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2. Les interactions entre les militantes* et la police

2.3. Retour sur l’accès des militantes à la violence

2.3.3. Un ordre social genré

La (ré)affirmation de cet ordre social genré à travers les instances de contrôle social et pénal des femmes qui contreviennent aux attentes sociales de leur sexe a fait l’objet d’autres études (Cardi, 2007; Perreault, 2015). Cardi (2007), dans une recherche sur la déviance féminine, soutient la thèse que l’institution pénitentiaire participe à la construction du genre et des normes sociales genrées du fait qu’elle gère différentiellement les femmes qui sont considérées criminelles. Cardi (2007) l’illustre notamment par l’accès inégal aux programmes pénitentiaires pour les femmes. Comme Cardi (2007) et Belknap (2007) l’ont étayé, les études sur la parité des sentences des hommes et femmes ne permettent toutefois pas de statuer clairement si les femmes reçoivent des peines plus ou moins lourdes que les hommes. Perreault (2015), qui s’est penchée sur les liens entre le contrôle pénal et la psychiatrisation à Montréal de 1920 à 1950, soulève que les femmes sont davantage internées ou punies pour des questions morales, parce qu’elles ont dévié des normes sociales liées à leur genre. Ainsi, les femmes qui étaient ciblées par la justice ou la psychiatrie étaient des femmes qui contrevenaient aux attentes de mère bonne, de femme fidèle et prude ou avaient perpétré des inconduites liées à leur corps. La pénalisation ou la psychiatrisation venaient donc protéger la société de conduites « immorales » effectuées par ces femmes qui transgressaient les mœurs et les normes (Perreault, 2015). Dans la lignée de ce que Cardi affirme (2007), l’ordre social doit être pensé conjointement avec l’ordre genré, puisque le contrôle social des femmes est intrinsèquement lié aux normes et attentes sociétales de genre. Pour revenir à nos propres résultats de recherche, on comprend que, dans la gestion de foule, la police semble agir différemment selon l’image que les femmes projettent et que cela envoie le message à ces militantes* qu’elles contreviennent aux normes de genre. Selon ce qui est rapporté par les participantes*, ce système de contrôle s’applique également aux hommes militants qui participent à ces manifestations féministes puisque la police fait des remarques qui visent à atteindre leur masculinité. Les hommes militants qui ont des comportements jugés féminins par la police, comme pleurer ou mettre du vernis à ongles (expérience vicariante rapportée par Andréa), sont d’une part, violemment traités par les forces de l’ordre et d’autre part, diminués de leur virilité. L’importance de ce système de préjugés est d’autant plus significative que certaines militantes* en viennent à utiliser stratégiquement les perceptions genrées et stéréotypées des policiers et policières pour se sortir

d’une situation délicate. C’est le cas de Kimberly, Charlie et Margot. Charlie, qui a voulu éviter d’avoir les menottes dans les dos lors d’une arrestation de masse, afin d’avoir plus de confort et de pouvoir aider les autres, a fait croire au policier et à la policière qui intervenaient auprès de sa personne qu’elle était enceinte et qu’elle préférait être menottée les mains devant. Ce à quoi ils ont acquiescé. Kimberly, quant à elle, apportait des vêtements de rechange dans son sac pour se changer à la fin des manifestations:

« Moi mettons après une action en 2012, mon truc préféré c’est toujours de me trainer une espèce de jupe facile à mettre. Pis j’avais toujours des collants en dessous de mes pantalons, faque j’enlevais mes pantalons, je mettais ma jupe, pis c’était ni vu ni connu. Je me mettais un grand foulard, je me détachais les cheveux pis c’était comme si j’étais une petite madame du centre-ville. »

– Kimberly

Cette stratégie employée par Kimberly lui permettait de ne plus être identifiée comme une manifestante. Même si une minorité d’entre elles* ont utilisé les représentations sociales liées aux femmes, cela montre à quel point ces considérations par rapport aux normes de genre sont ancrées dans la culture policière, comme dans la culture dominante, et connues par les militantes*. En agissant conformément à leur genre, c’est-à-dire en performant le fait d’être femme entre autres à travers leur habillement, elles* cherchent à éviter la violence de la part de la police. En regard de ce qui précède, la police nous semble donc être à la fois une police des désordres sociaux et une police de l’ordre social genré.

En conclusion, pour se remémorer ce qui a été vu à la première section de ce chapitre, une partie des participantes* a ressenti une culture machiste au sein du milieu militant où la valorisation des actions, la confrontation avec la police et le fait d’être au-devant des mobilisations sont des comportements prônés surtout par les hommes. Cela a eu des effets sur les rôles et tâches de chacun et chacune en action de protestation. Les hommes occuperaient davantage des rôles de confrontations à la police alors que les femmes, pour diverses raisons, s’y retrouveraient moins. Elles se voient dès lors exclues de cette confrontation avec les forces de l’ordre et du prestige qui y est associé. C’est lorsqu’on confronte ces réalités vécues au sein du militantisme à celles vécues en rapport avec la police que l’on peut constater que cet accès à la violence21 des femmes

est également nié par la police, de la même manière qu’elle est contestée, invisibilisée et dénuée de son caractère politique lorsqu’utilisée dans le cadre de conflits armés (Cardi & Pruvost, 2012). Ceci permet de maintenir l’ordre social genré qui divise hiérarchiquement les sexes (Cardi & Pruvost, 2012; Chevalier, 2012; Dayan-Herzbun, 2012). Subséquemment ce « droit » à la violence semble s’inscrire dans des rapports de domination genrée. Et, paradoxalement pourrait-on dire, les deux univers – militantisme et police – se rejoignent, en ce que tous deux cherchent à réguler l’accès à la violence en en limitant l’usage par les femmes.

3. Interactions conflictuelles et trajectoires militantes : les