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Gina Heathcote, le féminisme pacifiste, et le renforcement de la prohibition de l’usage de la force

CHAPITRE 2. Perspectives féministes sur l’usage de la force en droit international

2.2. Des féminismes contre l’usage de la force armée

2.2.5 Gina Heathcote, le féminisme pacifiste, et le renforcement de la prohibition de l’usage de la force

Nous choisissons de clore ce second chapitre en revenant aux travaux de la professeure Gina Heathcote, internationaliste, féministe, spécialiste de la question de l’usage de la force. Heathcote après avoir étudier en profondeur les conditions de l’usage de la force et les justifications aux nouvelles possibilités d’usage de la force en droit international, estime qu’il est plus urgent de se reconcentrer sur la prohibition de l’usage de la force.543 Non seulement de se reconcentrer sur cette prohibition, mais de la ré imaginer et de l’étendre.544

Heathcote propose en ce sens une analyse des premières résolutions Femmes Paix et Sécurité545. Heathcote pour se faire fait appel au féminisme de biais structurel, qui identifie les biais de genre inhérents aux structures légales, politiques, sociales, et en l’occurrence, celle du droit international. Heathcote estime que des structures organisationnelles trop genrées contribuent à renforcer les problématiques rencontrées par les femmes. L’usage de la force et sa prohibition est ici considéré comme une problématique genrée, que le Conseil manque à considérer de la sorte. Pour parer aux dits biais, Heathcote estime qu’une plus grande participation des femmes, notamment dans les décisions relatives à l’usage de la force est requise546

La position d’Heathcote s’inscrit également dans la lignée des pensées féministes pacifistes et rappel notamment l’importance d’organisme comme la Women’s International

League for Peace and Freedom (« WILPF »)547. L’approche de la WILPF depuis sa création

543 Gina HEATHCOTE, Chapter 5, « Feminists perspectives on the Law on the use of force », dans Gina HEATHCOTE (dir.), Feminist Perspectives on the Law on the Use of Force, Weller UK, Oxford Handbooks, 2014, p. 131 ; Gina HEATHCOTE, « Feminist Politics and the Use of Force: theorising Feminist Action and Security Council Resolution 1325 », (2011) 7 Socio-Legal Review 23, 33 ; Letitia ANDERSON, « Politics by Other Means: When Does Sexual Violence Reaten International Peace and Security? », (2010) 17 International Peacekeeping 244, 245.

544 Id. 545 Id., 245. 546 Id., 245-246.

547 Women’s International League for Peace and Freedom, en ligne :

<https://www.peacewomen.org/why-WPS/solutions/integrated-approach>, (consulté le 3 octobre 2019).

en 1915 est résolument pacifiste et souhaite stigmatiser la violence, notamment la guerre et l’usage de la force armée.548 La WILPF soutient également la justice et la sécurité démilitarisée549, et c’est là un point particulièrement important du féminisme pacifiste que le refus de la force militaire. Heathcote estime que les résolutions FPS justifient l’usage de la force armée550 et desservent en ce sens les femmes et le féminisme. Une autre critique apportée est le manque d’usage de l’agenda FPS lors de la prise de décision en matière d’usage de la force armée. En la matière Heathcote démontre comment la décision de recourir à la force en Lybie en 2011 ne fit aucune mention de l’agenda FPS et ne pris considérablement en compte les femmes dans cette décision. Heathcote souligne que le Conseil de Sécurité a failli à engager l’argumentaire féministe pacifiste.551

Heathcote, tout come Orford, souligne également la nécessité d’une approche intersectionelle et la nécessité de lier les approches féministes aux approches post-coloniales et tiers-mondistes afin de ne pas oublier « l’histoire impérialiste » du droit international.552 Plus encore, Heathcote souligne l’importance de ne pas confondre ou considérer le féminisme blanc, le féminisme occidental comme universel.553 La professeure dénonce aussi la complicité de certaines approches du féminisme occidental dans la légitimation de la position du Conseil en matière d’usage de la force ainsi que dans le manque de prise en compte d’argumentaires féministes non occidentales, en parlant au nom de toutes les femmes.554

Une approche transformative devrait en fait commencer par le respect de l’interdiction de l’usage de la force et non sa normalisation via l’agenda FPS. En effet, selon Heathcote ces dernières centrent et normalisent le recours à l’usage de la force, notamment comme possibilité d’endiguer la violence faite aux femmes. Les résolutions FPS manqueraient à stigmatiser les conflits armés.555 Heathcote, s’appuyant sur l’argumentaire de Shelley Wright,

548 Id. 549 Id.

550 G. HEATHCOTE préc,.note 543, p. 132. 551 Id.

552 Id ; Anne ORFORD, Reading Humanitarian Intervention: Human Rights and the Use of Force in

International Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 7.

553 G. HEATHCOTE préc., note 543, p. 101. 554 Id.

dénonce également le recours au concept d’humanitaire pour justifier de l’usage de la force et estime qu’un plus grand focus sur notre humanité ne devrait pas aboutir à une gamme agrandie de possibilités d’usage de la force, mais plutôt à renforcer sa prohibition, et c’est là un des points sur lesquelles nous attarderons notre analyse dans la partie suivante.

Conclusion

«How can 1, as an advocate of human rights, resist the assertion of a moral imperative on states to intervene in the internal affairs of another state where there is evidence of ethnic cleansing, rape and other forms of systematic and widespread abuse, regardless of what the Charter mandates about the use of force and its allocation of competence?» Christine M. Chinkin ‘Kosovo A “Good” or “Bad” War?'

Les positions féministes en matière d’usage de la force semblent donc se dessiner dans deux camps. L’un pro force, l’autre contre l’usage de la force armée. Les positions féministes soutenant le recours à la force armée semblent tout d’abord être celles d’un féminisme

mainstream et leur positionnement en faveur de l’usage de la force trouve ses justifications

dans des préoccupations humanitaires générales ou particulièrement envers le sort d’autres femmes. Les positions plus mitigées ou clairement opposées à l’usage de la force armée sont plus intersectionelles et doutent de l’efficacité de la force armée pour la cause féministe. Le paradigme et la complexité de la question de l’usage de la force armée dans le cadre d’une « intervention humanitaire » résident dans la difficulté, en tant que féministes, en tant que défenseur des droits humains, en tant qu’humain, de ne pas agir face aux violations des droits de la personne. Nous avons pu approcher des critiques pertinentes en matière de réminiscence coloniale et d’enjeux de pouvoir. Nous avons aussi pu remarquer que dans les faits les fruits de telles interventions furent amers. Si les questions humanitaires et féministes ont su prendre forme en droit international au travers des derniers siècles, leur utilisation comme justification à l’usage de la force armée demeure pour le moins controversé. Par ailleurs, la question de l’humanitaire a aussi donné lieu à une plus grande intégration des enjeux humains dans les questions de guerre. Il en va de même pour les questions féministes. Les femmes sont désormais officiellement prises en compte dans les enjeux de conflits armés, notamment au travers de l’agenda Femmes, paix et sécurité du Conseil de Sécurité des Nations Unies. C’est donc sur ces neuf résolutions que portera notre analyse thématique, disponible dans la partie suivante de ce travail.

Chapitre 3. Les femmes dans la paix et la sécurité