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L’usage de la force ni exclus, ni promu, mais définitivement envisagé ?

Chapitre 3. Les femmes dans la paix et la sécurité internationale : analyse de discours thématique des

3.4 Femmes et usage de la force dans les résolutions «FPS» Il résulte du codage des résolutions FPS et de nos premières observations en la matière que

3.4.1. Les résolutions FPS et l’usage de la force

3.4.2.2 L’usage de la force ni exclus, ni promu, mais définitivement envisagé ?

La question de l’usage de la force armée, et de la place donnée aux femmes sur la question, représente un des intérêts principaux de ce travail. En ce sens il s’agit donc d’un thème existant que nous cherchions au travers du discours. Il ressort des résultats de notre analyse deux point principaux en la matière. Tout d’abord aucun rappel de la prohibition de l’usage de la force n’a lieu dans l’ensemble des résolutions FPS. Ensuite, la possibilité d’usage de la force armée est en fait considérée face à des situations de violences sexuelles.

- L’absence du rappel de la prohibition de l’usage de la force

603 UN doc. S/RES/1820 (19 juin 2008), à la page 4. 604 O. CORTEN, préc., note 32.

Le discours du Conseil est particulièrement virulent concernant la nécessité de mettre fin aux violences sexuelles, l’interdiction du trafic d’armes illicites ou l’obligation pour chaque État de protéger ses civils, particulièrement ceux nécessitant une protection supplémentaire, identifiés comme les femmes et les enfants. Par exemple :

« Constatant avec préoccupation que la grande majorité de ceux qui

subissent les effets préjudiciables des conflits armés, y compris les réfugiés et les déplacés, sont des civils, en particulier des femmes et des enfants »605

« Rappelant qu’il condamne avec la plus grande fermeté toutes les formes

de violence sexuelle et autres contre des civils en période de conflit armé, en particulier contre les femmes et les enfants »606

Le Conseil ne manque donc pas à faire des rappels aux États concernant différentes obligations et prohibitions que le droit international leur incombe, et ce régulièrement dans le discours, comme l’illustrent les extraits suivants :

« Rappelant que tous les États ou entités non étatiques parties à un conflit doivent s’acquitter pleinement des obligations que leur impose le droit international applicable, qui proscrit notamment toutes les formes de violence sexuelle »607

«Réaffirmant que c’est aux parties aux conflits armés qu’il incombe au premier chef de prendre toutes les mesures possibles pour assurer la protection des civils »608

« Exige à nouveau de toutes les parties à des conflits qu’elles mettent immédiatement et totalement fin à tous actes de violence sexuelle »609

Cependant, un des grands absents au rappel est la prohibition de l’usage de la force. Ce qui est surprenant puisque le discours du Conseil condamne avec fermeté la violence sexuelle, particulièrement comme technique de guerre.610 Le discours du Conseil fait donc écho aux

605 UN doc. S/RES/1325 (31 octobre 2000) à la page 1. 606 UN doc. S/RES/1820 (19 juin 2008) à la page 2. 607 UN doc. S/RES/1960 (16 décembre 2010) à la page 1. 608 UN doc. S/RES/1960 (16 décembre 2010) à la page 2. 609 UN doc. S/RES/ 2106 (24 juin 2013) à la page 3.

610 Pour exemple voir la résolution S/RES/1888 (2009) « Exige à nouveau de toutes les parties à des conflits armés qu’elles mettent immédiatement et totalement fin à tous actes de violence sexuelle » à la page 4.

positions féministes demandant la reconnaissance de la violence sexuelle subie par les femmes et la reconnaissance du viol comme crime de guerre, voir de génocide :

« Fait observer que le viol et d’autres formes de violence sexuelle peuvent

constituer un crime de guerre, un crime contre l’humanité ou un élément constitutif du crime de génocide, souligne qu’il est nécessaire d’exclure les crimes de violence sexuelle du bénéfice des mesures d’amnistie prises dans le cadre de processus de règlement de conflits et demande aux États Membres de s’acquitter de l’obligation à eux faite de poursuivre les auteurs de tels actes, de veiller à ce que toutes les victimes de violences sexuelles, en particulier les femmes et les filles, bénéficient d’une protection égale devant la loi et d’un accès égal à la justice,(…) »611

Le Conseil reconnait donc que les victimes principales des conflits armés sont les femmes et les enfants, rappelle la prohibition des violences sexuelles comme tactique de guerre sans toutefois émettre un seul rappel de la prohibition de l’usage de la force armée ou de sa complicité dans les conflits armés. L’analyse des résolutions FPS, incluant la dernière en date du 24 avril 2019, ne démontre d’aucun changement notable à ce niveau. L’absence de rappel de la prohibition de l’usage de la force demeure totale.

