un sens de la supériorité chez les Occidentaux et qu’il est préférable d’éviter les « cultural deficit explanations » (explications puisées dans des présupposés lacunes dans la culture de l’autre).525 Elle donne par exemple le cas de réponses sociales et politiques pour sauver les femmes musulmanes comme largement culturalistes.526 Le culturalisme dans ce cas présente et maintient une idée restreinte de la culture de l’autre et accentue certains traits culturels sans prendre en considérations leur complexité (les cas du

520 J. ODDO, préc., note 519, 304. 521 S. RAZACK, préc., note 472, p. 92.

522 Id. ; Emanuelle SAADA, « Un racisme de l’expansion. Les discriminations raciales au regard des situations coloniales », dans D.FASSIN, É. FASSIN, De la question sociale à la question raciale.

Représenter la société française, Paris, Éditions La Découverte, 2006, pp. 55-71.

523 Id., p. 57.

524 S. RAZACK, préc., note 472, p. 93 ; Ratna KAPUR, préc., note 445, 12. 525 S. RAZACK, préc., note 472, p. 93.

hijab, de l’excision, du dawri sont souvent mentionnés.527 Pour le voile par exemple, les lectures de son port peuvent être multiples, mais l’image que garde le grand public est celle de la soumission et de la domination masculine, enlevant tout pouvoir à la femme musulmane.528 Kapur estime qu’utiliser la culture seulement pour expliquer les violences faites aux femmes a eu pour résultat de réifier et d’objectifier les cultures du tiers monde dans un monde « post » colonial.529

Prendre en compte la culture était voulu pour parer aux critiques faites à l’essentialisme de genre. Cependant, introduire la culture seulement lorsqu’on étudie la violence faite aux femmes a cependant eu pour conséquence de renforcer la représentation d’un tiers monde comme non civilisé et nécessitant de l’aide occidentale530, réaffirmant ainsi l’image du natif comme sous-développé, différent et culturellement arriéré.531

Cette vision se retrouve particulièrement dans la représentation de l’islam. L’impact de cette vision culturaliste a pu notamment être observé dans les représentations faites des musulmans dans les médias depuis le 11 septembre 2001.532 Ces derniers apparaissent souvent comme bloqués dans une pré modernité, n’ayant pas d’engagement ni envers les droits de la personne ou les droits de la femme ou la démocratie.533 Ainsi, c’est une obligation occidentale que de se défendre et d’aider les musulmans à adopter ces valeurs, par la force si nécessaire.534

527 Id.

528 Id., p. 95. 529 Id. 530 Id.

531 S. RAZACK, préc., note 472, p. 144 : « in one fell swoop, Europeans move from beeing colonisers

to becoming people intent on beeing honorable toward their former subject. » Passant ainsi de colonisateur a sauveur sans transition réelle ; Voir aussi Rémi BACHAND et Idir MOULOUD, «

Décoloniser les esprits en droit international : la « responsabilité de protéger » et l’alliance entre naïfs de service et rhétoriciens de l’impérialisme », (2012) 72 Mouvements 89, 90-99.

532 H. CHARLESWORTH, préc., note 416, p. 249.

533 T. PATEL, préc., note 475, 40 ; Yasmin JIWANI, Matthew DESSNER, « Barbarians in/of the Land: Representations of Muslim Youth in the Canadian Press », (2016) 11-1 Journal of Contemporary

Issues in Education 36, 34, 53 ; du même auteur : « War Talk - Engendering Terror: Race, Gender &

Representation in Canadian Print Media », (2005) 1-1 International Journal of Media & Cultural

Politics 15, 16.

L’image de la femme musulmane la plus partagée est celle d’un « corps confiné, mutilé, parfois meurtri au nom de la culture ».535 Le corps de la femme musulmane devient hyper visible. Une visibilité qui sert à renforcer l’imagerie contraire de l’homme musulman violent qui doit être éduqué et discipliné.536 Selon Kapur cette imagerie et l’essentialisme engendré dans les discours autour de l’intervention humanitaire militaire pour sauver les femmes, permettent de « ressusciter le sujet indigène et de justifier des interventions impérialistes ».537 Fassin538 estime que si le but est d’être en solidarité avec des femmes racisées et musulmanes, se tourner vers la culture comme explication à la violence est contre- productif. En effet, le culturalisme contribue également à la stigmatisation de ces personnes et alimente des perceptions sociales racistes qui n’aideront pas notamment à l’intégration de ces femmes en occident par exemple.539 La violence expérimentée par les femmes musulmanes masque la violence perçue et reçue par l’entière communauté musulmane de l’extérieur et nourrit ainsi les raisons de la « guerre contre la terreur »540. La violence faite aux femmes sert tant pour justifier une intervention humanitaire armée que pour justifier la guerre contre la terreur, mais peut-être que cette violence faite aux femmes ne devrait justifier ni l’un ni l’autre.541 Razack estime que pour sortir de la violence perçue par ces femmes il est nécessaire de d’abord sortir de dynamiques racistes : « you can’t fight violence against women with

racism because racism (is violence) and is likely to strenghten patriarchal currents in communities under siege ».542

L’essentialisme est un écueil dans lequel il est facile de tomber, il est aussi un écueil qu’il est possible d’éviter, notamment à l’aide de certaines méthodologies et approches féministes qui demandent d’incorporer les voix des féminismes racisées, décoloniaux et tiers mondistes.

535 Id., 21.

536 Id.

537 Traduction personnelle, R. KAPUR, préc., note 445, 13. 538 E. SAADA, préc., note 522, p. 93.

539 Id. 540 Id., p. 94. 541 Id.

542 Id., p. 132 ; Voir aussi Fionnuala NÍ AOLÁIN, « Political Violence and Gender During Time of Transition », (2006) 15-3 Columbia Journal fo Gender and Law 829, 829, 839 ; Sherene RAZACK, «

2.2.5 Gina Heathcote, le féminisme pacifiste, et le renforcement de la