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3. Interactions conflictuelles et trajectoires militantes : les conséquences

3.1. Conséquences des interactions conflictuelles

3.1.2. Conséquences psychologiques

Les participantes* sont plus nombreuses à avoir rapporté des conséquences psychologiques de leurs interactions avec la police. Les militantes* qui ont été rencontrées ont été exposées à plusieurs reprises à la répression policière et pour certaines de manière répétée. Cette exposition à la répression policière dans le contexte d’action de protestation a participé au développement d’émotions et de perceptions à l’égard de l’institution policière, ce qui a eu un impact sur la cristallisation de certaines idéologies par rapport aux forces de l’ordre. Les émotions partagées qui émergent des expériences des participantes sont pour la plupart reliées à la colère, la peur, la détresse et l’impuissance.

La colère face à la police est une thématique récurrente dans le discours des participantes*. Pour celles* qui l’ont vécue, elle était autant présente dans leur quotidien que dans leur façon de se mobiliser. Une gamme de mots entourant la colère était employée telle que la haine, la rage et la frustration à l’égard des policiers et policières et de leur pratique. Une autre émotion centrale a été la peur. Le sentiment de peur ressentie par les militantes* se produisait lors des interactions conflictuelles physiques ou verbales qu’elles ont vécues de manière individuelle ou en groupe. Toutefois, ce sentiment de peur s’est propagé à l’extérieur des actions de protestation pour une partie d’entre elles*, notamment lorsqu’elles* croisaient une voiture de police dans la rue. Lors des interactions violentes avec la police, l’intensité des événements a provoqué chez elles* une

crainte pour leur propre intégrité physique ou celle des autres, une peur de mourir, de même que de l’impuissance. Pour une minorité de participantes*, ces émotions se sont développées en trouble de stress post-traumatique, en dépression et en anxiété. Et bien qu’elles n’aient pas toutes eu un état de stress post-traumatique, d’autres participantes* ont eu des symptômes s’apparentant à celui-ci, comme de l’hypervigilance, de revivre les scènes traumatisantes ou encore d’éviter ce qui rappelle le traumatisme (Brière, 1997, tiré de Wemmers, 2003). Afin de décrire le sentiment de peur présent, les expériences des femmes militantes qui ont vécu la manifestation de Victoriaville en 2012 sont éloquentes :

«[…]J’étais à Victoriaville en 2012 et ça a été l’événement le plus traumatisant de ma vie, je pense. […] J’arrive, y’a du monde de coucher à terre partout, y’a du monde qui saigne, je suis comme

what the fuck

. […] Quand ils se sont mis à tirer [les balles de caoutchouc], ils tiraient vraiment beaucoup. Vraiment vraiment beaucoup. Moi justement je m’étais comme cachée quelque part. Il fallait qu’on se cache pour notre vie la … »

– Kimberly

« Je me disais :

Seigneur, ça n’a pas de sens.

Pis j’avais peur. J’entendais les bombes qui partaient, pis j’entendais le bruit. […] Pis j’ai vu la fille qui a mangé la balle dans les dents, les dents éclatées tsé, je savais pas ce qui s’était passé, mais je voyais une fille qui se tenait… Pis y’avait du sang pis je me disais :

Ah my god ! La panique !

[…] Je me sentais terrorisée. »

– Emma La manifestation de Victoriaville a été un événement où la violence était particulièrement importante. À l’inverse, pour d’autres participantes, les sentiments vécus par rapport à la police ne se sont pas cristallisés en trouble de stress post-traumatique, par exemple, et n’ont pas eu d’impact à long terme autre que sur leur perception de la police. Évidemment, certaines* militantes ont été particulièrement touchées par la violence policière, ce qui influence l’intensité des impacts émotionnels et psychologiques. Dans le cas de Charlie, qui croyait que les policiers allaient lui enlever ses vêtements, les sentiments qui ressortent sont ceux d’impuissance et d’injustice.

« Je n’ai jamais eu autant d’injustice, je me sentais tellement impuissante. […]J’étais fucking menotté, y’aurait pu me… Tout ce que je me suis dit dans ma tête, c’est : “Je vais me faire violer dans 30 secondes.” C’était juste une blague, mais sur le coup, c’était une situation qui ne se faisait pas en blague pis c’était une situation où j’étais complètement impuissante. […] J’ai totalement perdu confiance en la police et au

système de justice. Et aussi, je me suis mise à avoir plus peur des gars. Surtout que les policiers ont des armes. Ça fait peur. »

– Charlie En plus de ces sentiments, il est important de souligner que cette interaction a eu des impacts sur son rapport aux hommes, mais encore plus aux hommes policiers, à cause de cette menace planante de l’agression sexuelle. D’ailleurs, cela l’a mené à suivre des cours d’arts martiaux afin de prendre confiance en ses capacités et diminuer ses craintes. Ces sentiments – colère, peur, impuissance, injustice – ont mené la majorité des militantes* vers une perte de confiance envers l’institution policière.

Finalement, certaines conséquences ont été particulières pour deux participantes qui ont été la cible de profilage. Profilage qui s’est fait sentir au quotidien. Suite à des périodes de mobilisations intenses, ces deux participantes se faisaient suivre par la police en dehors des manifestations, se faisaient reconnaître par une majorité de policiers de leur ville, se faisaient intimider dans la rue, interpeler par leur nom, mais aussi par des informations personnelles, les policiers et policières connaissant leur adresse et même les noms de ses colocataires (pour une d’entre elles). Au sein des actions de protestation, le profilage était toujours présent pour ces femmes et a pris la forme de brutalité policière. Le fait d’être connues des forces de l’ordre faisait en sorte qu’elles étaient systématiquement ciblées. Ces deux militantes racontent que ces expériences ont été inconfortables et intrusives, qu’elles ont provoqué de la peur, mené à un déménagement et d’avoir recours à du soutien psychologique.

3.1.3. Changements de perception relativement à l’institution