Plus qu’un manque à rappeler la prohibition de l’usage de la force, le Conseil laisse plutôt entendre dans le discours que la possibilité du recours à la force armée n’est en fait pas exclue. Elle est potentiellement envisagée pour mettre un terme aux violences sexuelles.

- L’usage de la force face aux violences sexuelles

La position du Conseil concernant l’usage de la force est aussi analysée au travers de la possibilité ambigüe, mais répétée de recourir à la force armée, ainsi que par l’identification tout aussi ambigüe des violences sexuelles comme menace à la paix. En effet, le discours du Conseil semble faire mention dans 8 des 9 résolutions FPS de la possibilité d’usage de la force. C’est par exemple le cas dans la résolution 1820 :

« Se déclare prêt, lorsqu’il examinera les situations dont il est saisi, à prendre, le cas échéant, les dispositions voulues pour faire face à la violence sexuelle généralisée ou systématique »612

611 Résolution S/RES/1820 (2008), à la page 3. 612 Résolution S/RES/1820 (2008) à la page 2.

L’usage de l’expression « les dispositions voulues » semble laisser entrevoir la possibilité d’usage de la force. C’est en ces termes et avec ce ton que le Conseil a, par le passé, formulé la possibilité d’user de la force.613 Le Conseil entrevoit également de prendre en considération les violences sexuelles dans les décisions de sanctions ciblées contre un État :

« …réaffirme son intention d’envisager, lorsqu’il adoptera des sanctions ciblées dans des situations de conflit armé ou les reconduira, d’y intégrer, le cas échéant, des critères de qualification des viols et autres violences sexuelles graves »614

La possibilité de recours à la force n’est pas directe et demeure évasive. Toutefois, cette mention dans le discours ouvre la possibilité de recourir à la force.615 Cette possibilité répond à la persistance de violences sexuelles aggravées, particulièrement dans les cas de violences sexuelles envers les femmes et les enfants. La possibilité d’apporter des violences supplémentaires, par le recours à la force armée, est donc envisagée pour mettre fin à des violences existantes. Sans que cette possibilité soit unanimement condamnée par la littérature, il semble toutefois surprenant que le remède aux violences sexuelles se trouve dans l’utilisation de plus de violence.

Une caractéristique, critiquée, du discours du Conseil est celle de l’ambigüité du discours en matière d’usage de la force.616 Si l’usage de la force n’est pas clairement formulé, le discours en laisse la possibilité ouverte. D’abord par l’évocation de la possibilité de prendre les « dispositions voulues » pour parer au cas de violences sexuelles « systémiques ou généralisées », soit notamment le recours à la force armée, mais également par la potentielle identification des violences sexuelles envers les femmes comme une menace à la paix et à la sécurité. Comme nous venons de le voir, la violence sexuelle est identifiée comme un obstacle majeur à la paix de façon régulière dans le discours des résolutions FPS, comme l’illustrent les extraits suivants :

613 Gina HEATHCOTE, Feminist Perspectives on the Law on the Use of Force, London, Routledge, 2011, p. 59.

614 UN doc. S/RES/ 2106 (24 juin 2013) à la page 5. 615 Id., p. 5.

« Réaffirme que la violence sexuelle, utilisée ou commanditée comme

tactique de guerre prenant délibérément pour cible des civils, ou dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre des populations civiles, peut considérablement exacerber les conflits armés et compromettre le rétablissement de la paix et de la sécurité internationales, affirme à ce propos que des mesures efficaces destinées à prévenir et réprimer ces actes de violence sexuelle peuvent beaucoup contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationales et se

déclare prêt à prendre le cas échéant, lorsqu’il examinera les situations

dont il est saisi, des dispositions propres à combattre la violence sexuelle généralisée ou systématique en période de conflit armé »617 « Se déclarant à nouveau profondément préoccupé par le fait que, bien qu’il ait maintes fois condamné la violence contre les femmes et les enfants en période de conflit armé, notamment la violence sexuelle en période de conflit armé, et appelé toutes les parties à des conflits armés à cesser immédiatement de commettre de tels actes, ceux-ci persistent et sont, dans certains cas, devenus systématiques, généralisés et d’une brutalité épouvantable »618

Or, en l’absence du Conseil les identifiant clairement comme telles, on peut cependant s’interroger sur le potentiel que les violences sexuelles systématiques et généralisées ont d’être considérées comme une menace à la paix et à la sécurité internationale. Le discours du Conseil prépare certainement un terrain fertile pour qu’elles le soient. Nos conclusions en la matière rejoignent donc celles de Gina Heathcote619. Cette identification des violences sexuelles envers les femmes comme potentielle menace contre la paix et la sécurité internationale amènerait elle aussi la possibilité pour le Conseil de sécurité de recourir ou d’autoriser l’usage de la force. Le Conseil ne manque pas seulement à renforcer la prohibition de l’usage de la force mais s’inscrit dans la possibilité d’y avoir recours au nom des femmes. Ce que Heahtcote considère en désaveu des positions féministes pacifistes et antimilitariste. Tant en utilisant l’expression « toutes mesures nécessaires » à plusieurs reprises, que par l’installation des violences sexuelles comme menace à la paix, le Conseil courtise avec l’usage de la force.

La volonté de recourir à l’usage de la force dans les cas de violences sexuelles envers les femmes peut tendre à démontrer une réelle prise de position contre les violences sexuelles,

617 UN doc. S/RES/ 1888 (30 septembre 2009) à la page 5. 618 UN doc. S/RES/1820 (19 juin 2008) à la page 2.

619 G. HEATHCOTE, préc., note 613, 39 ; dont le nom est abondamment cité dans ce travail, en effet, les positons féministes en matière de recours légal à la force et des droit des femmes en droit

mais elle peut aussi être une porte ouverte à des justifications futures d’usage de la force armée pour sauver les femmes620. Dans le discours du Conseil, il n’y a aucune condamnation des discours politiques instrumentalisant le sort des femmes pour justifier d’interventions armées. Au contraire il peut sembler que le sort des femmes soit une raison potentielle de recours à la force armée, donc à l’intervention militaire. Ce qui, en relation avec l’absence de réitération de la prohibition de l’usage de la force, confirme un certain soutient à l’usage de la force armée.

Cela vient donc confirmer la position de Gina Heathcote en la matière, qui estime que le Conseil de sécurité cautionne l’usage de la force armée.621 Comme souligné au début de ce travail, la possibilité d’user de la force armée pour venir en aide « aux femmes » divise les féministes. Si certains pans du féminisme estime que l’usage de la force puisse être une solution pour mettre un terme aux violences subies par les femmes, les auteures de notre cadre théorique encourage la méfiance à ce propos. Heathcote estime que le Conseil en manquant à renforcer la prohibition de l’usage de la force contribue à une conception de la sécurité comme nécessairement militarisée et à une normalisation du recours à la force622 Orford et Engle soulignent que cette possibilité nécessiterait des restrictions claires, car l’usage de la force pour « sauver » les femmes comporte un potentiel patriarcal et impérialiste.623

Évidemment la prise en compte de la sévérité des situations de violences sexuelles par

des organes internationaux semble être un pas dans la bonne direction pour endiguer ces violences. Nous nous interrogeons cependant quant aux solutions choisies et aux risques de violences supplémentaires provoquées par ces décisions. Il n’est aussi pas précisé dans le discours quelles formes de violences sexuelles peuvent justifier de l’usage de la force ni quelles décisions seront prises en la matière. Il nous semble également important de considérer comment les femmes sont impliquées dans cette perspective d’usage de la force.

620 A. ORFORD, préc., note 350, 992 ; Deniz KANDIYOTI, « Between the Hammer and the Anvil: Post- conflict Reconstruction, Islam and Women’s Rights », (2007) 28-3 Third World Quaterly 503, 507. 621 Gina HEATHCOTE, « Feminist Politics and the Use of Force: Theorising Feminist Action and Security Council Resolution 1325 », (2015) Social Legal Review 23, 26, disponible en ligne :

<http://www.sociolegalreview.com/wp-content/uploads/2015/12/Feminist-Politics-And-Use-Of-Force- Theorising-Feminist-Action-And-Security-Council-Resolution-1325-Gina-Heathcote.pdf>

622 Id., 37.